La politique étrangère selon Macron: dynamisme, humanisme et souverainisme (européen) (Jean-Dominique Merchet – L’Opinion)

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Au lendemain du succès de son G7, le chef de l’Etat s’est à nouveau longuement exprimé devant le corps diplomatique français. Avec une tonalité parfois marquée à gauche, comme la critique du capitalisme ou le « scandale humanitaire » de la migration

Emmanuel Macron a prôné mardi pour la France une «stratégie de l’audace» diplomatique, indispensable à ses yeux pour éviter l’effacement de l’Europe face à la prééminence de la Chine et des Etats-Unis. Lors d’un discours à l’Elysée devant quelque 200 diplomates pour l’ouverture de la 27e Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices, le chef de l’Etat a particulièrement insisté sur un nécessaire rapprochement entre l’Union européenne et son voisin russe. Sur son petit nuage au lendemain du G7, le Président Macron s’est adressé, mardi à l’Elysée, à l’ensemble du corps diplomatique français, en ouverture de la traditionnelle conférence des ambassadeurs.
Comme il l’avait fait la semaine dernière devant la presse présidentielle, puis à plusieurs reprises durant le week-end, le chef de l’Etat a détaillé sa vision des affaires mondiales et de son action politique. Un long discours d’une heure quarante-cinq, qui repose sur trois idées majeures : dynamisme, humanisme et souverainisme (européen).
Dynamisme ? Après ses « coups » à Biarritz, comme son clash avec le Brésilien Jair Bolsonaro surl’Amazonie ou la visite surprise de l’Iranien Javad Zarif, Emmanuel Macron a assuré crânement : « Je ne crois qu’à une chose, c’est la stratégie de l’audace, de la prise de risque ». Tel Danton en 1792 (1), Emmanuel Macron se fait professeur d’énergie. Aux très policés et souvent prudentissimes diplomates, il a expliqué que « tout ce que nous sommes en train de faire ne réussira peut-être pas : ceci n’est pas grave, ce qui est aujourd’hui mortel, c’est de ne pas essayer ». Cette audace est-elle une marque du « nouveau monde » tel qu’on l’imagine à l’Elysée ?
Parmi les ambassadeurs, les plus anciens se souviennent d’autres jolis coups présidentiels dont ils furent parfois les acteurs ou les témoins : François Mitterrand débarquant à Beryrouth (1983), puis à Sarajevo (1992), Jacques Chirac menaçant de reprendre son avion à Jérusalem (1996) ou brandissant le veto de la France contre la guerre d’Irak (2003), Nicolas Sarkozy fonçant à Moscou en pleine guerre de Géorgie (2008) ou François Hollande réunissant au débotté ses homologues russes et ukrainiens pour tenter de stopper le conflit ukrainien (2014). Sous la V République et sans remonter au général De Gaulle, c’est un peu la marque de fabrique de la diplomatie élyséenne, tentant de compenser l’affaiblissement de la France sur la scène internationale par des coups d’éclat et des mises en scène. A cet égard, le G7 de Biarritz est une parfaite réussite et, sous les dorures de la salle des fêtes de l’Elysée, même les vieux routiers de la diplomatie ne manquaient pas de s’en réjouir.
Humanisme ? Comme il l’a encore fait mardi, c’est ainsi qu’Emmanuel Macron définit de plus en plus sa vision du monde. Malgré les efforts théoriques de ses anciens collaborateurs Ismaël Emelien et David Amiel (2), le concept de « progressisme » semble avoir du plomb dans l’aile, alors qu’il devait être la définition même du macronisme. Place donc au «projet humaniste», alors que, reprenant le mot de la philosophe néoconservatrice Thérèse Delpech, il considère que « l’ensauvagement du monde est reparti ». Il s’agit, selon lui, de « refonder la civilisation européenne » et de « revisiter l’esprit des Lumières ».
Ainsi, dit-il, « la Hongrie catholique ou la Russie orthodoxe ne peuvent pas porter ce projet civilisationnel ».
Cet « humanisme » prend des couleurs de gauche, avec une critique désormais insistante du « capitalisme ». « Nous vivons une crise de l’économie de marché qui a dérivé » et le capitalisme est devenu « accumulatif », produisant des « inégalités insupportables » tant au sein des nations qu’entre elles. Devant la presse présidentielle, Emmanuel Macron expliquait la semaine dernière que le capitalisme « n’arrive plus à faire bien vivre les travailleurs » et il s’inquiétait mardi du sort des « classes moyennes ».
Une situation qui explique, selon lui, « la contestation des systèmes démocratiques et capitalistes et la fascination pour les régimes autoritaires ou illibéraux. » Cette tonalité de gauche s’entend aussi sur la migration. Alors que la France a promis d’accueillir près de la moitié (150) des migrants du navire Viking Ocean, Emmanuel Macron a qualifié mardi le dossier migratoire de « scandale humanitaire », tout en prenant pour la première fois ses distances avec les « dogmes » du ministère de l’Intérieur qui redoute l’« appel d’air » que serait la politique d’asile. « Il faut revoir tous ces dogmes et nous ne le faisons pas. Je vais moi-même intensifier mon implication sur ce sujet », a promis le chef de l’Etat.
Souverainisme ? Face à ce qu’il qualifie de « crise très profonde des démocraties », notamment « leur efficacité face aux grandes peurs contemporaines qu’elles soient environnementales, technologiques ou migratoires », le Président Macron plaide pour une « reprise de contrôle ». « Reprendre le contrôle », « Take Back Control » était le slogan britannique en faveur du Brexit et c’est « un très bon mot d’ordre », a jugé le chef de l’Etat devant le corps diplomatique. Avec une nuance de taille. Pour Emmanuel Macron, cette reprise de contrôle ne peut s’opérer qu’au niveau de l’Europe, face au reste du monde. C’est, selon lui, la condition de sauver le « véritable humanisme ». Citant la formule de Staline du « socialisme dans un seul pays », le Président considère que « l’humanisme dans un seul pays ne dure pas longtemps ». Sans affirmation d’une « souveraineté européenne », « l’Europe disparaîtra », prédit-il, car « nous n’aurons plus le choix qu’entre deux dominations », celle des Etats-Unis ou de la Chine.
Au nom de ce « souverainisme européen » et cette « reprise de contrôle », le chef de l’Etat va jusqu’à critiquer « les privatisations forcées » imposées par l’UE et le FMI à l’Europe du Sud (Grèce et Portugal surtout) lors de la crise de 2008. Cela a abouti à « livrer des infrastructures » stratégiques à la Chine, a estimé Emmanuel Macron. S’il a rappelé très fermement sur sa volonté d’ouverture vers la Russie à des diplomates dont « beaucoup ont de la défiance » envers Moscou, le président de la République se défie surtout de la Chine. Il a ainsi renouvelé son appel à un « axe indopacifique » (Inde, Japon, Australie,
etc.) pour contenir Pékin. Une vision géopolitique en ligne avec celle des Etats-Unis.