Grâce à la Syrie, le Hezbollah est devenu une armée régionale

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Par Le Figaro – Georges Malbrunot


Les combattants chiites libanais profitent de leur coopération naissante avec les commandos russes. Leur capacité militaire a progressé en quatre ans d’engagement aux côtés de Damas, mais aussi en Irak et au Yémen. À tel point qu’Israël se prépare à une guerre, sur son sol cette fois.

De notre envoyé spécial à Beyrouth

Riad s’en souvient comme si c’était hier. «S’il n’y avait pas eu le Hezbollah, Alep serait tombé aux mains des rebelles», assure ce loyaliste syrien de la grande ville du nord du pays. Son cauchemar remonte à la fin du mois d’octobre, lorsque des insurgés attaquèrent le quartier de Miyan, un verrou pour accéder aux secteurs d’Alep-Ouest tenus par le régime et ses alliés russes, iraniens et du Hezbollah.

À Miyan, «les soldats syriens de la Garde républicaine avaient dû se replier, ils avaient perdu le contact avec leurs chefs», se souvient Riad, qui a accès aux salles d’opérations militaires. «À grand renfort de voitures piégées, les islamistes avaient réalisé une percée. Mais un officier du Hezbollah a réussi à rappeler une vingtaine de combattants avec leurs batteries de missiles qui ont stoppé l’avancée rebelle, avant l’arrivée de 300 renforts de la Division Radwan.» «Avec 20 hommes, le Hezbollah a sauvé Alep», jurait-il, lors d’un récent passage à Beyrouth.

Après la reprise d’al-Qusayr en juin 2013, puis la sécurisation de la région du Qalamoun, frontalière du Liban, Miyan est le dernier fait d’armes du Hezbollah en quatre ans d’engagement en Syrie. «Tout le monde pense que c’est la Russie qui a gagné à Alep, mais c’est le Hezbollah», insiste un diplomate des Nations unies. «Ses dirigeants, ajoute-t-il, nous disent que c’est un cadeau aux femmes du Sud-Liban qui perdent leurs enfants» dans cette guerre parfois impopulaire parmi la communauté chiite. À Miyan, les pertes furent lourdes: une trentaine de combattants périrent dans cette bataille qui modifia les relations entre la milice chiite et Moscou.

Des missiles livrés par l’Iran

Peu après, des officiers russes de haut rang rencontrèrent pour la première fois des représentants du Hezbollah pour établir des canaux permanents de communication, rapporta le journal libanais Al-Akhbar, proche du «Parti de Dieu». Depuis, «les Russes considèrent le Hezbollah non plus comme une milice, mais comme un interlocuteur à part entière au même titre que l’Iran et la Syrie», souligne un analyste qui a ses entrées à Beyrouth et Damas. Fin décembre, confirmant ce partenariat naissant, une vidéo diffusée sur YouTube montra un membre des forces spéciales russes arborant le fanion jaune et vert du Hezbollah. Il accompagnait un combattant chiite qui inspectait un cadavre.

Israël, qui reste l’ennemi numéro un du Hezbollah, s’inquiète de voir la Russie former ainsi aux techniques de commando les miliciens libanais. Même si un modus vivendi a été conclu entre l’État hébreu et la Russie après l’intervention militaire de Moscou en Syrie à l’automne 2015, cette acquisition de nouvelles tactiques de combat renforce grandement la capacité du Hezbollah à affronter Tsahal.

Est-ce un hasard? Trois semaines après Miyan, le 13 novembre, le «Parti de Dieu» se sentit suffisamment fort pour organiser un impressionnant défilé militaire dans la ville syrienne d’al-Qousayr, sous son contrôle près de la frontière libanaise. Une première hors du Liban. Sur les images diffusées par les réseaux sociaux se dressent plusieurs colonnes de blindés, des transports de troupe M-113 – parfois vétustes – de fabrication américaine, des tanks T-72 équipés d’un blindage actif, des canons d’artillerie ou encore des missiles sol-mer russes Kornet.

Pareille démonstration de force inquiéta également Washington et les adversaires du Hezbollah au Liban. Depuis, les questions fusent, mais les réponses restent floues. À qui était destiné le message? À l’État hébreu, bien sûr. Mais aussi à l’Arabie saoudite, le nouvel ennemi du mouvement libanais au Moyen-Orient. D’où viennent ces équipements? Certains ont pu être pris aux rebelles syriens. D’autres cédés par l’armée syrienne, voire l’armée libanaise, sur laquelle la milice exerce une réelle influence.

Lourdes pertes

Une chose est sûre: le Hezbollah de 2017 ne ressemble plus à la formation qui poussa Tsahal dans ses retranchements pendant 33 jours de combats, à l’été 2006. D’une milice en guerre contre Israël, le Hezbollah est devenu une armée transfrontalière qui intervient non seulement en Syrie, mais aussi en Irak, au Yémen et probablement à Bahreïn. «La dissuasion contre Israël reste notre raison d’être, mais c’est vrai qu’on a maintenant une double casquette», reconnaît sous le sceau de l’anonymat un expert du Parti.

En Syrie, où 5000 de ses hommes environ sont déployés, le Hezbollah est capable de mener des opérations militaires qui combinent artillerie, blindés et drones.

Peu avant la révolte contre Bachar el-Assad, en 2011, une note confidentiel-défense des services de renseignements français dressait un inventaire des «moyens importants» dont disposait déjà le Hezbollah: «Chars T-55, véhicules de transport de troupes, nombre important de pièces d’artillerie, dont des canons tractés et des lance-roquettes multiples, missiles antichars, armes antiaériennes, missiles de longue et moyenne portée.» Rappelant les six brigades de sa branche armée, articulée autour d’un «noyau dur de 3000 hommes» auxquels s’ajoute une «réserve» de 10.000 autres, la note mettait au jour «une récente capacité navale» et «un réseau de télécommunications autonome» permettant «des liaisons de commandement efficaces».

Frappes de Tsahal

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Litani, cette rivière libanaise au nord de laquelle le Hezbollah a renforcé ses défenses, en particulier dans la plaine de la Bekaa, frontalière de la Syrie, où sont probablement enterrés certains des missiles les plus sophistiqués (Fateh, M-600) que Téhéran continue de lui livrer, via Damas. «Des cavités souterraines gigantesques», ose un militaire libanais approché par le Hezbollah pour l’entraînement de ses commandos. Ces derniers mois, profitant d’un blanc-seing russe, Tsahal a multiplié les frappes contre des convois qui auraient transporté des armes stratégiques de Syrie vers le Liban au profit de la milice chiite.

Avec le conflit en Syrie, son effectif combattant est passé à 20.000, 25.000 hommes. Parmi eux, de nombreux volontaires. Mais avec entre 1500 et 2000 morts et plus de 5000 blessés, le prix à payer est très lourd. La plupart des familles chiites sont endeuillées. Dans son bastion du Sud-Liban, des critiques se font entendre. «La guerre nous a été imposée, répond l’expert du Hezbollah. Si nous n’étions pas intervenus en Syrie, Daech nous aurait attaqués à Beyrouth.» Mais l’engagement au-delà des frontières reste un sujet controversé, non seulement en interne, mais aussi dans le monde arabe, où la formation chiite a dilapidé une grande partie de l’aura acquise pendant la guerre de 2006 face à Israël. Un seul mot d’ordre aujourd’hui: discrétion. Les combattants ne doivent pas parler à la presse, et lors de la reprise d’Alep, fin décembre, la population de son QG de Beyrouth à Dahiyé a été priée de ne pas manifester sa joie.

Pour assurer son recrutement, le «Parti de Dieu» a besoin d’hommes. Et d’hommes jeunes. «Nous aussi, nous avons nos scouts, sourit un ingénieur proche de la milice. Après avoir fait un premier pèlerinage sur les lieux saints en Iran, des enfants de 12 ou 13 ans sont évalués, ajoute-t-il, et lorsqu’ils atteignent 14 ans, les plus motivés sont renvoyés dans des camps d’entraînement pour devenir des combattants.»

Que faire de tous ces miliciens aguerris lorsque la Syrie se sera stabilisée? La question est dans tous les esprits, et pas seulement au Liban. «Après toute cette adrénaline accumulée au combat, personne ne pourra leur dire qu’ils seront au chômage, relève un diplomate arabe. Mais le Hezbollah ne pourra pas leur fournir du travail au Liban. Les pays du Golfe, eux, ont fermé leurs frontières aux chiites libanais, et ce n’est pas l’Iran qui va les accueillir. Quelle option leur reste-t-il? Probablement aller au sud, à la frontière avec Israël.»

«Notre engagement en Syrie a fait de nous une armée qui n’est plus une armée de guérilla, explique l’ingénieur pro-Hezbollah. Nous sommes maintenant une armée qui a la possibilité d’entrer en Galilée, si demain un conflit devait éclater. Nous ne le souhaitons pas. Mais Israël doit savoir que s’il déclenche une guerre, elle ne se limitera pas au sud du Liban. Ce ne sera pas un conflit défensif. Nous entrerons en Galilée.» Ce sera la mission de la Division Radwan, celle qui sauva Alep. Une unité d’élite de plusieurs centaines d’hommes, créée en 2008, après la mort de son chef militaire, Imad Mougnieh, alias Hajj Radwan.

L’État hébreu s’y prépare. L’ONU a repéré des travaux d’aménagements côté israélien de la frontière avec le Liban. «La planification militaire israélienne envisage à terme d’évacuer tous les civils sur une bande de 5 à 10 km de largeur au sud de la ligne bleue, confie un militaire occidental. Cela concernerait 170.000 personnes.» Et un agent du renseignement français d’avertir que «si le Hezbollah rentre au Liban avec ses blindés, les Israéliens les frapperont. Ils ne les laisseront pas intacts, déployés dans la Bekaa. Les Israéliens, dit-il, commencent à faire passer des messages en ce sens.»