Bezalel Smotrich, héraut de la nouvelle droite israélienne

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Par Le Monde – Piotr Smolar


Le député de 36 ans est à l’origine de plusieurs projets de loi explosifs au profit des colons.

Il jubilait. Son heure était venue, et elle signifiait une conquête historique pour les 400 000 juifs vivant en Cisjordanie. Le 6 février, Bezalel Smotrich était le plus euphorique des 120 députés de la Knesset, qui adoptait la loi sur les avant-postes. Un texte de rupture, blanchissant l’expropriation de terres privées palestiniennes en Cisjordanie, pour lequel il bataillait depuis des mois. « A compter de ce jour, les députés seront responsables de tout ce qui arrive aux Israéliens en Judée-Samarie [appellation biblique de la Cisjordanie], dit-il au MondePendant des décennies, cela relevait de conseillers juridiques devant lesquels on devait faire un pèlerinage, puis les convaincre, les supplier. »

La Haute Cour de justice doit se prononcer sur ce texte, qui représente un coup de force législatif contre la loi militaire en vigueur dans les territoires occupés. Juriste de formation, Bezalel Smotrich prépare déjà la réplique à une éventuelle censure. Petit, l’œil vif, la barbe courte, fine kippa tricotée sur la tête, il marche d’un pas nerveux dans les couloirs de la Knesset. Il travaille comme un acharné et ne voit ses six enfants que pour shabbat, en fin de semaine, dans la colonie de Kedoumim. Aucune question ne l’irrite ou ne le désarçonne. Il argumente longuement, mais sa principale justification n’est pas discutable : Dieu.

Les « risques de l’assimilation »

Bezalel Smotrich ne croit ni dans les compromis ni dans le métissage, mais dans la bataille acharnée pour l’affirmation religieuse et territoriale du judaïsme. Que feriez-vous, l’interroge-t-on, si l’un de vos enfants vous annonçait un jour qu’il voulait épouser un ou une Arabe ? Le député répond dans la seconde : « Ça n’arrivera pas. ils reçoivent une bonne éducation. Celui qui veut préserver l’identité juive doit faire très attention aux risques de l’assimilation, c’est le plus grand danger devant nous. Je ne le dis pas seulement par rapport aux Arabes, mais à tous les non-juifs. Je suis contre les mariages mixtes. »

Il est novice au Parlement, mais on a l’impression de n’entendre que lui ces derniers mois. Bezalel Smotrich a été à l’origine de plusieurs projets de loi explosifs au profit des colons. L’occupation ? Il rejette le mot même : « Le peuple palestinien n’existe pas. Je suis palestinien depuis treize générations. Ma grand-mère avait une carte d’identité palestinienne. C’est une invention d’il y a moins d’un siècle en réaction au mouvement sioniste. » Pas de peuple, pas de droits politiques, donc pas d’Etat à accorder. « La gauche entretient l’idée que le terrorisme est le résultat du désespoir palestinien. C’est un mensonge. Il vient de l’espoir arabe d’exterminer Israël. (…) Le jour où j’arriverai à les convaincre de renoncer à un Etat, je leur offrirai tout ce qu’il faut pour vivre, à part le droit de vote. » Annexion : voici le programme. Il pourfend les accords d’Oslo (1993) qui traçaient la voie vers un Etat palestinien.

M. Smotrich ne se contentera pas du ministère de la parole. Il rêve du portefeuille de la défense. Ses saillies extrémistes lui valent une notoriété rare. Il a traité les étudiants arabes dans les universités d’« illettrés ». Il a comparé l’évacuation récente de l’avant-poste d’Amona par la police à un « viol brutal ». Un mois avant les législatives de 2015, il se déclarait « homophobe fier ». Il a réclamé la séparation entre femmes juives et arabes dans les maternités. Il a osé dire que, si Benyamin Nétanyahou avait été à la place de David Ben Gourion, l’Etat d’Israël n’aurait pas vu le jour. Le premier ministre en a été fou de rage.

Il dépasse même le chef de son parti, le ministre de l’éducation, Naftali Bennett. Contrairement à lui, il rejette par exemple l’expression « terrorisme juif ». A 36 ans, il incarne la nouvelle droite israélienne, celle qui pousse M. Nétanyahou dans ses retranchements et offre aux colons un statut de pionniers choyés, celle qui veut contraindre le dirigeant à choisir entre la solution à deux Etats et la terre, toute la terre d’Israël, donc la « Judée-Samarie ».

Cette nouvelle droite ne représente qu’une minorité de la population. Le Foyer juif, le parti de M. Smotrich, dispose de huit sièges à la Knesset, contre douze après les élections de 2013. Mais ses idées, son idéologie, ont largement contaminé le Likoud, la formation du premier ministre. Cette droite avance, sûre de son fait et de la faiblesse des oppositions, s’appuyant sur un réseau d’organisations locales ou américaines puissantes et de colons mobilisés comme une armée.

Arrêté par le Shin Bet

Récemment, le député Smotrich a dû accepter le report de son projet d’annexion de Maalé Adoumim, l’une des plus grandes colonies près de Jérusalem. M. Nétanyahou ne voulait pas qu’une telle initiative parasite sa visite à Washington, mercredi 15 février, pour rencontrer Donald Trump. « Dans quelques mois, cette loi passera, rétorque le député. Une majorité est pour. Je connais la dynamique intérieure dans la coalition. Israël est un Etat libre et souverain, pas le 51e Etat fédéral américain. » 

M. Smotrich fut, en 2005, l’un des leaders du mouvement contre le retrait des colons de la bande de Gaza. Le Shin Bet – service de sécurité – l’arrêta et le plaça en détention pendant trois semaines. « J’ai été accusé de vouloir bloquer des routes, dit-il. Ariel Sharon [alors premier ministre] s’est servi de la loi pour écraser l’opposition. Je n’ai rien fait d’illégal. » Il fut remis en liberté sans inculpation. En 2006, il fonda l’organisation Regavim, qui défend les droits des colons sur les terres palestiniennes. La même année, il organisa, avec des militants d’extrême droite et des ultraorthodoxes, une marche animale, en réponse à la Gay Pride, avec des chèvres et des ânes.

Aujourd’hui, le député modère un peu son langage sur ce point. « Je ne veux pas vexer ou blesser [les homosexuels]. L’acte est anormal, mais ce ne sont pas des gens anormaux. » Mais la position la plus surprenante qu’il a prise fut en soutien d’Hagai El-Ad, le directeur de l’ONG de gauche B’Tselem, qui documente l’occupation. En octobre, certains députés voulaient le priver de sa nationalité israélienne. « Il a tort, il cause du tort à l’Etat, mais personne ne doit l’empêcher de parler », selon M. Smotrich. Son attachement à la liberté d’expression a des limites : il est l’un des promoteurs d’un projet de loi interdisant d’entrée sur le territoire toute personne promouvant le boycott contre Israël.