L'armée israélienne est-elle toujours invincible?

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Face à des menaces plus diffuses, Tsahal se prépare aux affrontements les plus durs, sur tous les fronts.

Source : Le Figaro, de son envoyé spécial Alain Barluet

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Tsahal, les «Forces de défense d’Israël», matrice historique de l’État hébreu et symbole de sa résilience, est à la croisée des chemins. Pour les Israéliens, leur armée reste l’institution en laquelle ils ont le plus confiance (93 %), devant le président de l’État (76 %). Même si les experts peuvent en débattre, Tsahal n’a jamais connu de défaite stratégique depuis 1948. Il le proclame depuis toujours: pour continuer à exister, le pays ne peut pas se permettre de perdre. Cela ne l’a pas empêché de connaître des échecs tactiques retentissants, comme lors de la seconde guerre du Liban, en 2006. Le traumatisme de la guerre du Kippour, en 1973, avec ses 3000 morts et ses 8000 blessés, demeure dans les esprits. Qu’en sera-t-il demain? Les «printemps arabes» ont éparpillé les menaces, Daech campe dans le Sinaï et face au Golan. Sur le «front arrière», l’«intifada des couteaux» illustre la mue diffuse d’un terrorisme individuel animé par les réseaux sociaux. L’armée israélienne doit aussi gérer son équation interne, sa légitimité morale parfois contestée, la montée en son sein des soldats nationaux religieux, ainsi que les pics de tensions, récurrents, avec le pouvoir politique. Tsahal, c’est certain, prépare sa prochaine guerre.

1 / Quelles nouvelles menaces ?

«Je suis dans l’armée depuis trente ans. Pendant vingt ans, il ne s’est rien passé sur le plan stratégique au Moyen-Orient. Et puis, depuis sept ou huit ans, tout a changé et nous en ressentons l’impact tous les jours»: en charge de la planification, le général de division Amikam Norkin, numéro 4 de Tsahal, est au cœur de la réflexion sur l’articulation des différentes menaces et la priorité à leur accorder. Le nucléaire iranien, le Hezbollah, Gaza, la Syrie, Daech? Selon le général Norkin, Tsahal travaille sur trois temps de préparation: la réactivité immédiate (T0), l’horizon à cinq ans (T5) et à quinze ans (T15). Contrainte fondamentale, le budget militaire – 15 milliards de dollars annuels (5 % du PIB) qui ne devraient pas augmenter. Pour le général Norkin, le Hezbollah reste la principale menace aux frontières. Le mouvement compte 25.000 combattants. Même s’il est accaparé actuellement par la Syrie – 6000 combattants, 1500 y ont été tués -, ses capacités sont très préoccupantes: nombreux missiles et roquettes de tous types (de 12 à 700 kilomètres de portée) et ses moyens croissants, en termes d’équipements (blindés, drones…) mais aussi d’aptitude à opérer des manœuvres «interarmées» coordonnées. «Le danger potentiel se situe sur le front Nord, avec l’axe radical chiite Iran-SyrieHezbollah», confirme le journaliste Ron Ben-Yichaï, le spécialiste des affaires militaires du quotidien Yediot Akharonot. Sur le long terme (T15), les spécialistes israéliens continuent de qualifier l’Iran de «principale menace». Il ne fait pas de doute, pour ces mêmes spécialistes, que le Hamas, quoique sous pression, prépare à Gaza de nouvelles offensives. Selon David Khalfa, chercheur à l’Institut pour la prospective et la sécurité en Europe (IPSE), «l’objectif du Hezbollah comme du Hamas est désormais de porter le conflit sur le territoire israélien. Déclencher avec un blitzkrieg une invasion terrestre ciblée et à forte charge symbolique, pour casser le moral de la population». Une incursion, via un tunnel, et l’attaque d’un kibboutz comme ce fut le cas en juillet 2014, serait considérée comme une «victoire» du Hamas dans la guerre asymétrique à laquelle se livrent Israéliens et combattants islamistes palestiniens. Affiliée à Daech, la brigade des martyrs de Yarmouk «tient» 10 % du front syrien face au Golan mais ne s’en prend guère à Israël – jusqu’à présent. Au Sinaï (700 djihadistes), les menaces sont tangibles – incursions, attaques suicides, missiles… – , mais Tsahal mise sur sa bonne coopération avec les services égyptiens. Tous les scénarios sont envisagés, y compris les plus durs, telle une attaque simultanée sur plusieurs fronts. Cette éventualité n’est pas la plus probable, tant les ennemis d’Israël sont divisés. Mais la région reste hautement inflammable. Et tous les engrenages sont possibles. «Tsahal doit se préparer sur deux fronts: si un conflit éclate à Gaza, il est fort possible que le Hezbollah et le Liban soient aussi sur la photo», relève Ron Ben-Yishaï.

2 / Quelles réponses ?

Non loin du kibboutz Nahal Oz, face à Gaza, l’officier du renseignement israélien scrute le territoire palestinien où, à cette distance, tout semble immobile. Dans le secteur, «ces derniers dix mois ont été les plus calmes de ces quinze dernières années», constate-t-il. Les embrasements sont cycliques, tous les deux ou trois ans (2008-2009, 2012, 2014…). «Ce silence, c’est le silence de ceux qui creusent», lâche-t-il. Les tunnels, vieux cheval de Troie du conflit israélo-palestinien, restent une hantise. Naguère défensifs, contre la suprématie aérienne israélienne, ils sont devenus une arme offensive à laquelle le Hamas consacre des sommes considérables. Lors de l’opération «Bordure protectrice», en 2014, Tsahal en a détruit trente-cinq. Mais les tunnels restent un talon d’Achille. Le prochain conflit pourrait se livrer sous terre. Des moyens de détection ultraperfectionnés (senseurs sismiques, relevés satellites…) ont été mis en place. Sur la vaste base militaire de Tzeelim, dans le Neguev, où une véritable ville arabe – avec sa «mosquée Arafat» et son marché – a été reconstituée, les fantassins de Tsahal s’entraînent pour la guerre des tunnels. Trois mille soldats passent chaque mois dans ces boyaux, et pas seulement les forces spéciales comme auparavant. Sur un autre pan du spectre sécuritaire, Tsahal lutte contre les attaques au couteau (38 morts, 487 blessés), en lien étroit avec le Shabak (autrefois appelé Shin Beth), le service de sécurité intérieure, et les agents de l’Autorité palestinienne. Profilage, recours au Big Data: le défi est d’anticiper au maximum le passage à l’acte de «loups solitaires», difficilement traçables, souvent des jeunes à problèmes sans liens avec les organisations traditionnelles (Fatah, Hamas…) mais avec Facebook ou Twitter. «C’est un succès, nous avons réduit la violence au niveau d’il y a un an», se félicite le général Norkin. Mais la «viralité» est désormais un risque omniprésent – par exemple un simple message sur la Toile – affirmant qu’on ne peut aller prier sur l’esplanade des Mosquées… – et qui mettrait le feu. Pour Pierre Razoux, directeur de recherches à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), «face à une nouvelle donne où des menaces diffuses pourraient surgir de partout (…), l’armée israélienne se doit de penser la guerre tous azimuts et se préparer à toutes les formes d’affrontements: raids en profondeur, lutte anti-insurrectionnelle, guerre urbaine, guerre mécanisée de haute intensité, interception de missiles et action navale». La marine israélienne (dotée notamment de deux sous-marins allemands Dolfin) est largement sollicitée pour prévenir les incursions côtières et protéger les plateformes pétrolières israéliennes. Pour David Khalfa, «Israël pratique la dissuasion cumulative, employant la force quand c’est nécessaire pour maintenir le statu quo vis-à-vis de ses adversaires. C’est un conflit sisyphien». L’objectif n’est pas tant la victoire militaire que le maintien d’un rapport de force favorable.

3 / La haute technologie, arme fatale?

En apparence, c’est un banal 4 × 4 Ford, hormis ce mât télescopique qui surmonte la cabine. Le «Seguev» (3,5 tonnes, 40 km/heure, 1,4 million d’euros l’unité) est le nouveau drone terrestre de Tsahal. Sa mission: patrouiller dans les zones dangereuses, comme le long de la frontière avec Gaza. Bardé de caméras, l’engin est piloté à distance, depuis un bunker enterré sous la base de Kissoufim. Dans ce poste de commande, on trouve uniquement des femmes – jugées plus aptes à la concentration prolongée sur les écrans de surveillance. Bientôt armé d’une mitrailleuse 12,7 mm, le «Seguev» devrait être déployé à terme sur toutes les frontières d’Israël, explique le capitaine Avidav Goldstein, commandant de la compagnie en charge des véhicules autonomes. Autre visage du bouclier technologique de Tsahal, une batterie mobile antimissile du «Dôme de fer» veille à proximité de la ville côtière d’Ashkelon, au nord de Gaza (http://premium.lefigaro.fr/international/2014/07/14/01003- 20140714ARTFIG00213–ashdod-le-dome-d-acier-veille-sur-la-population.php). Il en existe une dizaine dans le pays. En 2014, sur les 3 360 roquettes tirées depuis Gaza, 584 ont été interceptées par «Iron Dome» qui n’est mis en œuvre que lorsque des zones habitées sont menacées. Pour les interceptions à moyenne et longue portée, le taux de succès est de 95 %. La dernière remonte à l’an dernier. Le «Dôme de fer» est renforcé par deux «couches» antimissiles, «Fronde de David» et «Flèche» (pour les hautes couches de l’atmosphère). Dans un autre domaine prioritaire, la guerre cybernétique, on parle aussi d’un «Dôme de fer digital».

La montée en puissance capacitaire est flagrante et progressive de part et d’autre, mais Tsahal, logiquement, garde le leadership technologique. «Tsahal travaille maintenant de façon intégrée en manœuvre terrestre interarmes et interarmées (terre, air, marine) avec les hélicoptères de combat, les drones tactiques et stratégiques et le soutien aérien rapproché. C’est un changement de posture destiné à relever le défi des adversaires hybrides: l’armée a été digitalisée», relève David Khalfa. Est-ce suffisant? Non, répond le chercheur, «la haute technologie offre des réponses tactiques et opérationnelles au défi de la guerre asymétrique mais elle ne suffira pas, à elle seule, pour l’emporter…». Sans doute est-ce pour cette raison que Tsahal veut mettre en avant ses initiatives dans le domaine civilo-militaire et «humanitaire». Au carrefour de Goush Etzion, sur la route entre Jérusalem et Hetzion, où 30 attaques ont eu lieu depuis le début de l’année, rencontre avec un officier de Tsahal. Il vante la nécessité de préserver ce lieu symbolique où se croisent tous les jours Israéliens et Palestiniens, voulant dire aussi qu’à l’avenir, les guerres d’Israël ne pourront être menées sans «soft power»