Comment Trump mènera-t-il les six guerres dont il hérite

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Le Figaro – par Adrien Jaulmes

Le nouveau président américain hérite de six guerres au Moyen-Orient et en Afrique. Entre le retrait et l’escalade, les options de Donald Trump sont limitées.

Le nouveau président américain aime les solutions simples, mais il est à craindre qu’elles ne s’appliquent guère aux conflits dont il hérite de ses prédécesseurs. Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Somalie, Yémen sont les guerres léguées par Bush  et Obama, et que Trump va devoir à présent mener. Elles sont à la fois les champs de bataille d’un seul et unique grand conflit entre l’Amérique et le djihadisme sunnite, en même temps que des guerres distinctes, ayant chacune ses particularités et ses enjeux locaux.

Trump sera peut-être tenté par l’isolationnisme, tendance récurrente de l’histoire américaine. Mais comme le répondait Périclès aux Athéniens qui prônaient l’abandon de l’empire au Ve siècle avant J.-C., il était peut-être mal de l’acquérir, mais il est certainement dangereux de l’abandonner. Les Américains ont peut-être eu tort de se laisser entraîner comme ils l’ont fait depuis quinze ans dans autant de coûteux conflits pour tenter d’endiguer la vague djihadiste et apporter leur soutien à des États fragiles ou faillis. Mais leur retrait aurait des conséquences potentiellement incalculables. Reste l’option la frustrante pour les amateurs de solutions miracles ; continuer à se battre, opiniâtrement, et surtout habilement.


• Afghanistan

Quinze ans après son commencement, la première des «guerres du 11 Septembre»est déjà la plus longue de l’histoire américaine. L’expédition d’octobre 2001 avait pour but premier de démanteler la base territoriale qu’al-Qaida avait installée dans ce pays grâce à la complaisance des talibans. Renversant du même coup leur gouvernement, les Américains ont installé de nouvelles institutions, donnant pour la première fois un semblant d’espoir à un pays ravagé par vingt années de guerre. Mais la détérioration de la situation face à la résurgence des talibans  les a conduits à s’installer durablement dans ce pays, comme avant eux les Britanniques et les Soviétiques. Les tentatives d’Obama pour se retirer d’Afghanistan ont échoué. Le calendrier de retrait prévu a été abandonné fin 2016 pour maintenir 8400 soldats dans le pays. Début 2017, 300 marines  devraient être renvoyés dans l’Helmand, province qui est aussi le bastion des talibans. L’autre volet de l’imbroglio se trouve au Pakistan, à la fois allié et ennemi de Washington. Travaillé de l’intérieur par un profond sentiment d’insécurité régionale et un anti-américanisme viscéral, la seule puissance nucléaire musulmane alimente et soutient le soulèvement djihadiste en Afghanistan tout en luttant contre le même soulèvement à l’intérieur de ses frontières. Aucune solution simple ne s’offre à Donald Trump. L’état des forces afghanes laisse craindre qu’un retrait total des forces américaines ne débouche sur la chute de Kaboul et la victoire des talibans.


• Irak

L’Irak a montré qu’on ne se retirait pas impunément d’une guerre. Le départ des troupes américaines de Mésopotamie à la fin de l’année 2011 a permis à l’État islamique de s’emparer d’un tiers du pays en 2014, pour n’être arrêté in extremis qu’aux portes de Bagdad et d’Erbil grâce à l’intervention aérienne américaine. Avec la plus grande réticence, Obama a été contraint de renvoyer des soldats et de rééquiper les forces armées irakiennes et kurdes. Au cours de l’année 2015 et 2016, ces troupes ont repris pas à pas le terrain perdu, jusqu’à combattre aujourd’hui l’État islamique dans sa capitale de Mossoul. Mais avec l’Irak, Trump hérite, comme Obama avant lui, d’un dossier particulièrement difficile. Le Moyen-Orient tout entier continue de vivre avec les conséquences de l’invasion décidée par l’Administration Bush en 2002. L’Irak n’est plus qu’un État fractionné, affaibli, dont le fragile gouvernement central est devenu un client de Téhéran. Le fragile équilibre confessionnel ne sera pas reconstruit de sitôt, et la bataille contre l’État islamique n’est pas terminée. Trump hérite qui plus est d’une guerre dans laquelle il est l’allié objectif de Téhéran. Les soldats et conseillers américains sont actuellement environ 5000, et le nombre de forces spéciales engagées dans la bataille de Mossoul devrait prochainement atteindre les 450 soldats.


• Syrie

Les critiques de l’intervention américaine en Irak n’ont pas de mots assez durs pour reprocher à Obama de ne pas être intervenu en Syrie. S’il a réussi à ne pas se laisser entraîner dans un nouveau conflit au Moyen-Orient, Obama n’a cependant pas obtenu de grands résultats. Ne pas avoir de politique est aussi une politique, et c’est souvent la pire de toutes. L’irrésolution et les pas de deux d’Obama, soutenant à demi une insurrection de plus en plus dominée par les djihadistes tout en poursuivant dans un deuxième temps l’objectif chimérique d’abattre simultanément Bachar el-Assad et l’État islamique, ont prolongé la guerre civile. Et ont permis le grand retour de la Russie au Moyen-Orient. Le soutien des Américains aux Kurdes syriens a aussi placé Washington en porte-à- faux avec la Turquie, alliée aussi ambigu que le Pakistan, et elle aussi travaillée par un profond sentiment anti-américain. La lutte contre l’État islamique, menée à coup de frappes aériennes ciblées et de raids de commandos, les deux outils de la nouvelle doctrine militaire américaine, a pourtant eu des résultats. Les Américains ont aussi pris pour cibles d’autres groupes. Début janvier, un B-52 a lancé une série de bombes sur des camps djihadistes dans la région d’Idlib. Un rapprochement de Trump avec Moscou permettrait de coordonner ces opérations avec celle des Russes. Mais il aurait aussi pour effet de renforcer la position de la Russie, ainsi que celle de l’Iran.


• Libye

L’engagement franco-britannique américain contre Kadhafi en 2011 devait être la parfaite combinaison gagnante de l’interventionnisme humanitaire bien dosé. Le résultat a été presque aussi catastrophique. Débarrassé du dictateur, le pays a basculé depuis dans la guerre civile. Divisée entre factions rivales, à nouveau morcelée entre les anciennes provinces de Tripolitaine et de Cyrénaïque et du Fezzan, la Libye est devenue un terrain d’expansion rêvé pour l’État islamique ; le pays est aux portes de l’Europe, et les immensités désertiques du Sahara lui donnent toute la profondeur stratégique souhaitée. Réticents à se laisser entraîner dans une aventure militaire supplémentaire, les Américains se sont  largement retirés du jeu politique depuis l’assassinat de leur ambassadeur en 2012. Mais l’essor de l’EI les a conduits à intervenir massivement en 2016 pour soutenir la reprise de Syrte aux djihadistes.

Depuis, ils mènent contre l’EI une guerre secrète faite de raids commandos et de bombardements ciblés. Début janvier, quelques jours avant l’intronisation de Trump, deux bombardiers furtifs B-2 ont lancé une attaque contre des camps de l’EI dans la région de Syrte, tuant une centaine de djihadistes, selon Washington.
Même si Trump peut être tenté de laisser les Européens se débrouiller seuls avec cette crise qui se déroule à leurs portes, l’importance stratégique de la Libye, ainsi que celle de ses ressources pétrolières, rend cette option peu probable. Les menées des Russes, qui se sont récemment affichés aux côtés du maréchal Haftar,  l’homme fort de la Cyrénaïque, devraient aussi tôt ou tard contraindre le nouveau président américain à se préoccuper de ce dossier.


• Yémen

Les États-Unis sont au Yémen dans une position particulièrement complexe. La guerre civile qui déchire ce pays, le plus pauvre du monde arabe, est une conséquence de la révolution qui éclate en 2011 contre Ali Abdallah Saleh, le vieil autocrate au pouvoir à Sanaa depuis trente-trois ans. La révolte a réveillé les tensions tribales qui constituent le fond de la politique yéménite, en même temps qu’elle était détournée par les islamistes. Déposé en 2012, Saleh s’est allié avec une secte chiite yéménite rassemblée en un curieux mouvement politico- religieux: les houthistes. Soutenues par l’Iran, ces tribus du nord s’emparent en 2014 de Sanaa, la capitale, et d’Aden, importante ville portuaire et clef de la mer Rouge. En mars 2015, l’Arabie saoudite prend la tête d’une coalition de dix pays musulmans sunnites pour chasser les houthistes, avec le soutien des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni.
Profitant de l’effondrement de ce qui restait de l’État yéménite, les djihadistes ont parallèlement étendu leur influence et leur contrôle territorial à la faveur de la guerre. Al-Qaida dans la Péninsule arabique (Aqpa) est devenue au Yémen l’une des plus puissantes branches de l’organisation, et l’État islamique y gagne du terrain. Impliqués dans la guerre civile aux côtés de l’Arabie saoudite, fournissant des renseignements et du ravitaillement à l’aviation saoudienne, les États-Unis ont participé directement au conflit fin 2016 après que leurs navires, qui participent au blocus du pays, ont été pris pour cible par des missiles. Les drones américains frappent régulièrement les organisations djihadistes au Yémen, mais l’enlisement de l’offensive saoudienne risque d’empêcher Washington de s’extraire prochainement d’un conflit dans une zone aussi stratégique.


• Somalie

Après avoir quitté ce pays de la Corne de l’Afrique en 1993, au lendemain de la calamiteuse affaire de la «Chute du faucon noir», qui avait vu des milices locales défier leur puissance, les États-Unis ont fait depuis plusieurs années leur retour en Somalie. Washington mène dans ce pays aux institutions en ruines une guerre secrète contre les islamistes du mouvement al-Chebab, qui a fait allégeance à al- Qaida. La Somalie est devenue le terrain d’expérimentation de la nouvelle doctrine de combat américaine, utilisant forces spéciales, contractuels privés et drones, plutôt que de déployer des troupes conventionnelles. Entre 200 et 300 commandos américains, appuyés par des forces spéciales kényanes, ougandaises et même somaliennes, ont mené en 2016 plus de 13 raids contre al-Chebab. Des escadrilles de drones opèrent en Somalie depuis Djibouti, la seule base permanente américaine sur le continent africain, et des compagnies privées américaines assurent l’entraînement de forces somaliennes chargées de donner la chasse aux Chebab. Mais les guerres, même secrètes, ont tendance à acquérir leur logique propre, et Washington peut difficilement se désengager de Somalie sans livrer à al-Qaida une base territoriale dans une région vitale pour le commerce maritime mondial.


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