Les grands chantiers internationaux d’un novice en diplomatie

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Dès la semaine prochaine, Emmanuel Macron devra répondre à la crise européenne, gérer le Brexit, prendre position sur les crises au Moyen-Orient, réagir à l’expansionnisme russe.

Marine Le Pen voulait rompre avec les choix diplomatiques français qui font l’objet d’un relatif consensus entre la droite et la gauche. Elle voulait remettre en cause l’Union européenne, quitter le commandement intégré de l’Otan, se rapprocher de Vladimir Poutine et extraire la France de l’économie globalisée…

Emmanuel Macron n’a fait qu’ébaucher sa future politique étrangère, mais sa facture en est déjà beaucoup plus classique: elle se situe dans la continuité de ses prédécesseurs à l’Élysée, François Hollande et Nicolas Sarkozy. «Emmanuel Macron revendique une vision “gaullo-mitterrandienne”. On peut débattre de la pertinence de cette expression mais cela semble signifier une vision traditionnelle de la politique étrangère française, qui ne doit être alignée sur personne. Par ailleurs, il ne semble pas avoir d’appétence particulière pour les interventions militaires», explique Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), qui a participé aux groupes de travail autour du candidat pendant la campagne.

Emmanuel Macron est pro-européen, il s’est rendu à Berlin pendant sa campagne. Il a aussi effectué plusieurs déplacements au Moyen-Orient (Liban, Jordanie) et en Afrique du Nord (Algérie, Tunisie) mais aucun en Asie ou en Afrique noire. Sa bévue algérienne sur la colonisation assimilée à un «crime contre l’humanité» a fait polémique en France. On l’a vu dans les débats télévisés: l’étranger n’est pas sa matière de prédilection. Et pour cause: la politique internationale n’a pas été jusque-là au cœur de ses préoccupations. «Il n’y a pas réfléchi profondément, confirme une source qui a participé à sa campagne. Mais c’est un phénomène assez courant dans les démocraties occidentales, y compris aux États-Unis.»

François Hollande n’avait aucune connaissance et peu d’appétence pour la politique étrangère avant d’arriver à l’Élysée. C’est pourtant le domaine dans lequel il s’est sans doute le plus épanoui et a obtenu la meilleure note de son quinquennat. Emmanuel Macron sera happé par le chaos du monde dès son arrivée à l’Élysée, car les crises internationales ont des conséquences directes sur la France. «La réalité va lui tomber dessus dans une semaine. Et elle est très lourde», commente Bruno Tertrais.

Cette réalité risque de faire voler en éclats les quelques principes de politique étrangère, basés sur des instincts que certains trouvent bancals, que l’on retrouve dans le programme d’Emmanuel Macron. Le retour au «gaullo-mitterrandisme» annonce-t-il la fin des interventions extérieures, qui ont été la marque de fabrique de la politique étrangère de François Hollande? Rien n’est moins sûr. «On en reparlera quand il faudra porter quelque chose de lourd», commente un observateur de sa campagne, parodiant une réplique de Jean Dujardin dans OSS 117… Emmanuel Macron, souffle-t-on dans son entourage, aurait choisi de parfaire sa culture internationale en lisant le livre de mémoires de l’ancien ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin. «Mais il devra vite réaliser que la diplomatie, ce n’est pas de la poésie et chasser le romantisme de la politique étrangère», prévient l’observateur. Il se dit par ailleurs assez optimiste: «Il est brillant, il apprend vite et il a promis d’être un président jupitérien.» Et puis il parle anglais, contrairement à ses deux prédécesseurs.

Il n’a fallu que quelques jours à Emmanuel Macron pour durcir sa politique vis-à-vis de Moscou après les cyberattaques lancées par la Russie contre le site de son mouvement En marche!. L’an dernier, il considérait la Russie comme un «partenaire» avec qui il fallait discuter sur la Syrie. Aujourd’hui, il estime qu’elle ne partage pas les valeurs et les intérêts de la France et considère qu’il faut maintenir les sanctions liées à la crise ukrainienne. La réalité a aussi durci sa politique vis-à-vis de Bachar el-Assad, dont il verrait aujourd’hui le départ d’un bon œil. «Mais ce n’est qu’une fois investi de la charge présidentielle qu’il se forgera sa propre ligne diplomatique», prévient Bruno Tertrais. Arrivés à l’Élysée, Nicolas Sarkozy et François Hollande s’étaient emparés des questions internationales avec avidité et efficacité. Le second, que beaucoup considéraient avant tout comme un président de région, avait même été accueilli comme un héros à Tombouctou, tout juste libérée des djihadistes, en février 2013, trois semaines après le début de l’opération «Serval» au Mali.

L’homme, dit-on parfois dans son entourage, n’a pas encore réalisé que l’international monopolisera pendant cinq ans au moins 50 % de son agenda. Les défis et les challenges qui attendent Emmanuel Macron s’imposeront dès les premiers jours. Dès la semaine prochaine, il sera sommé de répondre à la crise européenne, dont il a fait sa priorité, de gérer le Brexit, de réagir à l’expansionnisme russe, de prendre position sur les crises au Moyen-Orient…

Les présidents français ont, sous la Ve République, une marge de manœuvre et un pouvoir que leur envient la plupart des responsables européens. Avec le Brexit, la France sera bientôt le seul pays de l’Union à posséder la bombe nucléaire et un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Cette liberté et ce pouvoir sont de nature à transformer une vision du monde en peu de temps.

Mais la personnalité de la politique étrangère d’Emmanuel Macron dépendra aussi des hommes dont il s’entourera. Au Quai d’Orsay, à l’Élysée, au ministère de la Défense et à l’état-major des armées. Or, c’est une autre chose qu’on dit de lui: «Il prend son temps car il veut être sûr d’être bien entouré.»