A Mossoul, dans les fabriques d’armes de l’EI

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Par le Monde – Hélène Sallon


Les forces irakiennes découvrent une partie de l’arsenal militaire abandonné par l’organisation Etat islamique : missiles, roquettes, drones et armes chimiques.

Sous la bâche recouvrant une boîte métallique, entreposée au milieu de bâtisses, sur le site des ruines de Ninive, situé sur la rive gauche du Tigre, dans l’est de Mossoul, un missile de six mètres de long, marqué d’inscriptions en russe, a été abandonné par l’organisation Etat islamique (EI). L’odeur qui se dégage de l’engin prend à la gorge. Le général Haïder Fadhel, des forces antiterroristes irakiennes, intime à ses hommes de ne pas s’éterniser. « Les premiers tests indiquent la présence de gaz moutarde. Des spécialistes français ont pris des échantillons pour les envoyer en France. Ils doivent nous communiquer les résultats définitifs », notamment sur la toxicité de l’agent, explique-t-il.

Une citerne et une cinquantaine de congélateurs, utilisés pour conserver les agents chimiques, sont alignés non loin. Dans un hangar, vingt-cinq missiles de fabrication russe d’un mètre et demi de long sont entassés en vrac.

Des traces de gaz moutarde ont également été retrouvées dans un laboratoire de la faculté des sciences de l’université de Mossoul, indique le général Fadhel. Le campus universitaire abritait plusieurs ateliers de fabrication d’explosifs et d’armes chimiques. Le Pentagone a expliqué, mardi 7 février, que des tests avaient révélé la présence de l’agent moutarde à l’université, même si sa toxicité était faible. « Ils expérimentaient la production de missiles remplis de gaz moutarde. Ce type d’armes chimiques n’est pas facile à faire et à manipuler », poursuit le général Fadhel, qui évoque « une guerre psychologique ».

En février 2016, l’ancien directeur de l’Agence américaine de renseignement (CIA), John Brennan, a confirmé l’utilisation d’armes chimiques – notamment de chlore et de gaz moutarde − par l’EI en Irak et en Syrie. Mais leur usage est limité, du fait de la faible qualité des armes dont le groupe dispose et du manque d’accès à des circuits de distribution efficaces, selon les experts. « Ils ont déjà utilisé du gaz moutarde contre nos forces à Ramadi, dans la province de l’Anbar, et à l’est de Mossoul, dans des roquettes tirées par leurs canons Hell. Les soldats étaient un peu étourdis, mais ils se sont habitués », poursuit l’officier des forces spéciales.

Production militaire bureaucratisée

Les armes chimiques ne constituent qu’une infime part de l’arsenal militaire produit par l’EI et découvert au fur et à mesure de la libération des quartiers de l’est de Mossoul, entre novembre 2016 et janvier 2017.

« Ils ne fabriquent pas de mitraillettes ou d’armes de poing, qu’ils achètent de sources extérieures ou ont pris à l’armée, mais des obus de mortier, des missiles Grad, des roquettes, des explosifs, des drones et des voitures piégées. Ils customisent les fusils de snipers pour en augmenter la portée », énumère le général Haider Fadhel.

 
Les forces spéciales irakiennes ont mis à jour un laboratoire de fabrication d'armes de l'EI dans une maison particulière du quartier Mohandessien.
Les forces spéciales irakiennes ont mis à jour un laboratoire de fabrication d’armes de l’EI dans une maison particulière du quartier Mohandessien. LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Cette industrie a été développée avec l’aide d’experts militaires, notamment russes et caucasiens, mais surtout d’officiers de l’armée de l’ancien président Saddam Hussein, notent les services de renseignement irakiens, qui affirment que le responsable de cette industrie militaire, Saleh Ali Al-Djoubouri, a été tué dans une frappe au début de la bataille.

Dans un rapport publié en décembre 2016, l’organisation indépendante britannique Conflict Armament Research (CAR) estime que le groupe djihadiste avait développé, dans son fief irakien, une production militaire de niveau industriel, hautement standardisée et bureaucratisée. « La production des forces de l’EI dans les mois qui ont précédé l’offensive de Mossoul pourrait s’élever à des dizaines de milliers d’armes », estime les membres CAR.

« Ils produisent en quantité, mais la qualité des armes produites n’est pas terrible. On n’a rien trouvé de spectaculaire », ajoute une source au sein de la coalition internationale. Même les « canons du califat », les canons Hell d’un diamètre de 155 mm conçus pour projeter toutes sortes d’engins explosifs et de roquettes, sont jugés peu précis.

Des ateliers de fabrication de roquettes et de missiles et des fonderies à mortiers ont été découverts dans les quartiers périphériques de Mossoul, comme Gogjali ou la zone industrielle. Ces armes étaient ensuite transférées pour assemblage aux ateliers disséminés dans la ville.

Dans la forêt bordant le Tigre, où étaient organisés des entraînements militaires, des stocks d’armes et de munitions ont été retrouvés enterrés. Un important réseau souterrain, basé sur d’anciens tunnels ou construit pendant les deux ans et demi de règne de l’EI, a été mis au jour sur plusieurs sites comme les ruines de Ninive. « Il y avait des tunnels très élaborés avec l’électricité, l’eau, de la nourriture et des médicaments. Comme une petite ville », indique une source des renseignements irakiens.

Voitures piégées télécommandées

Dans chaque quartier, des villas privées abritaient de petits ateliers d’assemblage de roquettes et de fabrication d’explosifs et de drones. Dans le quartier Al-Mohandessin, où auraient vécu plus de 200 combattants étrangers près du fleuve Tigre, une école a été transformée en atelier.

« Il a été ouvert il y a un an et demi. De vingt à cinquante personnes venaient chaque jour, des Russes, des Tchétchènes, des locaux aussi, dit un voisin. On avait compris que c’était une fabrique d’armes aux bruits que l’on entendait et aux allers-retours de camionnettes recouvertes de bâches. Ils sont partis deux jours avant l’offensive en emmenant des choses. »

 
Des éléments de fabrication de drones destinés à l'observation aérienne, dans une maison particulière du quartier Mohandessien à Mossoul, le 21 janvier.
Des éléments de fabrication de drones destinés à l’observation aérienne, dans une maison particulière du quartier Mohandessien à Mossoul, le 21 janvier. LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Pour contrer la force de feu des forces irakiennes, l’EI a fait des explosifs son arme de prédilection. A Mossoul, peu d’engins explosifs improvisés (EEI) ont été plantés du fait de la présence importante de civils, à la différence de Ramadi, dans l’Anbar.

« Dès qu’on a traversé la rivière Khozer, ils ont commencé à planter des EEI partout, notamment dans l’université dont tous les immeubles sont piégés », indique le lieutenant-colonel Mohannad Jassim.

Ce sont les voitures piégées – plus de 350 en trois mois − et les drones qui ont donné à la bataille sa spécificité. Dans l’est de Mossoul, on trouve encore des voitures piégées que les djihadistes n’ont pas eu le temps de finir ou d’utiliser. Certaines sont de simples berlines renforcées de plaques de métal à l’avant et sur les ailes latérales, bourrées d’explosifs, d’autres ont été réalisées à partir de véhicules blindés pris à l’armée. « A la fin, ils ont même fait des voitures piégées télécommandées, peut-être parce qu’ils manquaient de kamikazes. Ils n’ont pas réussi à les utiliser », indique le général Fadhel.

Les forces irakiennes minimisent l’impact des drones piégés – similaires à une grenade –, qui ont fait une dizaine de morts et une cinquantaine de blessés. Leur ronronnement régulier au-dessus des têtes mettait pourtant les soldats à cran. « Les drones leur servent à faire de la reconnaissance de nos positions, à orienter les voitures piégées ou à porter des charges explosives pour viser nos centres de commandement, les tanks et les bulldozers », poursuit le général Haïder Fadhel.

Dans une villa transformée en atelier, dans le quartier Al-Chourta, différents modèles – de type quadrirotor ou fabriqués de toutes pièces – jonchent le sol, aux côtés de rapports de vol. « Fabriquer l’engin, le tester et former le pilote peut prendre un mois et demi. Il faut une expertise d’ingénieur mécanique. Ils avaient une unité spécifique, composée de nombreux combattants étrangers », indique le major Ali, des forces d’élite irakiennes.

 
Dans un palais de Saddam Hussein détruit par des frappes de la coalitions qui visaient des combattants de l'EI qui s'y étaient installés, le 21 janvier.
Dans un palais de Saddam Hussein détruit par des frappes de la coalitions qui visaient des combattants de l’EI qui s’y étaient installés, le 21 janvier. LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Les documents retrouvés dans l’est de Mossoul donnent une compréhension plus fine de l’organisation militaire de l’EI. Ils confirment, selon l’organisation CAR, le caractère centralisé et bureaucratique de son industrie, chapeautée par le comité de production et développement militaire. Des normes de production pour les mortiers, les roquettes, les EEI, les mélanges explosifs ou les drones ont été diffusées, en plusieurs langues, par l’Organisation centrale pour la standardisation et le contrôle qualité, pour garantir une qualité constante et l’interopérabilité des armements.

Numéros de série

L’autorité centrale gère les circuits d’approvisionnement en matières premières – depuis la Turquie, via la Syrie, pour les précurseurs chimiques − et la division des tâches entre lignes de production, qui apposent des numéros de série. Un strict contrôle qualité est opéré, comme l’attestent les rapports détaillés fournis par chaque atelier sur le niveau de production, les stocks ou les dépenses.

La bataille de Mossoul pourrait encore réserver quelques surprises aux forces irakiennes. « Tout ce qui était important, armements comme documents, ils l’ont emmené de l’autre côté du Tigre pendant l’offensive », indique le lieutenant-colonel Jassim.

 
Les forces spéciales irakiennes ont mis à jour une prison de l'EI installée dans une maison particulière du quartier Mohandessien.
Les forces spéciales irakiennes ont mis à jour une prison de l’EI installée dans une maison particulière du quartier Mohandessien. LAURENT VAN DER STOCKT POUR LE MONDE

Les renseignements irakiens estiment que la rive occidentale compte plus de sites de production militaire. Les meilleures unités combattantes et les commandants – notamment étrangers – y étaient encore réfugiés pendant l’offensive sur l’est.

Quelque 2 000 djihadistes ont été tués à l’est selon les forces irakiennes, moitié moins selon des sources occidentales. Parmi eux se trouvaient surtout des Irakiens et des ressortissants de pays arabes, mais aussi d’autres combattants étrangers, dont des Français, dont les dépouilles mortelles ont été expertisées par les services de renseignement français. Aucun n’a été capturé vivant. « Les combattants étrangers se battent en général jusqu’à la mort », indique une source des renseignements irakiens.