Par Le Monde – Alain Frachon
Le président américain enterre un mythe : le « processus de paix ». Washington n’exerce plus aucune pression. Les Etats-Unis n’interviennent plus comme parrain de la négociation, ils en deviennent les notaires.
Un Etat israélo-palestinien, binational ? Ou bien deux Etats – Israël d’un côté, la Palestine de l’autre ? C’est comme vous le sentez. Vraiment. Les Etats-Unis n’ont pas de préférence. Sur la question israélo-palestinienne, la « ligne » Trump est accommodante.
Le 45e président américain n’a pas d’idée arrêtée. Il ne veut rien imposer. L’important est qu’il aime bien Benyamin Nétanyahou. « Un type intelligent, un grand négociateur », a dit Donald Trump, recevant, mercredi 15 février, le premier ministre israélien à la Maison Blanche.
« Bibi » Nétanyahou rayonnait. Il est reparti satisfait à Jérusalem. Washington n’exige plus rien. Le chef de la droite israélienne détestait Barack Obama, qui le lui rendait bien.
La doctrine Trump, en revanche, convient tout à fait à Nétanyahou. A défaut d’être claire, elle a le mérite de la simplicité : « Je regarde [la solution] à deux Etats, [puis à] un Etat, a déclaré le président américain, et si les Palestiniens et les Israéliens sont contents, je suis content avec ce qu’ils préfèrent. » Simple ?
Le mythe du « processus de paix » enterré
Trump enterre un mythe : le « processus de paix ». Washington n’exerce plus aucune pression. Les Etats-Unis n’interviennent plus comme parrain de la négociation, ils en deviennent les notaires. Ils enregistreront l’accord final – s’il y en a un, un jour. On peut attendre longtemps.
Laissés à eux-mêmes, face à face, Israéliens et Palestiniens ne sont jamais arrivés à rien. Il a toujours fallu leur tordre le bras. Les progrès ont été accomplis dans la coercition, venue de l’extérieur. Aujourd’hui, Israéliens et Palestiniens sont perplexes. Trump souffle le chaud et le froid, défend des positions contradictoires et il a réussi cette performance : brouiller un peu plus encore une situation déjà complexe.
Au début, la majorité de droite à Jérusalem exultait. Trump était « son » président, « un vrai ami d’Israël ». Cette majorité représente ce qu’on appelle le « parti des colons ». Elle ne veut surtout pas d’un Etat palestinien dans les territoires occupés par Israël depuis la guerre de juin 1967 : la bande de Gaza, la partie orientale de Jérusalem et la Cisjordanie – et elle multiplie les implantations dans ce dernier territoire.
Le candidat Trump n’a émis aucune réserve sur la colonisation. Tant pis si cette entreprise torpille la possibilité de créer un jour un Etat palestinien sur un territoire viable et continu. Et tant pis si elle va ainsi à l’encontre de la solution préconisée par les Etats-Unis depuis vingt ans – celle dite des
« deux Etats ».
L’absence de leadership palestinien n’aide pas. Le mouvement national palestinien est miné par la division. Gaza est contrôlée par les islamistes du Hamas et la Cisjordanie par le Fatah, les uns et les autres incapables de s’entendre.
Retour à des positions plus classiques
Sur la question israélo-palestinienne, l’entourage de Trump est militant. Son gendre Jared Kushner, de même l’homme choisi pour être le nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Israël, David Friedman, ou encore l’un des gros contributeurs de la campagne Trump, le roi des casinos Sheldon Adelson, tous sont pour la colonisation de la Cisjordanie – qu’ils financent et appuient – et contre la création d’un Etat palestinien. Le candidat Trump a promis de déménager au plus vite l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
Le « parti des colons » en Israël avait toutes les raisons de se féliciter du nouveau président. Mais, patatras !, la complexité de la réalité a vite recentré Trump sur des positions plus classiques.
Les « adultes » dans son équipe – le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, le secrétaire à la défense, James Mattis, la représentante aux Nations unies, Nikki Haley – ont rappelé le président à l’ordre : la colonisation « ne facilite pas » la recherche de la paix, laquelle, ont-ils dit, repose toujours sur la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Retour à des formulations « obamesques ».
Pour être confirmé par le Congrès, David Friedman a renié son passé et juré qu’il était maintenant « converti » à la solution des deux Etats. Il n’est plus question de déménager l’ambassade. A Jérusalem, le dernier gentleman de la droite israélienne, le président de l’Etat, Reuven Rivlin, a rappelé une vérité. « Un seul Etat », cela veut dire les mêmes droits pour tous les ressortissants de cet Etat.
Contourner l’obstacle
Entre le Jourdain et la Méditerranée, Israéliens et Palestiniens seront vite en nombre à peu près égal (cinq millions). S’ils sont citoyens à parts égales, c’est la fin d’un Israël majoritairement juif. S’ils ne le sont pas, c’est la fin d’un Israël démocratique. Dans un cas comme dans l’autre, l’idéal sioniste d’un Etat juif et démocratique est trahi.
Trump cherche à contourner l’obstacle. Il demande à Nétanyahou de « limiter un peu » les implantations. Mais « un Etat, deux Etats », ça, il ne sait pas. Il reprend la vieille idée d’une mobilisation des capitales arabes amies de Washington : celles-là – Le Caire, Ryad, Amman – et Jérusalem ont un intérêt stratégique commun face à l’expansionnisme iranien dans la région.
Logiquement, ils doivent collaborer à la recherche de la paix israélo-palestienne. Problème pour Trump : depuis 2002, les Arabes posent la création d’un Etat palestinien comme condition à la normalisation de leurs relations avec Israël. D’où l’insistance avec laquelle les « adultes » de l’administration Trump ont réitéré l’engagement des Etats-Unis en faveur d’un Etat palestinien. Et partiellement contredit leur président…
Comme sur les autres grands dossiers de politique étrangère, Trump ne sait pas où il va. Dans le New York Times, Maureen Dowd, citant l’un des biographes de Trump, qualifie ce dernier
d’« empereur du chaos ». Ce n’est pas ce dont le Proche-Orient a besoin en ce moment.