La France ne veut pas le retour des djihadistes capturés en Syrie et en Irak

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Par le Monde – Nathalie Guibert


La France tente d’éviter que des ressortissants ayant rejoint l’EI en Irak et en Syrie lui soient remis après avoir été arrêtés.

Sur la vidéo diffusée lundi 20 février sur YouTube, il apparaît assis dans un bureau impersonnel, calme. Il répond en arabe à un interrogatoire mené par un homme que l’on ne voit pas à l’image. Il se nomme Jonathan Geffroy, alias Abou Ibrahim Al-Fransi, originaire de la ville de Toulouse. Il a combattu avec l’organisation Etat islamique (EI) et dit être en Syrie « depuis deux ans et demi ». Il est aujourd’hui prisonnier des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL).

A mesure que l’EI recule, en Syrie comme en Irak, le cas Jonathan Geffroy pourrait être suivi d’autres. Qu’envisage de faire la France de ces ressortissants, combattants accompagnés parfois de leurs familles, qui seront capturés ou se rendront aux différentes forces engagées sur le terrain ?

La question suscite un grand embarras parmi les autorités françaises, qui n’ont fourni au Monde que des réponses fuyantes. Pas de plan global, peu de déclarations officielles. « Nous n’avons jamais eu, jusqu’ici, de cas en Irak mais dans ce pays, nous sommes prêts à assurer la protection consulaire minimum. En revanche, nous ne sommes pas en mesure d’en faire de même en territoire syrien », dit-on au ministère des affaires étrangères.

Embarras des officiels

Au ministère de la justice, la direction chargée de la politique pénale en matière terroriste renvoie sur le porte-parole de la chancellerie. Ce dernier se contente de transmettre « deux phrases que la presse peut reprendre ». D’abord : « La politique pénale actuelle est de judiciariser toute personne revenant du territoire irako-syrien. » Et, dans tout autre cas, « s’il s’agit de personnes détenues par d’autres forces armées, cela ne relève pas du ministère de la justice ».

L’embarras des responsables officiels s’explique. Le président de la République, selon les sources du Monde, a opté pour une ligne claire : faire qu’il n’y ait pas de prisonniers, ou le moins possible.

Sur le sujet, abordé en conseil de défense, « la question du cadre légal a été mise sous le tapis », révèle une source proche de l’exécutif, « en réalité on espère qu’ils aient tous été tués avant d’avoir pu rejoindre un camp ou l’autre ». Qu’ils aient droit ou pas au statut protecteur de prisonniers de guerre, selon les situations, les Français ayant rejoint l’EI « sont nos ennemis et ils savent à quoi ils s’engagent », avait déclaré le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, le 12 janvier, devant les députés.

« Le sort des hommes combattants est pour nous nettement moins important que celui des enfants, et des femmes qui sont parties comme volontaires », admet une source proche du dossier. « Une partie de ceux qui actuellement lancent des appels au secours pour pouvoir rentrer, ou seraient susceptibles de se rendre, sont sincèrement ébranlés par tout ce qu’ils ont vécu. Mais il y a aussi ceux qui n’ont pas renoncé à leurs convictions et veulent continuer à agir depuis l’Europe », précise un expert qui s’inquiète de ce risque. Environ 680 Français seraient en Irak et en Syrie, dont

275 femmes ; 230 ont été tués.

Sur Jonathan Geffroy, on ne dispose d’aucun élément précis à part la zone où il a été fait prisonnier, dans le nord-ouest de la Syrie, lors des opérations de libération d’Al-Bab. « On peut raisonnablement imaginer qu’ayant été pris par l’ASL, il sera transféré aux autorités d’Ankara, mais pour le moment nous n’avons reçu encore aucun appel d’un centre de rétention turc », explique-t-on de source diplomatique française. La complexité de la situation sur le terrain empêche aussi de prévoir le sort possible d’éventuels captifs. Et du point de vue du droit, les cas de l’Irak et la Syrie sont totalement différents.

L’Irak est un pays allié de la France, mais avec lequel celle-ci n’a pas de traité d’extradition, ce qui n’exclut pas toute coopération judiciaire. « Les combattants qui tomberont aux mains des forces irakiennes seront soumis à la justice irakienne, le pays où ils ont commis leurs crimes », avait affirmé François Hollande à Bagdad, le 2 janvier, tout en s’inquiétant « du sort des enfants mineurs qui devront, une fois revenus sur le sol national, être accompagnés dans des thérapies de déradicalisation ».

En Syrie, les diverses forces en présence (Armée syrienne libre, islamistes non-djihadistes, Kurdes) n’obéissent à aucune autorité étatique. Il faudrait donc négocier au cas par cas le sort des prisonniers. Le casse-tête s’aggrave en cas de prise par le régime de Bachar Al-Assad. La France assumera-t-elle de laisser croupir ces captifs dans les geôles d’un dictateur dénoncé comme un des pires tortionnaires du siècle ? Négocier le rapatriement des familles ne sera pas plus simple, car Paris a interrompu ses relations diplomatiques avec Damas.

« Pris dans l’étau »

Pour ceux qui arriveront jusqu’en Turquie, l’issue devrait être plus favorable. La coopération entre Paris et Ankara fonctionne plutôt bien, depuis l’accord bilatéral passé en octobre 2014 sur le traitement judiciaire des djihadistes français en Syrie. Quelque 200 citoyens français partant ou sortant de Syrie ont été arrêtés sur le sol turc, et placés en centre de rétention administrative avant d’être renvoyés en France.

Le flot des arrivants avait commencé à sérieusement ralentir dès le premier semestre 2016. Celui des sortants s’est presque tari depuis l’été 2016 et le lancement, dans le nord de la Syrie, de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » par l’ASL, encadrée par les forces turques.

« Pris dans l’étau, les djihadistes français ont toutes les raisons de vouloir revenir, mais c’est désormais presque impossible pour eux d’arriver jusqu’à la frontière turque », souligne une source proche du dossier. A peine cinq passages enregistrés en janvier. Il leur faut en effet traverser des territoires contrôlés par des groupes divers, mais tous anti-EI. Certains d’entre eux ont été capturés par des milices qui tentent de les monnayer contre de l’argent ou d’autres avantages.