Rama Yade : Israël a une « remarquable capacité de résilience »

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Par le Times Of Israel – Dahlia Perez

L’ancienne secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, candidate à l’élection présidentielle française, se confie sur l’Unesco, l’abattage rituel, les femmes, les Juifs de France, la société israélienne et plein d’autres questions.

Rama Yade, c’est un parcours fulgurant en politique. Secrétaire d’Etat en charge des Affaires étrangères et des Droits de l’Homme sous Nicolas Sarkozy, puis administratrice du Sénat et conseillère régionale, la jeune femme de conviction est aujourd’hui, dans la continuité de son parcours, candidate à l’élection présidentielle de 2017 sous la bannière de son propre mouvement, « La France qui ose ». Rama Yade s’est unie en 2005 avec l’historien Joseph Zimet, fils du chanteur et hazan yiddish Ben Zimet, avec qui elle a eu une fille, Jeanne, en 2013.

En visite en Israël pour nous parler des femmes en politique, et pour aller à la rencontre d’une société « qui bouge », elle nous en dit plus sur son programme. Entretien.


Times of Israël : Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques jours de votre venue en Israël ? 

Rama Yade : Ce n’est pas ma première visite. Je suis dans un état d’esprit constructif et positif, désireuse de partager mon expérience de femme en politique avec d’autres femmes, dont je suis très admirative du parcours.

Claude Brightman (présidente du Campus francophone du Collège académique de Netanya, ndlr), qui est à l’origine de cette invitation et que je remercie, m’a fait un grand honneur. Il est vrai que sur la question des femmes il y a beaucoup à dire, et c’est bien qu’il y ait un partage d’expérience.

Nous devons constituer un réseau de solidarité. Malgré les différences entre nos pays, la condition des femmes est partout et d’abord une aspiration à la liberté et à l’égalité face à des conservatismes de tous ordres.


Y-a-t-il des lieux que vous souhaitez visiter en priorité, des personnalités politiques du pays que vous avez prévu de rencontrer ? 

Ma visite est concentrée sur la société civile cette fois. Comme ma campagne présidentielle en France. La politique, je laisse cela à d’autres. Ce qui m’intéresse, c’est le dynamisme des sociétés civiles.

Je participerai donc à la conférence « Etre femme en politique » sur le campus du Collège académique de Netanya. Autre chose, le drame syrien, en particulier Alep, évolue mal : je suis intéressée par visiter l’hôpital qui accueille les enfants victimes de la guerre.

La coalition internationale a une grande responsabilité dans cette tragédie : sans stratégie, incohérente, elle multiplie les victimes collatérales sans affaiblir l’EI qui vient de reprendre Palmyre.

Enfin, parce que l’avenir se prépare maintenant, je voudrais rencontrer la jeune génération politique israélienne pour établir une convergence entre jeunes responsables politiques de nos deux pays. C’est important d’entamer le dialogue pour préparer l’avenir.

Vous le voyez, la société civile israélienne bouge : de France, on a l’image exclusive d’un pays en guerre.

Mais Israël, c’est d’abord une société civile, innovante. Au-delà de la dureté du quotidien, elle a une remarquable capacité de résilience.

Le leadership de la société israélienne dans le domaine de la technologie en est la manifestation la plus éclatante. Tel-Aviv est dans un perpétuel élan vital.

Au moment où la France est déstabilisée par des actes terroristes d’une extrême intensité, on se dit que les Français pourraient prendre exemple sur cette incroyable capacité de résistance.

Comment l’un des pays les plus exposés à l’angoisse et la violence peut-il faire preuve d’autant d’optimisme ? C’est la grande question.

Ce qui m’intéresse, c’est la jeunesse, c’est les starts-up, les associations, les entreprises, toute cette créativité-là. Le programme de ma visite est donc moins politique que civil.


Que pensez-vous de la récente résolution de l’UNESCO qui nie les liens historiques entre le peuple juif et le mont du Temple, considéré comme lieu saint uniquement pour les musulmans ? 

Cette démarche n’a rien de nouveau. Vous savez, en avril, une résolution similaire a déjà été adoptée, poussant Israël à ne plus verser sa contribution financière à l’UNESCO.

Le patrimoine est un enjeu puissant qui cristallise des antagonismes territoriaux dans bon nombre de pays. Objectivement, concernant le mont du Temple, ou Esplanade des Mosquées, chacune des communautés a le droit à une reconnaissance de sa relation avec ce patrimoine.

J’ai été ambassadrice à l’UNESCO pour la France en 2011. Le débat faisait déjà rage mais l’UNESCO étant d’abord une instance de dialogue et de culture, nous avions pris le parti de ne pas en prendre pour privilégier la préservation de ces monuments via des coopérations entre experts des deux parties.

La mission de l’UNESCO n’est pas de trancher si un tel lieu doit revenir aux uns ou aux autres. Derrière la modestie de l’objectif, il y avait des progrès considérables, qui se concentraient sur la protection de ce patrimoine par les deux parties.


Pouvez-vous m’en dire dire plus sur cette conférence « Être femme en politique » que vous allez donner prochainement au Collège académique de Netanya ? Quels thèmes vous tiennent à cœur, que souhaitez-vous aborder ? 

Je ne viens pas seulement pour apporter mon témoignage, partager mon expérience, mais aussi pour écouter celle des autres femmes. J’ai publié l’année dernière une anthologie du machisme en politique, revenant sur l’engagement politique des femmes depuis le droit de vote en 1944.

Ce ne fut pas une marche triomphale mais une lutte acharnée pour la liberté, du droit à disposer de leur corps jusqu’à la parité.

Aujourd’hui encore, le sexisme politique, cette délinquance en col blanc, continue de sévir et d’entraver la progression des femmes. Les scandales sexuels font d’ailleurs de plus en plus parler.

Sur le plan économique, à compétence égale, les femmes continuent de subir des écarts salariaux de 25 % par rapport aux salariés masculins. Sans parler du temps partiel subi à 80 % par les femmes. Les études récentes ont montré qu’en discriminant les femmes sur le terrain économique par exemple, le pays se privait d’une richesse supplémentaire.

A l’amputation démocratique répond une amputation économique.

La question des femmes ne relève pas de la diversité ou de l’humanitaire ou du social, c’est une question éminemment démocratique. J’en ai fait une priorité de ma campagne présidentielle.

A la veille des élections présidentielles en France, il est important de pouvoir être sur la ligne de départ, car autrement il n’y aura que deux femmes qui seront candidates. Nathalie Arthaud, qui représente l’extrême-gauche, et Marine Le Pen qui représente l’extrême-droite.

Je pense que les femmes françaises ne peuvent décemment pas être représentées dans ces élections présidentielles uniquement par deux extrémistes.

Enfin, il y a les droits primaires que l’on pensait acquis depuis les années 1960 et qui sont aujourd’hui remis en cause dans certains milieux, comme, par exemple, le droit de s’habiller comme on veut.

On recule de manière incroyable : chez certains dans la jeune génération, la femme, c’est soit le porno soit le voile ! Chez certains intellectuels neo-réacs, ce n’est guère mieux.


Le cycle proposé a pour thème ‘Femmes, sources et miroirs du monde’ et se propose de nous faire connaître des femmes dont la personnalité représente une référence, non seulement féministe mais aussi historique. Avez-vous des modèles, des parcours de femmes exemplaires qui sont justement une référence pour vous ?

Des femmes exemplaires, il y en a beaucoup, dans l’histoire de la France et dans le monde. Des célèbres, mais aussi tellement d’anonymes !

Beaucoup se sont sacrifiées pour que nous puissions être aujourd’hui des femmes libres. En ce sens, je me sentirais toujours féministe car je sais ce qu’on leur doit, à ces femmes-là.

Parmi les plus connues, citons Rosa Parks ou Simone Veil. Et puis il y a les anonymes. Je pense aux Samira Bellil ou Sohane Benziane qui dans les années 1990 ont été aussi des martyres de la cause féminine.

Et puis j’ai aussi beaucoup d’admiration pour ces femmes d’Afghanistan ou du Pakistan, en passant par la Tunisie, qui ont formé des cortèges de manifestantes réclamant l’égalité des droits et qui continuent à le faire. Dans ces pays où leurs droits ne sont pas respectés, et où la liberté d’expression n’existe pas.

J’ai peut-être pour elles encore plus d’admiration car elles n’ont pas forcément les moyens politiques et médiatiques d’être vues et entendues. Elles se sacrifient dans le silence.

Le droit de choisir librement son époux, le droit d’aller à l’école pour les jeunes filles, le droit de voter ou d’être élues, ce sont des combats d’une urgence absolue.


Je vous cite : « Je veux représenter cette France périphérique que les autres partis plus classiques, discrédités ont laissé tomber : la jeunesse, les femmes, les agriculteurs, les artisans, l’outre-mer, les quartiers populaires, les territoires ruraux ». Une campagne axée sur la « France des oubliés ». Parmi les mesures sociales que vous proposez, quelle résonance pour l’électorat juif de France ?

Vous savez, la France des oubliés est plurielle. La jeunesse sacrifiée dans la précarité et le chômage de masse, les femmes discriminées, les petits entrepreneurs dont on punit fiscalement la créativité, les territoires malmenées des quartiers populaires aux zones rurales, cette France oubliée n’est même plus en révolte, elle est en retrait du champ démocratique.

Je veux en être le porte-voix. Elle ne demande pas de compassion mais de la reconnaissance car c’est une France combattante donc innovante qui fait beaucoup avec des bouts de ficelle. Les Français de confession juive peuvent légitimement se considérer comme tels.

Parce que, tout de même, ils ont payé un lourd tribut avec Merah et l’Hypercacher. Ces militaires devant les écoles, ça serre le cœur.

Je n’aime pas qu’on distingue les citoyens français en fonction de leur confession : la France n’est pas de composition tribale, ethnique ou religieuse. Seule la citoyenneté doit définir les Français.

J’aimerais que les Juifs de France se sentent en sécurité dans leur pays. Malheureusement, jour après jour, notre nation éclate sous l’effet de fractures confessionnelles, géographiques, générationnelles, économiques au point où les Français se demandent s’ils ont envie de continuer ensemble.

C’est la raison pour laquelle je souhaite proposer un projet de réconciliation nationale et les Juifs de France y ont leur place. La France est leur pays. Elle n’est pas la même sans eux.


Dans un climat sécuritaire très tendu suite à la vague d’attentats sans précédent qui touche la France depuis deux ans, comment favoriser un mieux-vivre ensemble et le dialogue interreligieux au sein de la République ?

Je pense que l’urgence sécuritaire ne doit pas entraîner de renoncement à la démocratie. C’est une pente dangereuse qui signera notre défaite idéologique.

La crise existentielle qui mine le pays n’a qu’une seule explication : l’absence de projet national commun. Nous devons rebâtir une nation, rien de moins. Réconcilier la France avec elle-même.

On voit bien aujourd’hui qu’il y a une focalisation sur la place de l’islam en France et sa prétendue incompatibilité avec les valeurs de la République. On se souvient de Georges Bensoussan qui avait publié il y a quinze ans Les territoires perdus de la République.

Jusqu’à aujourd’hui, c’est la même question qui se pose, sur fond de vagues migratoires, avec l’arrivée des réfugiés. Le camp de Calais a exacerbé les tensions, comme le prouve la montée du Front national. Pour se retrouver, la France a besoin de se souvenir de ses principes fondateurs, la laïcité par exemple.

En y renonçant ces vingt dernières années, l’État a laissé triompher dans certains endroits des tendances communautaristes et religieuses. Si on veut chercher à rétablir les principes communs qui font ce vivre-ensemble, il faut que nous remettions la laïcité au cœur du pacte national français. La laïcité, ce n’est ni l’interdiction des religions, ni la liberté de faire ce que l’on veut.


En 2012, François Fillon déclare sur Europe 1 que « les minorités doivent abandonner les traditions ancestrales et l’abattage rituel » et « s’adapter au monde moderne et à la science ». Vous-même souhaitez interdire l’abattage rituel sans assommage comme dans certains pays nordiques. Comment pensez-vous que ce type de mesure puisse-être reçu par la communauté juive de France ?

Contrairement à François Fillon, je ne demande pas l’interdiction de l’abattage rituel, mais l’abattage rituel sans assommage. Ce n’est pas la même chose.

En plus, ma motivation n’a rien à voir avec la religion, mais avec la protection animale. C’est un combat moral : depuis 1976, la loi reconnaît que tout animal est un être sensible et donc ce n’est pas seulement l’abattage rituel qui me préoccupe.

C’est aussi l’agriculture intensive, les poussins broyés, les abattoirs de la honte qui ont défrayé la chronique en 2015. Certains responsables religieux ont d’ailleurs évolué et admettent le procédé de l’assommage, à condition que l’animal soit strictement contrôlé.


Vous avez créé votre propre mouvement, La France qui ose, et êtes candidate à l’élection présidentielle. Je vous cite : « Je veux être une alternative au système classique et un antidote au FN ». Quel message souhaitez-vous faire passer aux électeurs français qui résident en Israël et qui iront aux urnes en avril et mai prochains ?

Les expatriés français qui sont venus ou revenus vivre en Israël ne doivent pas se retirer du champ démocratique, même si la France les a déçus, pour ceux qui sont notamment partis s’installer définitivement en Israël.

La France est leur pays, sur le papier comme dans leur cœur, j’en suis convaincue. J’ai comme eux une double culture qui me vient de ma patrie de naissance et de ma patrie d’adoption. Je suis devenue française à l’âge de vingt-et-un ans, très tard. J’ai autant de vécu comme citoyenne sénégalaise que comme française.

Ma famille compte autant de musulmans que de juifs. Ma fille est le fruit de toute cette richesse… On a beaucoup parlé de concurrence mémorielle entre la mémoire de l’esclavage et celle de la Shoah. Quelle ignorance !

Vous savez, il y a un proverbe antillais qui dit : « Quand on parle du juif, tends l’oreille, on parle de toi ». En 1945, lorsqu’il y a eu la libération du camp de Buchenwald par des soldats noirs américains, Elie Wiesel a rappelé qu’il se souviendrait toujours avec tendresse de ce soldat noir qui pleurait comme un enfant à la vue des corps des déportés.

Alors, quand je vois aujourd’hui des communautés qui s’affrontent sur la mémoire, je me dis qu’ils n’ont aucune culture et qu’il est important par l’éducation de rappeler ces vérités-là. La France s’en porterait bien mieux.

C’est aussi ça, l’esprit de réconciliation nationale.

Rama Yade sera sur le Campus francophone de Netanya le 15 janvier 2017, pour une conférence intitulée ‘Etre Femme en politique’ dans le cadre du cycle « Femmes, Sources et Miroirs du monde ». Réservation : francophonie010@netanya.ac.il