Israël : de Hébron à Amona, l'irrésistible ascension du peuple des collines

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Par Le Figaro – Cyrille Louis


REPORTAGE – Les colons espèrent que Donald Trump donnera son vert à Israël pour une annexion de la Cisjordanie.

Correspondant à Jérusalem

L’ordinaire d’Eliakim Haetzni s’est bien amélioré depuis l’époque du Park Hotel. Ce vétéran de la colonisation israélienne, aujourd’hui âgé de 91 ans, fut, en avril 1968, l’un de ceux qui investirent l’établissement touristique situé au cœur de Hébron. Son petit groupe, prétendument venu célébrer la Pâque juive, était en réalité décidé à s’enraciner, contre l’avis du gouvernement, dans cette ville palestinienne où s’élève le Caveau des Patriarches. Il n’accepta de lever le camp que trois ans plus tard pour rejoindre la toute nouvelle colonie voisine de Kyriat Arba. Haetzni et son épouse ne sont jamais repartis. Ils habitent un pavillon coquet sur les hauteurs de l’implantation. Leur salon offre une vue agréable sur les collines rocailleuses que la Bible a, de leur point de vue, allouées au peuple juif et à lui seul. Ils y coulent des jours tranquilles, séparés de la population palestinienne par une clôture anti-intrusion et habités par le sentiment du devoir accompli. «Nous sommes désormais près de 500 000 et plus personne ne nous fera partir d’ici, sourient-ils. Après un demi-siècle, le fruit de nos efforts est enfin arrivé à maturité. Nous n’avons plus qu’à le cueillir.»

De nombreux colons de Cisjordanie, confortés par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, partagent cette sensation de toucher au but. Les heures sombres de leur épopée, de l’évacuation du Sinaï (1982) à celle de Gaza (2005) en passant par la signature des accords d’Oslo (1993), ne sont plus, à leurs yeux, qu’un lointain souvenir. Benyamin Nétanyahou, qui s’était en 2009 déclaré favorable à la création d’un État palestinien sous certaines conditions, évite désormais d’aborder le sujet. Naftali Bennett, chef de file de la droite religieuse et ministre de l’Education, estime que l’heure est venue d’annexer les colonies de Cisjordanie. Selon un sondage réalisé le mois dernier par l’Institut israélien pour la démocratie, 37 % de la population partage son point de vue – tandis que 53 % pense le contraire. «Les tenants de l’idéologie sioniste religieuse n’ont jamais été aussi puissants. Ils font la pluie et le beau temps sur l’actuel gouvernement, qui défend exclusivement les intérêts des colons et ignore les demandes de la majorité silencieuse», s’inquiète la juriste Talia Sasson, présidente de l’ONG New Israel Fund.

Cohabiter avec les Palestiniens

Eliakim Haetzni résume l’histoire de ce triomphe d’une voix douce mais avec des mots qui ont la froideur d’une lame. Contrairement à la majorité des colons établis au cœur de la Cisjordanie, l’homme tient à préciser qu’il n’est pas religieux et désigne, pour le prouver, sa bibliothèque garnie d’ouvrages profanes. Selon lui, c’est pourtant bien à la puissance irrésistible d’une idéologie assise sur la Bible que les colons doivent leur succès. «La conquête de 1967 a frappé les Israéliens comme un coup de foudre, retrace-t-il, et une immense émotion collective s’est emparée de notre peuple lorsqu’il a été autorisé à fouler la terre des Patriarches après deux mille ans d’absence. Nos dirigeants, parce qu’ils craignaient de voir les Arabes supplanter la population juive, ont toutefois refusé d’annexer ces territoires. C’est alors qu’une avant-garde a décidé de créer des implantations pour veiller à ce que ce bien ne nous soit plus jamais ravi…»

Comme de nombreux colons, Eliakim Haetzni se dit prêt à cohabiter avec les Palestiniens de Cisjordanie dès lors qu’ils accepteront de se soumettre à la domination israélienne. Mais il refuse absolument de les laisser décider de leur sort. Quant au droit international, il ne s’agit pour lui que d’une «imposture destinée à masquer une nouvelle forme d’antisémitisme». «Puisqu’il était devenu politiquement incorrect de dire que les Juifs tuent les enfants ou s’enrichissent sur le dos des autres, assène-t-il, l’Europe s’est mise à accuser Israël d’opprimer les Palestiniens.»

Ainsi prémunis contre les critiques, les activistes du mouvement Gush Emunim (le Bloc des fidèles, en hébreu) ont essaimé aux quatre coins de la Cisjordanie avec l’appui logistique de l’État, les encouragements discrets des gouvernements successifs et le soutien financier d’une partie de la diaspora. «Notre grande force fut de savoir incarner la relève idéologique au moment où le sionisme travailliste des pères fondateurs montrait des signes de fatigue», analyse Israël Harel, vétéran de la colonie d’Ofra. Ces pionniers d’un nouveau genre, méthodiques et organisés, ne se contentent pas de multiplier les avant-postes.

Ils mettent en place un système d’éducation parallèle, intègrent progressivement les institutions de l’État et étendent peu à peu leur influence sur la sphère politique. Les plus religieux puisent leur inspiration dans la théologie du rabbin Zvi ¬Yehuda Kook, qui voyait dans le retour du peuple juif sur les collines de Cisjordanie un signe annonciateur de la fin des temps. «La religion constitue aujourd’hui encore le meilleur ferment de notre action, soutient Daniella Weiss, qui compta, dans les années 1970, parmi premiers colons à s’implanter aux environs de Naplouse et demeure l’une des figures les plus radicales de cette mouvance. C’est elle qui donne à nos familles la force de renoncer à leur confort et à leur sécurité pour venir habiter ici malgré l’adversité, et d’y élever les enfants qui, demain, formeront la nouvelle avant-garde.»

Le psychodrame qui a récemment précédé l’évacuation de la colonie sauvage d’Amona a mis en lumière la détermination de cette jeunesse. Plusieurs centaines d’adolescents venus de toute la Cisjordanie y ont convergé pour s’opposer à l’évacuation d’une quarantaine de familles établies, en violation de la loi israélienne, sur des terres appartenant à des propriétaires palestiniens. Benyamin Nétanyahou, terrorisé par le retentissement prévisible de ce spectacle, a multiplié les concessions envers les colons pour tenter de les amadouer. Son gouvernement a autorisé la construction de 5 500 logements dans le territoire occupé et laissé voter une loi visant à «régulariser» une cinquantaine d’avant-postes illégaux au regard non seulement du droit international mais aussi de la loi israélienne. «Cette séquence illustre le pouvoir croissant d’un mouvement qui, après avoir assisté impuissant au démantèlement de ses implantations dans la bande de Gaza, s’est organisé pour peser dans le débat politique, décrypte Yaïr Sheleg, spécialiste des relations entre la religion et l’État à l’Institut israélien pour la démocratie. Il a notamment investi les rangs du Likoud, dont les dirigeants savent désormais qu’ils risquent de ne pas être réinvestis s’ils déçoivent ce public national-religieux.»

Daniella Weiss, la pasionaria des colons, savoure cette ascension comme une douce vengeance. «Yitzhak Rabin, dans les années 1970, affirmait avec mépris que nous finirions bien par nous fatiguer tous seuls, sourit-elle, mais en dépit de ses efforts il n’a jamais réussi à nous marginaliser.» La vague de la colonisation, tout au contraire, n’a cessé d’enfler au point que nul ne voit désormais comment inverser le mouvement. Jadis favorable à l’évacuation de la Cisjordanie en contrepartie de la paix, l’opinion israélienne est durablement traumatisée par la seconde intifada et déboussolée par l’impasse du processus d’Oslo. «Notre but est à portée de main», avance prudemment Israël Harel. Eliakim Haetzni, son vieux compère, évoque pour sa part «un carrefour historique». Et quand on cherche à savoir s’il compte sur Donald Trump pour autoriser l’annexion de la Cisjordanie par Israël, il balaie: «Le fruit est mûr, je vous l’ai dit, alors peu m’importe quel coup de vent le fera tomber de l’arbre…»