La polémique sur le dispositif de sécurité à Nice, le soir du 14-Juillet, prend de l’ampleur

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email
LE MONDE |  Par Paul Barelli (Nice, correspondant) et Julia Pascual

Aucun sujet ne sera épargné. Ni l’itinéraire du camion, ni le nombre de caméras de vidéosurveillance qui l’ont aperçu, ni le nombre de policiers présents sur sa route, ni les secondes qu’il aura fallu aux forces de l’ordre pour tenter de neutraliser Mohamed Lahouaiej Bouhlel dans son expédition meurtrière du 14 juillet. Près d’une semaine après la tuerie de la promenade des Anglais, la polémique autour du dispositif de sécurité mis en place le soir de la fête nationale à Nice continue de prospérer. Lundi 18 juillet, le bureau politique du parti Les Républicains (LR) a demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire.

Particulièrement remonté, le premier adjoint au maire (LR) de Nice, Christian Estrosi, n’a pas hésité à accuser le ministre de l’intérieur de mensonges. Celui qui a dirigé la ville de 2008 à début juin jure, d’après les images de vidéosurveillance, qu’« il n’y avait pas les 64 policiers nationaux annoncés par la préfecture. Bernard Cazeneuve a menti. L’enquête le démontrera ».

Face à ces accusations, la préfecture des Alpes-Maritimes est sortie de sa réserve samedi 16 juillet. Dans un communiqué, elle a détaillé les effectifs déployés ce soir-là pour sécuriser une foule de quelque 30 000 personnes. En plus des 64 policiers nationaux, 42 policiers municipaux et 20 militaires de la mission « Sentinelle » patrouillaient. « Une réunion de la direction départementale de la sécurité publique avec la mairie et deux réunions de la préfecture avec la mairie avaient permis d’organiser le dispositif pour cet événement »,


« Les mêmes conditions de sécurité que pendant l’Euro »

Mais M. Estrosi n’en démord pas :

« On ne m’a pas dit quel était l’état de la menace, ni le nombre de policiers nationaux mobilisés. Le préfet me demande un certain nombre de policiers municipaux et je les lui mets à disposition. C’est lui qui a la main pour préparer, organiser, gérer. Il m’a garanti les mêmes conditions de sécurité que pendant l’Euro, je n’avais pas de raison de m’inquiéter. »

Celui qui est aussi président de la région PACA se dit floué à l’arrivée : pas assez de policiers ni de renforts militaires, pas de CRS, pas de chicanes en béton telles qu’installées pendant l’Euro sur l’axe qui conduisait au stade de foot… « S’il y avait eu plus d’effectifs nationaux sur le parcours du camion, le chauffeur aurait été abattu dès les premières 10 ou 15 secondes », assure M. Estrosi. Au lieu de quoi, « l’alerte a été donnée vingt secondes après » que Mohamed Lahouaiej Bouhlel a pénétré la zone piétonne de la promenade des Anglais et « il a été abattu 25 secondes plus tard ».

Un calcul que refuse d’envisager Luc Poignant, du syndicat de police Unité SGP-FO : « Il est facile de critiquer a posteriori mais dans l’absolu, avec plus de 100 policiers, il y avait assez d’effectifs. Nous avons été confrontés à une forme d’attaque qu’on ne pouvait pas prévoir. » Même réserve de Jean-Marc Bailleul, du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, SCSI : « A partir du moment où vous êtes sur une esplanade dont vous bloquez les deux extrémités, il n’y a pas besoin de mille policiers. »

Jeudi, le camion de Mohamed Lahouaiej Bouhlel a en tout cas contourné le  barrage fait de véhicules et de barrières qui délimitait la zone piétonne, en montant sur le trottoir. Sa trajectoire aurait-elle été différente si le barrage avait été composé de plots en béton ? Et si les exhortations de l’organisation Etat islamique avaient été davantage appréhendées, le trottoir aurait-il lui aussi été condamné ? « Il y a eu forcément une faille, et cela n’aurait jamais dû se produire, croit René Colomban, le président du syndicat des plagistes Nice-Côte d’Azur. La période de deuil passée, les plaies pansées, on devra analyser la manière dont personnes pour assister ici à un spectacle. »


Appréhension des événements festifs

Derrière des questions en suspens, c’est toute l’appréhension des événements festifs et des rassemblements à venir qui se pose, alors que Paris-Plages devait débuter ce mercredi, que le Tour de France et le Festival d’Avignon se poursuivent, et que les festivals d’Aurillac ou de Marciac se préparent. D’après Le Figaro, à l’occasion de Paris-Plages, en plus des dispositifs de filtrages à plusieurs niveaux sur le mode des fans zones, la mairie de Paris a décidé de mettre en place des barrières et des structures en béton pour empêcher la circulation de véhicules.

« Il est peut-être nécessaire de repenser le service de sécurité, concède Luc Poignant. Mais sur un 14-Juillet où toutes les villes célèbrent la fête nationale en même temps, il est impossible d’avoir le même niveau de sécurité que sur l’Euro, nous n’en avons pas les moyens. A ce moment-là, on peut envisager de ne pas faire de 14-Juillet, mais un terroriste trouvera toujours un lieu pour son action. Ce n’est pas le lieu qu’il faut traiter, c’est le terroriste. »

« Evidemment qu’il faut continuer à rehausser nos dispositifs, considère le député PS Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission d’enquête sur les attentats de 2015. Lors de nos déplacements en province, on a bien senti qu’il y avait une mise à niveau importante en matière de sécurité par rapport à ce qu’il se fait à Paris. » Mais le député de prévenir : « Un pays comme Israël a des dispositifs sans commune mesure. Ça ne les empêche pas de connaître des attentats. »

Sans s’en cacher, le syndicaliste Jean-Marc Bailleul se résout à un certain « fatalisme » : « Il faut oser dire que la police ne peut pas tout et qu’il y a une part d’irrationnel, d’imprévisible devant ce genre d’actes isolés. » Nice est la ville la plus vidéosurveillée de France, avec plus de 1 250 caméras. Des caméras devant lesquelles le poids lourd de Mohamed Lahouaiej Bouhlel est passé plusieurs fois. Les 12 et 13 juillet, au volant du camion blanc, le tueur a vraisemblablement fait des repérages sur la promenade des Anglais. La circulation des poids lourds est pourtant interdite sur le bord de mer. Mais les yeux les plus nombreux de France ne l’ont pas regardé.