Le chef de l’Etat doit se rendre à Mulhouse, mardi, pour aborder les questions de radicalisation, d’islam politique et de communautarisme. Une prise de position très attendue depuis le début du quinquennat.
Après les débats sémantiques, place aux annonces. Emmanuel Macron doit commencer à dévoiler, mardi 18 février, à l’occasion d’un déplacement à Mulhouse (Haut-Rhin), son plan de lutte contre le communautarisme. Ou plutôt contre le « séparatisme islamiste », appellation finalement retenue par l’Elysée, après plusieurs mois de tractations et de débats. Une manière, selon l’entourage du chef de l’Etat, d’agréger sous un même terme ces « notions entremêlées » que seraient la radicalisation, l’islam politique et le communautarisme. Et de cibler plus clairement « l’hydre islamiste » dénoncée par Emmanuel Macron au lendemain de l’attentat contre la Préfecture de police, à Paris, en octobre 2019.
En se rendant à Mulhouse, dans le quartier de Bourtzwiller, où il doit notamment visiter un commissariat de police et rencontrer des acteurs associatifs, le président de la République entend illustrer sa supposée prise en main d’un sujet sur lequel il peine à être identifié par l’opinion.
« Il recherche une prise de conscience, un sursaut républicain, une stratégie, des moyens et des mesures claires de réponse par l’Etat », assure un proche, pour « mettre un frein au repli communautariste et au séparatisme islamiste offensif, prélude à la radicalisation, qui conduit parfois au terrorisme ».
M. Macron devrait continuer à enfoncer le clou, la semaine prochaine, à l’occasion d’un nouveau déplacement consacré à cette question, puis continuer à dérouler ses mesures au lendemain des élections municipales des 15 et 22 mars.
Financement étranger des lieux de culte, formation des imams, structuration de l’islam de France, contrôle du développement des écoles hors contrat ou de l’instruction à domicile… L’ensemble de ces sujets devrait être balayé par l’exécutif dans les semaines à venir.
« Nous assumons de parler d’islamisme, qui n’est pas l’islam », soutient un ministre, qui se montre par exemple favorable à des contrôles accrus, voire à des dissolutions d’associations culturelles coupables de dérives : « Certaines associations culturelles ne font pas du soutien scolaire, mais l’apprentissage du Coran. » « Il y a la volonté d’y substituer une reconquête républicaine », assure-t-on à l’Elysée, qui ferait la part belle à « l’éducation populaire ».
Majorité divisée
Cette offensive intervient à la suite de plusieurs mois d’atermoiements de la part d’Emmanuel Macron. Fin 2018, ce dernier avait suscité un tollé en envisageant de réformer la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat, un projet finalement retiré. « Il faut déjà nommer les choses et faire respecter la loi telle qu’elle est. Toucher à la loi de 1905, ça fait ressortir l’hystérie », estime un député de La République en marche (LRM).
En parallèle, la majorité s’est affichée divisée sur les questions de laïcité et de communautarisme. Les propos du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, jugeant le voile islamique « pas souhaitable » dans la société française, ont ainsi provoqué la discorde parmi les macronistes.
Un soir de l’automne 2019, M. Blanquer s’est notamment agacé, dans le huis clos d’une réunion de la direction de LRM, de certaines prises de position trop conciliantes à son goût : « Nous ne sommes pas le communautarisme en vadrouille, nous sommes La République en marche ! » « Si vous mettiez autant d’énergie à traquer l’argent occulte des mosquées que les mères voilées en sortie scolaire, ça irait mieux déjà… », répond à cela un élu local régulièrement consulté par le chef de l’Etat.
Désireux d’afficher un semblant de concorde sur le sujet, Emmanuel Macron a réuni pour un déjeuner à l’Elysée, jeudi 6 février, des maires de tous bords confrontés dans leurs villes à ces problèmes de communautarisme. L’occasion pour certains, comme Karl Olive, maire (ex-Les Républicains) de Poissy (Yvelines), de plaider en faveur de la signature d’une charte de la laïcité à chaque embauche de fonctionnaire.
Un rendez-vous à l’occasion duquel le chef de l’Etat a tâché de faire preuve d’œcuménisme en invitant à sa table les députés LRM Aurore Bergé et Aurélien Taché, qui représentent respectivement l’aile droite et l’aile gauche de la macronie.
Plus de fermeté
Jadis soucieux de souligner la « part de responsabilité » de la société française dans l’émergence du terrorisme – « Quelqu’un, sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musulmane, a quatre fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche qu’un autre », estimait l’ancien ministre de l’économie, en 2015 –, Emmanuel Macron évolue aujourd’hui vers plus de fermeté.
« Vous avez des gens qui ne sont pas intégrés, qui sont en sécession de la République, qui se moquent de la religion, mais l’utilisent pour provoquer la République », soulignait-il, en octobre 2019, dans un entretien au très droitier hebdomadaire Valeurs actuelles. « Le président a autour de lui des gens aux idées beaucoup plus conservatrices que lui, peste un macroniste. Après, c’est lui qui choisit ces personnes… »
Selon certains élus, cette conversion répond aussi à un impératif électoral, à la veille des municipales et de la présidentielle de 2022, visant à endiguer la droite. « Nous sommes aujourd’hui jugés en deçà sur la réponse pénale, sur la lutte contre le séparatisme, sur l’immigration. On a un manque d’autorité sur ces sujets par rapport à certains de nos adversaires », relève une députée de la majorité.
Le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. « Il a fallu trois ans à Emmanuel Macron pour savoir si on devait parler de communautarisme ou de séparatisme. Pendant ce temps, on est en train de perdre le combat contre l’islamisme », estime-t-il dans un entretien au Journal du dimanche, relevant un « manque » de « lucidité » et de « courage ».
« Il faut qu’on se forge une doctrine, qu’on s’exprime sur ces sujets, sinon on sera toujours en réaction sur des faits divers, et c’est l’extrême droite qui emportera la mise », prévient un cadre de la Macronie. Pour l’heure, le chef de l’Etat a prévu de semer çà et là des petits cailloux.