L’Iran craint un regain de tension avec les Etats-Unis

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

Par le Monde – Ghazal Golshiri


Téhéran et la nouvelle administration américaine se jaugent depuis la prise de fonctions de Donald Trump.

Un sentiment de déjà-vu s’est emparé des Iraniens avec l’arrivée à la Maison Blanche du président américain, Donald Trump, le 20 janvier. Depuis la signature de l’accord nucléaire entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine), plus l’Allemagne, en juillet 2015, le pays attendait les fruits d’une détente avec la communauté internationale. La levée, en janvier 2016, d’une partie des sanctions internationales qui pesaient sur le pays avait permis le retour des investisseurs étrangers, suscitant l’espoir d’un redressement de l’économie iranienne. L’ombre d’une confrontation militaire, qui avait pesé durant dix ans de crise nucléaire sur l’Iran, s’éloignait. Mais aujourd’hui, ce sujet est de retour dans les discussions en Iran.

Les plus âgés ont connu la guerre Iran-Irak (1980-1988) dont les plaies sont restées ouvertes. Les plus jeunes, eux, n’ont pas oublié l’époque de l’ancien président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), durant laquelle, en une nuit, le prix du dollar avait triplé, et Israël ne cessait de brandir la menace de frappes préventives sur les installations nucléaires iraniennes. D’où la rapidité avec laquelle les raccourcis sont faits entre un durcissement du discours américain, une possible escalade des tensions et une véritable guerre.

Un nouveau train de sanctions

Le durcissement des relations entre Téhéran et Washington a commencé le 27 janvier, lorsque M. Trump a signé un décret interdisant, pendant au moins quatre-vingt-dix jours, l’entrée aux Etats-Unis de ressortissants de sept pays musulmans, dont l’Iran. Ainsi, de nombreux Iraniens, munis d’un visa ou d’une carte de résident permanent (la Green Card), ont été empêchés de se rendre sur le territoire américain.

De son côté, Téhéran a procédé, dès le 29 janvier, à un test de missile balistique de moyenne portée, selon Washington. En réaction, les Etats-Unis ont annoncé, le 3 février, un nouveau train de sanctions, dans la lignée de précédentes mesures adoptées par l’administration Obama. Joignant des paroles dures à ces sanctions modérées, le secrétaire américain à la défense, James Mattis, accusait l’Iran le 4 février d’être « le plus grand Etat soutenant le terrorisme au monde », tandis que Donald Trump mettait en garde Téhéran qui, selon lui, jouait « avec le feu ».

Face à ces propos hostiles, les Gardiens de la révolution ont mené le 4 février des exercices militaires dans la province de Semnan. Ils les présentaient comme une démonstration de « la totale préparation [des forces iraniennes] à confronter les menaces » et « les sanctions humiliantes » adoptées contre l’Iran. « Si l’ennemi commet une erreur, nos missiles hurlants s’abattront sur leurs têtes », déclarait le commandant des forces aériennes des gardiens, Amir Ali Hajizadeh, en marge de ces manœuvres.

« Je n’ai jamais senti une intervention contre l’Iran aussi proche », explique Navid Yousefian, doctorant en science politique à l’université de Californie, qui se trouve en Iran pour son enquête de terrain. « L’Iran est officiellement “mis en garde” et Donald Trump cherche à rallier le peuple américain derrière lui : quoi de mieux pour cela que de déclencher une guerre contre l’Iran ? », interroge cet Iranien de 28 ans, qui n’est guère sûr de pouvoir obtenir un visa étudiant pour retourner aux Etats-Unis et finir ses études, même si le décret a été suspendu par un juge fédéral.

Même son de cloche chez un jeune entrepreneur, Mohammad (il préfère qu’on taise son nom de famille), tellement inquiet qu’il se dit prêt à laisser tomber sa start-up et à s’exiler en Europe : « Après l’élection d’Hassan Rohani, j’avais l’espoir que les choses s’améliorent. Lorsque l’accord nucléaire a été conclu, je m’attendais à des évolutions profondes et positives dans mon secteur, notamment grâce à l’arrivée des investisseurs étrangers. Mais les choses vont de mal en pis. » Mohammad, 32 ans, attend ces investisseurs qui ne viennent pas.

Si certains auraient préféré que l’Iran fasse preuve de davantage de retenue et qu’il retarde ou annule ses essais balistiques, les Iraniens sont nombreux à défendre le discours officiel, selon lequel seule la capacité militaire du pays peut dissuader les attaques. « J’ai connu des années de la guerre Iran-Irak, durant laquelle les Occidentaux ont largement aidé Saddam Hussein, explique Negar, peintre de 40 ans. Pour sa sécurité et sa défense, l’Iran ne peut compter que sur lui-même. »

« Terrible » accord nucléaire

Les déclarations du président américain, qui a jugé « terrible » l’accord nucléaire, et ses critiques contre le paiement de « 150 milliards de dollars » à Téhéran dans le cadre de l’accord (une affirmation pourtant infondée), inquiètent certains Iraniens quant à la survie de ce compromis. D’autant que des officiels iraniens accusent d’ores et déjà les Etats-Unis de « violation évidente de l’accord », par leur dernière volée de sanctions, à l’instar du président de la Commission des affaires étrangères du Parlement, Alaeddin Boroujerdi. Washington avait pourtant prudemment noté que ces mesures ne réactivaient aucune des sanctions levées en 2016, à la suite de l’accord nucléaire.

« L’accord est fragile et sa survie est aujourd’hui entre les mains des plus radicaux, note Reza, 35 ans, qui travaille dans une agence de publicité. J’ai peur que les différends se multiplient, que les deux côtés s’accusent de violation de l’accord et qu’un jour, ils renversent la table une fois pour toutes. Dans ce cas, les sanctions pourraient revenir et nous entrerions dans une période de crise. Mon seul espoir, c’est que l’accord est multilatéral… »

Reza estime que les Européens ne voudront pas perdre leurs investissements récents en Iran. Et Negar note que les compagnies européennes maintiennent leur intérêt pour le pays. La Chine, également signataire de l’accord nucléaire, a protesté quant à elle le 6 février contre les nouvelles sanctions américaines, qui ont touché deux compagnies et trois ressortissants chinois, accusés de participer au développement du programme iranien de missiles balistiques.