François Heisbourg : les mesures prises contre le terrorisme sont inefficaces et dérisoires

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LE MONDE |Par François Heisbourg (Conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique)

Combien de morts et de blessés, combien de familles ravagées, combien de Français atterrés et d’alliés sidérés avant que les autorités de notre pays ne se ressaisissent – en admettant que cela leur soit possible ? En tant que membre du comité de pilotage du Livre blanc gouvernemental La France face au terrorisme (2006) et des versions successives du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale sous les présidents Sarkozy et Hollande, je suis professionnellement porté à l’analyse clinique et non émotive des problèmes de sécurité, et d’un naturel plutôt flegmatique.

Je sais donc aussi que l’antiterrorisme, comme la lutte contre les autres formes de criminalité extrême, est un combat au long cours, sans recettes miracles. Je connais aussi le dévouement et la qualité des hommes et des femmes de nos services de renseignement et de sécurité. Il en a fallu beaucoup pour que je cède à la colère après les attentats de novembre 2015, devant le refus obstiné du gouvernement de mettre en place une commission nationale d’enquête afin de corriger les erreurs du passé et du présent.

Du moins avais-je été entendu de parlementaires de la majorité et de l’opposition. Cette dernière, malgré les risques réels de mise en cause des fautes commises pendant la présidence Sarkozy, avait pris la responsabilité de lancer la création d’une commission d’enquête parlementaire. Certes, l’exercice était difficile, naviguant entre le respect de la sphère couverte par l’enquête judiciaire et le risque que les réticences gouvernementales pèsent sur la qualité des témoignages des acteurs du drame.

Ma colère fit donc place à une espérance nouvelle quand la commission d’enquête a présenté son rapport, neuf jours avant le massacre du 14 juillet. Malgré les limites de l’exercice, la commission a bien travaillé, sous la houlette d’un président et d’un rapporteur appartenant à des partis opposés, mais également soucieux de l’intérêt national.

Renseignement de proximité

Sans prétendre résumer ici leurs travaux et sans nécessairement en partager la totalité des analyses et des recommandations, quelques points saillants me paraissent difficilement contestables. Ainsi, la remise sur pied d’un renseignement de proximité digne de ce nom, dont les 240 000 fonctionnaires des forces de gendarmerie et de police fournissent les bases humaines, devrait aller de soi et avec elle, la mise en commun des moyens de pilotage. La création d’une agence de l’antiterrorisme adossée à la présidence la République, comme il en existe au Royaume- Uni ou aux Etats-Unis, serait bienvenue, en lieu et place du seul ministère de l’intérieur. Le coordinateur national du renseignement devrait, comme certains de ses homologues étrangers, disposer d’une capacité de planification interservices : cette option avait d’ailleurs été envisagée, mais, hélas, non retenue pendant les travaux du Livre blanc du quinquennat Sarkozy.

Et, bien sûr, la commission pointait le caractère inacceptable de la « guéguerre » mortifère que continuent de se livrer police nationale et gendarmerie : pourtant, depuis 2009, les deux forcesn relèvent du ministère de l’intérieur. Certes, il n’est jamais facile de mettre fin à plus de deux siècles de pratiques et de règlements, mais la vie des Français est à ce prix. Plusieurs ministres se sont succédé place Beauvau depuis 2009, mais rien ne paraît y faire.

Du sérieux et du caractère

Ces réformes et d’autres ne suffisent point à la lourde tâche à laquelle sont confrontés les acteurs du contre-terrorisme. Elles n’en sont pas moins indispensables, et elles ont le double avantage de ne pas être budgétivores et de pouvoir recevoir un début de mise en œuvre rapide. Encore faudrait- il faire acte d’autorité politique, au risque de fâcher telle ou telle corporation, tout en devant expliquer pourquoi cela n’a pas été fait plus tôt. Autrement dit, il faut du sérieux et du caractère aux plus hauts niveaux de l’Etat.

Aussi, ma colère reprit quand j’ai été le témoin, comme les autres Français, de la manière dont le ministre de l’intérieur a traité le rapport – et le rapporteur de la commission d’enquête. « Circulez, il n’y a rien à voir », fut alors en substance la réponse du gouvernement. A la colère s’ajoutent maintenant l’amertume et la honte, après le massacre du 14 juillet. Les réponses immédiates du gouvernement tiennent en quelques phrases : l’état d’urgence est reconduit, alors qu’il n’avait pas fait preuve de son efficacité cette nuit-là ; aux militaires épuisés d’une opération Sentinelle dont la pertinence opérationnelle est difficile à saisir s’ajouteront les effectifs de nos maigres réserves opérationnelles ; le renforcement des opérations en Irak et en Syrie, sans qu’il soit évident que cela empêche un terroriste de louer un poids lourd sur la Côte d’Azur ; et trois jours de deuil national…Il n’est pas trop tard pour s’engager dans la voie du redressement. Nos responsables en sont-ils capables ?