Le Hamas s’apprête à amender sa charte pour sortir de l’isolement

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Par Le Monde – Piotr Smolar


Le mouvement islamiste palestinien, qui contrôle la bande de Gaza, est prêt à reconnaître les frontières de 1967 et à prendre ses distances avec les Frères musulmans.

Simple ravalement de façade ou véritable inflexion idéologique ? La publication, annoncée comme imminente, par le Hamas d’une nouvelle charte, vingt-neuf ans après celle de ses débuts, suscite la curiosité. Non pas chez les Gazaouis, dont la vie quotidienne reste corsetée et misérable, mais chez les experts du mouvement islamiste armé palestinien, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007. « L’ère de l’idéologie s’achève, ose même l’analyste Ibrahim Al-Madhoun, proche du Hamas. Ce qui mobilise les gens aujourd’hui, ce sont leurs propres intérêts. » 

La nouvelle charte devrait être présentée depuis Doha (Qatar) par Khaled Meshaal dans les prochains jours, indiquent des sources à Gaza. Il s’agira d’une forme de testament pour le chef politique du Hamas, qui s’apprête à quitter ses fonctions. Le document a fait l’objet de tractations internes depuis des mois pour ajuster les formulations.

Le chef du Hamas, Khaled Meshaal, en conférence de presse à Doha (Qatar), où il est exilé, en 2014.
Le chef du Hamas, Khaled Meshaal, en conférence de presse à Doha (Qatar), où il est exilé, en 2014. KARIM JAAFAR / AFP

Le Hamas rassemble ainsi des évolutions sémantiques et stratégiques qui sont déjà apparues dans les discours de ses dirigeants ces dernières années. « Ces changements ont été opérés depuis longtemps, soupire Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme. Les Américains, les Européens et les Israéliens savent tout cela. C’est de l’emballage. »

Répondre aux accusations d’antisémitisme

L’objectif prioritaire est de répondre aux accusations d’antisémitisme qui escortent le mouvement depuis sa création et expliquent son isolement au sein de la communauté internationale. « Notre charte en 1988 était un appel à la mobilisation pendant la première Intifada, elle ne prenait pas en compte la perception internationale, reconnaît Ahmed Youssef, figure politique modérée du Hamas. Les Israéliens ont toujours exploité cela contre nous. »

Cette fois, le mouvement veut se concentrer sur la lutte contre l’expropriation de la terre palestinienne, en minimisant la dimension religieuse de l’affrontement. « Le Hamas distingue, d’une part, les juifs et le judaïsme, et d’autre part l’occupation et le projet sioniste », est-il écrit dans la charte, dont Le Monde a eu connaissance.

Il ne va pas jusqu’à reconnaître Israël, estimant qu’un tel geste, déjà accompli par l’Organisation de libération de la Palestine, n’a pas été suivi d’effets. Toutefois, le mouvement islamiste accepte l’idée d’un Etat palestinien limité : non pas de la Méditerranée au Jourdain, mais dans les frontières antérieures à la guerre de 1967, avec Jérusalem pour capitale et le droit au retour des réfugiés.

« Nous ne sommes le mandataire de personne »

Cette position avait déjà été exprimée fin 2012 par Khaled Meshaal. Selon la future charte, elle permet de définir une « base commune avec toutes les factions palestiniennes », en particulier le Fatah du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. En outre, le Hamas reconnaît la légitimité de toutes les formes de « résistance » contre l’occupation israélienne, et pas seulement la lutte armée. Mais pas question, bien entendu, d’un quelconque désarmement, même si le Hamas n’a aucun intérêt aujourd’hui à un nouvel affrontement avec l’armée israélienne.

Autre détail important dans le texte : nulle référence n’y est faite aux Frères musulmans, alors que le Hamas disait en être une branche en 1988. « Nous souhaitons garder une distance égale avec tous les acteurs, explique Ahmed Youssef. Les Frères représentent une question controversée dans certains pays arabes. Mais l’Iran non plus n’est pas mentionné dans la charte. Nous ne sommes le mandataire de personne. »

En se concentrant sur la question palestinienne, le mouvement islamiste espère échapper aux disputes entre ses différents parrains : l’Iran pour sa branche militaire, le Qatar et la Turquie pour l’assistance financière, sans parler de l’Egypte, qui contrôle le point de passage de Rafah dans le Sinaï. En adoptant une position plus neutre par rapport aux Frères musulmans, la direction politique du Hamas veut satisfaire une demande pressante du président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi.

La réconciliation avec le Fatah au point mort

La publication de la nouvelle charte interviendra à un moment crucial, au terme du renouvellement de la direction du mouvement. Yahya Sinouar, qui a passé vingt-deux ans dans les geôles israéliennes, vient d’être désigné à sa tête dans la bande de Gaza. Sans expérience politique, il a fait une apparition devant les caméras, mercredi 22 mars, lors d’une cérémonie en hommage au fondateur du Hamas, le cheikh Yassine, tué par une frappe israélienne en 2004. Une façon de s’inscrire dans la continuité historique du mouvement.

« Les changements prennent du temps », souligne l’analyste indépendant Omar Shaban :

« Le but du Hamas est d’être accepté par la communauté internationale, de ne plus être acculé dans un coin et d’entrer dans un système politique légitime. Mais ici à Gaza, les gens jugeront aux faits, dans leur quotidien. On attend leurs actions sur la société civile, la place des femmes ou les impôts. »

L’un des indices de la mue du Hamas sera son attitude vis-à-vis des initiatives de l’Autorité palestinienne. La réconciliation avec le Fatah n’avance pas d’un pouce. L’Autorité a annoncé la tenue des élections locales le 13 mai, après leur report en septembre 2016. Le Hamas, vexé de ne pas avoir été consulté au préalable, refuse cette fois d’y participer. En outre, elle reprend espoir dans la possibilité d’un nouveau cycle de négociations avec les Israéliens, qui lui donnerait un bol d’air politique.

L’administration américaine est en train de préciser avec le gouvernement israélien le périmètre dans lequel les colonies pourront se développer. La façon dont le Hamas condamnera ou tolérera une nouvelle démarche politique pour résoudre le conflit indiquera s’il change vraiment. Ou si sa mue apparente n’est qu’une posture tactique.