Au Liban, Marine Le Pen n’a pas convaincu ses hôtes

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Par Le Monde – Benjamin Barthe


La candidate FN à la présidentielle a principalement rencontré des représentants de la communauté chrétienne et a fait face aux critiques.

Au Liban, où cohabitent – et parfois s’affrontent – les religions, le sujet des cultes est à traiter avec précaution. Mais chacun possède son propre agenda.

Au dernier jour de sa visite à Beyrouth, mardi 21 février, Marine Le Pen ne s’est pas privée d’allumer une mèche. La candidate du Front national à l’élection présidentielle devait rencontrer en début de matinée le grand mufti de la République libanaise, Abdellatif Deriane, dans sa résidence, située dans le quartier musulman d’Aïcha Bakkar. Une fois arrivée sur le pas de la porte, un représentant de M. Deriane lui a tendu un voile pour qu’elle se couvre la tête, une condition à respecter pour pouvoir pénétrer dans les lieux. La présidente du FN a décliné, en présence de plusieurs journalistes.

« La plus haute autorité sunnite du monde n’a pas eu cette exigence, par conséquent il n’y a pas de raison… Vous transmettrez au grand mufti ma considération, mais je ne me voilerai pas », a-t-elle lancé, avant de tourner les talons. Une référence à sa rencontre, en mai 2015, avec le grand imam de la mosquée d’Al-Azhar, au Caire.

« Message de liberté et d’émancipation »

La veille au soir, Mme Le Pen avait pourtant été prévenue qu’elle devrait porter un voile pour pouvoir rencontrer le grand mufti. « J’ai indiqué hier que je ne me voilerai pas. Ils n’ont pas annulé le rendez-vous, j’ai donc cru qu’ils accepteraient que je ne porte pas le voile, a-t-elle lâché plus tard dans la journée. On ne me met pas devant le fait accompli. »

Le geste de la candidate frontiste a été reçu fraîchement au sein de l’institution Dar al-Fatwa, dirigée par le grand mufti, d’obédience sunnite. Dans un communiqué transmis à l’AFP, l’institution a dénoncé l’attitude « inconvenante » de la députée européenne face à une « règle bien connue ».

En revanche, l’affaire a été accueillie avec enthousiasme du côté des supporters de Mme Le Pen, qui voient dans leur chef de file un parangon de défense de la laïcité et des droits des femmes. « Un magnifique message de liberté et d’émancipation envoyé aux femmes de France et du monde », s’est ému le vice-président du FN, Florian Philippot.

« Je lutte contre une idéologie politique »

Soucieuse de ne pas commettre trop d’impairs, Mme Le Pen a répété à plusieurs reprises, quelques heures plus tard, en marge de son entrevue avec le patriarche maronite Mgr Bechara Raï, que « la culture libanaise est née en même temps des chrétiens et des musulmans ».

Dans sa conférence de presse finale, mardi après-midi, en réponse à une question sur les critiques que sa visite a suscitées, la candidate frontiste a assuré qu’elle n’a « jamais confondu l’“islam- religion” et l’“islam-projet politique” », le second consistant selon elle « à appliquer la sharia contre les lois et la constitution d’un pays ». « Je lutte contre une idéologie politique qui est le fondamentalisme musulman, mais je ne mène aucun combat contre une religion », a-t-elle insisté.

Un discours qui n’a pas vraiment convaincu ses hôtes, hormis une partie de la droite chrétienne. Ce sont surtout ses représentants – le président Michel Aoun en tête – que Mme Le Pen a vus durant les deux jours de son séjour. Comme son « ami » Samir Geagea, patron du parti des Forces libanaises et ancien chef milicien, qui avait reçu pendant la guerre civile le renfort de jeunes français d’extrême droite, appelés pour certains à faire carrière au FN.

« Nous avons suivi sa carrière et ses combats depuis de nombreuses années », s’est enthousiasmée Marine Le Pen, rappelant que le trésorier de son parti, Wallerand de Saint-Just, fut l’un des avocats de M. Geagea, emprisonné pendant onze ans, à la sortie de la guerre civile, pour un attentat à l’explosif dans une église qui avait fait onze morts.

« L’erreur » de Marine Le Pen

Les contacts avec la communauté sunnite ont été beaucoup moins nombreux, et nettement moins chaleureux. Son chef de file, le premier ministre Saad Hariri, avait publié, lundi, dans la foulée de son entrevue avec la fille de Jean-Marie Le Pen, un communiqué en forme de désaveu, où il pointait « l’erreur », qui consisterait à faire « l’amalgame entre islam et terrorisme ».

La présidente du Front national n’a par ailleurs rencontré aucun représentant chiite, notamment du Hezbollah, le parti-milice, farouchement opposé à Israël, et qui combat en Syrie aux côtés du régime de Bachar al-Assad. Durant sa conférence de presse, Mme Le Pen a fait savoir qu’elle n’avait pas souhaité voir de dirigeants de ce mouvement.

Ces derniers n’étaient sûrement pas non plus pressés de s’entretenir avec elle, compte tenu de la nouvelle ligne pro-israélienne que certains de ses proches, notamment le député du Gard Gilbert Collard, tentent d’imprimer au parti. « Du point de vue des nouveaux racistes, le conflit est entre la civilisation occidentale qui inclue Israël et la sauvagerie représentée par les musulmans », avait écrit, samedi, Pierre Abi-Saab, le rédacteur en chef d’Al-Akhbar, un quotidien de gauche pro- Hezbollah.

Au sein même de la communauté chrétienne, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer la rhétorique de la candidate d’extrême droite. « Elle est venue nous dire que la poussée nationaliste que l’on constate en Europe et partout dans le monde est le résultat de l’extrémisme musulman, raconte le député chrétien Atef Majdalani, qui l’a brièvement rencontrée. Nous, nous sommes contre l’extrémisme musulman et contre l’extrémisme nationaliste qui fait que les peuples se replient sur eux-mêmes. Et Marine Le Pen est représentative de cet extrémisme nationaliste. »