Emmanuel Macron lance un « collège » européen du renseignement (Nicolas Chapuis – Le Monde)

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Cette assemblée ne formera pas les futurs espions, mais réunira les principaux services pour « établir un lien avec les échelons de décision ».

Les espions européens ont désormais leur grand-messe, mais sans photo de famille, confidentialité oblige. Des dizaines d’acteurs de différents services de renseignement du continent se réunissent à Paris, lundi 4 et mardi 5 mars, pour l’inauguration d’un « collège ». Une initiative lancée par Emmanuel Macron, lors de son discours à la Sorbonne, sur l’avenir de l’Union européenne, en septembre 2017.

Il aura fallu près de dix-huit mois, et beaucoup de force de persuasion, pour faire aboutir ce « collège du renseignement en Europe », au sens anglo-saxon du terme. Car il ne s’agit pas ici de former les espions de demain, mais plutôt de mettre autour de la table les principaux services pour « établir un lien entre la communauté du renseignement et les échelons de décision », selon l’Elysée.

Le collège se fixe trois objectifs : le « rayonnement », afin de « faire comprendre aux décideurs les enjeux du renseignement » ; le « partage » des expériences et des savoir-faire ; la « réflexion » stratégique, en intégrant au dispositif les acteurs du monde universitaire, souvent coupés des services. Pas question en revanche d’en faire un outil d’échange d’informations – les relations bilatérales entre les pays sont privilégiées en la matière – ou un lieu de décision opérationnel.

Trente Etats ont répondu à l’appel

Si la France a été à la manœuvre, principalement par l’intermédiaire de Pierre de Bousquet de Florian, le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, placé auprès du chef de l’Etat, les autres pays européens se sont rapidement montrés intéressés. Trente Etats ont répondu à l’appel (les 28 de l’Union européenne, auxquels s’ajoutent la Suisse et la Norvège). Sur les 80 services de renseignement intérieur, extérieur ou militaire invités, 66 seront représentés sous une forme ou une autre lors de l’événement inaugural. « Tous les poids lourds seront présents », assure l’Elysée.

Si la liste exacte des invités est classifiée, trente directeurs des services sont tout de même attendus, ainsi que neuf coordinateurs nationaux. En tout, 300 personnes seront présentes pour le discours de clôture d’Emmanuel Macron, mardi 5 mars dans l’après-midi, au centre de conférences du ministère des affaires étrangères, dans le 15e arrondissement de Paris. Certains pays alliés, comme Israël ou les Etats-Unis, n’ont pas été conviés. Le Royaume-Uni, même s’il s’apprête à quitter l’UE, fait en revanche partie intégrante du dispositif, en tant qu’acteur majeur du renseignement en Europe.

C’est d’ailleurs aux Britanniques, en partenariat avec les Belges, que revient la responsabilité d’animer la première des trois tables rondes, dont les thèmes ont été choisis avec prudence. Il s’agit d’évoquer le rôle du renseignement dans la prise de décision politique. La seconde, coordonnée par l’Espagne et les Pays-Bas, permettra d’échanger sur le « continuum entre le renseignement intérieur et extérieur ». Enfin, la France et l’Allemagne dirigeront les débats sur le positionnement du renseignement par rapport aux institutions européennes.

Victoire symbolique

Le cadre juridique de ce « collège » devrait être fixé lors d’une réunion en Espagne à la fin du mois de mars, avec la création d’un secrétariat pour coordonner le tout. A terme, les organisateurs visent quatre rencontres par an. De quoi y voir une plate-forme qui préfigurerait la création d’un service de renseignement européen ? « En aucun cas », assure-t-on à l’Elysée, où l’on rappelle qu’il s’agit d’un élément de souveraineté majeur pour les pays.

Les promoteurs du projet ont d’ailleurs veillé à ce qu’il ne tombe pas sous la coupe, notamment budgétaire, de l’Union européenne, afin d’éviter toute confusion.

« En matière de contre-terrorisme, tout le monde est d’accord sur les objectifs à atteindre. Mais, en matière de renseignement économique, nous sommes tous concurrents », rappelle-t-on.

Idem pour le contre-espionnage. Tous les services présents ne sont pas sur la même longueur d’onde, notamment au sujet des relations avec les encombrants voisins russes. « C’est en matière de contre-espionnage qu’on reconnaît ses vrais amis », glisse un expert du renseignement.

Aucune donnée sensible ne sera donc échangée pendant ces débats qui seront avant tout une façon de cultiver des liens diplomatiques. « Dans ce milieu-là, parler ne nuit jamais », résume-t-on à l’Elysée, où l’on sait que la victoire est avant tout symbolique pour Emmanuel Macron, qui sera le premier chef d’Etat à s’exprimer devant la communauté du renseignement européen, presque au grand complet.