A l’approche du premier tour des primaires de la droite et du centre, les questions des électeurs se font de plus en plus pressantes et les réponses avancées seront sans doute déterminantes pour le vote.

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A l’approche du premier tour des primaires de la droite et du centre, les questions des électeurs se font de plus en plus pressantes et les réponses avancées seront sans doute déterminantes pour le vote. Si on a tendance à considérer que les questions de politique étrangères n’intéressent pas beaucoup les Français, elles sont d’ailleurs souvent reléguées aux marges des débats électoraux, le contexte international actuel les replacent au cœur de toutes les préoccupations. De la crise en Libye à la guerre en Syrie contre Bachar Al-Assad et l’Etat islamique, la situation au Moyen-Orient est très préoccupante et n’a sans doute jamais été autant liée aux enjeux intérieurs que connaissent la France et l’Europe : la crise des migrants, le départ en Syrie de djihadistes français vers l’Etat islamique et leur retour en Europe, la multiplication des attentats terroristes, la montée d’un islam politique ici ; sans oublier les relations avec les pays du Golfe dont les conséquences intérieures sont nombreuses : influence grandissante du Qatar avec ses investissements massifs en France, financements occultes de l’Arabie Saoudite en direction des mosquées salafistes, etc. Ces enjeux complexes nécessitent que soit déployée au plus haut niveau de l’Etat une vision stratégique globale et sûre d’elle-même, des objectifs diplomatiques clairs et ambitieux. Le rôle de la France sur la scène internationale est essentiel, c’est pourquoi nous souhaitons transmettre à tous les candidats un certain nombre de questions :


10 questions à Alain Juppé sur sa vision des relations internationales et de la politique étrangère de la France.

  1. Selon vous, quelles sont les principales valeurs que la France doit incarner sur la scène internationale ?

Ma position sur ce sujet est claire. Pour moi, la France doit résolument s’engager partout dans le monde en faveur du respect des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie. L’universalité des droits de l’homme n’est pas négociable.

Dans un monde de plus en plus désordonné, je veux opposer la capacité de notre pays à créer du lien et du dialogue, à promouvoir la règle de droit dans les relations internationales au lieu du rapport de forces. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France a un rôle unique à jouer en faveur de la paix et de la sécurité dans le monde, en faveur d’une gouvernance internationale plus juste et efficace, en faveur d’une prospérité partagée, à commencer par les plus pauvres. Et c’est pour cela que notre pays doit jouer un rôle encore plus actif en soutien aux objectifs pour le développement durable (ODD) d’ici 2030. Sans parler, naturellement, de son rôle aux avant-postes dans la lutte contre le changement climatique, qui est un enjeu majeur pour l’avenir de l’humanité.


  1. Etant donnée son histoire nationale, la France représente traditionnellement et partout dans le monde le pays des droits de l’Homme. Pourtant, la diplomatie française est aujourd’hui souvent marquée par les exigences de la « realpolitik ». Où placerez-vous le curseur entre défense des droits de l’Homme et priorisation des intérêts « froids » de l’Etat ?

Vous dites que la diplomatie française est aujourd’hui marquée par les exigences de la « Realpolitik ». C’est vrai et je le regrette. Je l’ai dit à plusieurs reprises et certains me l’ont reproché. La défense des intérêts de la nation est l’objectif premier de notre diplomatie. Mais je ne crois pas que les droits de l’homme et les valeurs de liberté soient négociables. Leur défense est quelque chose de différent des relations économiques et commerciales. Ce sont deux domaines qui ne sont pas du même ordre. Et je veillerai avec intransigeance à ce qu’il n’y ait pas de confusions entre les genres.


  1. Si nous nous penchons sur le cas de l’Arabie Saoudite (qui vous a été soumis lors du dernier débat télévisé), comment comptez-vous adresser les violations des droits de l’Homme qui y ont court ? Comment dans le même temps mettre l’Arabie Saoudite face à ses responsabilités concernant la lutte contre l’Etat islamique et l’islam radical de manière plus générale ?

L’Arabie Saoudite est un interlocuteur du jeu régional au Moyen-Orient. Je rappelle qu’elle est membre du G20. A ce double titre, l’Arabie Saoudite doit se comporter comme un acteur régional responsable. C’est dans cet esprit que je mènerai avec elle un dialogue politique respectueux mais très exigeant, dont aucun sujet ne sera exclu.

Je ferai d’ailleurs exactement la même chose avec l’Iran. L’objectif d’une diplomatie responsable est de faire que l’Iran et les pays arabes comprennent ensemble la menace de Daech et décident ensemble de l’affronter.


  1. S’agissant du Qatar, les électeurs attendent également des réponses précises. L’ouvrage « Nos très chers émirs » publié par Georges Malbrunot et Christian Chesnot a fait grand bruit et replace sur le devant de la scène les relations ambigües entre les responsables politiques et les émirs du Qatar. Comment comptez-vous mettre fin à ces liens de copinage qui nuisent à la crédibilité et à l’indépendance des positions françaises sur la scène internationale ?

J’ai pris connaissance de cet ouvrage, comme beaucoup. Je n’ai naturellement aucun élément en ma possession me permettant d’apprécier la réalité de ce qui est décrit. Certaines choses sont graves. Moralement inacceptables même de la part de responsables publics. D’autres sont répréhensibles. Si c’est le cas, c’est à la justice de l’apprécier.


  1. La France est engagée en Syrie. Si vous étiez Président de la République, quelle serait votre position ? Défendrez-vous ce « ni-ni »-là : « ni Bachar Al-Assad ni Etat islamique » ?

Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur ces questions, absolument majeures. Mes pensées vont d’abord au peuple syrien, qui est martyrisé depuis cinq ans.

Pour un responsable politique d’un pays démocratique, l’alternative n’est pas celle que vous décrivez. Ma priorité absolue est  la lutte contre Daech et l’anéantissement des capacités de nuisance du terrorisme islamique. Cet objectif requiert une absolue priorité car c’est la sécurité de nos concitoyens et des pays de la région qui est en jeu.

Il n’en reste pas moins que Bachar El Assad, qui est responsable de la mort de 300 000 à 400 000 de ses compatriotes, n’a plus aucune légitimité pour diriger la Syrie. Comment peut-on imaginer une seule seconde combattre le terrorisme djihadiste avec un dictateur génocidaire comme Bachar Al-Assad, qui en est la principale cause de diffusion ?


  1. Comment envisagez-vous la relation avec la Russie de Vladimir Poutine ? L’armée russe, soutien de Bachar Al-Assad, a été accusée de crimes de guerre dans la ville d’Alep, où de nombreuses cibles civiles ont été visées. Quelle sera votre ligne rouge vis-à-vis du Président russe?

On classe souvent les responsables politiques français suivant qu’ils sont favorables ou défavorables au Président Poutine. Cela n’a pas de sens. Je ne me détermine pas de cette façon. Je ne suis ni poutinolâtre, ni poutinophobe. Je défends les intérêts de la France, de la paix et de la sécurité. Ainsi que de la légalité internationale en matière de relations entre les états et de droit humanitaire.

Mon message à la Russie est simple : la Russie et l’Union européenne ne sont pas des rivales car elles sont l’Europe ensemble. La Russie fait partie de la famille des Etats européens. C’est un grand pays, avec une histoire et une culture exceptionnelles. Sans la Russie, l’Europe est mutilée.

Je crois à l’idée d’un partenariat avec la Russie pour garantir une sécurité commune et une prospérité partagée sur toute la zone euro-asiatique. Notre dialogue politique doit reprendre. Je souhaite qu’une pleine application des accords de Minsk avec l’Ukraine permette une levée des sanctions et une baisse des tensions. Mais il appartient aussi à la Russie de tourner la page de l’après-guerre froide, de renoncer aux divisions d’autrefois et de respecter les accords internationaux qui fondent la paix européenne. Le rapport de force, le réarmement et les vieilles logiques de blocs ne peuvent être les seuls critères d’une politique européenne, au détriment de logiques gagnant-gagnant.

En Syrie, nous sommes dans une impasse totale. Les trêves échouent les unes après les autres. Mais nous ne devons pas, là non plus, renoncer à l’exigence de justice et de paix pour le peuple syrien. Nous avons une priorité, combattre Daech. Mais ce ne peut être une raison pour, comme le fait la Russie en voulant liquider toute opposition respectable au régime, s’allier avec Assad. La Russie doit réfléchir sérieusement et sincèrement à une solution politique. Attendre encore et bombarder toujours, avec l’illusion d’une victoire totale, c’est se rendre complices de crimes de guerre et, pour la Russie, prendre le risque de s’enliser dans un nouvel Afghanistan.


  1. Le Brexit a porté un coup cinglant à l’Europe, déjà fragilisée de toutes parts. Quelles sont vos propositions pour redonner une dynamique positive à l’Union européenne ?

Avec le Brexit et la montée des mouvements antieuropéens dans les tous les pays, l’Europe est aujourd’hui menacée de dislocation. Et la crise est profonde. Elle vient du sentiment d’impuissance sur les flux migratoires, la croissance et l’emploi. Elle est alimentée par ce sentiment de distance des institutions. Si nous nous séparons, nous deviendrons des états vassaux des grandes puissances. Je ne m’y résigne pas. Le départ du Royaume-Uni est regrettable mais il impose de se placer d’abord du point de vue des intérêts de l’Europe. Il va falloir changer l’Europe et retrouver un désir d’Europe.

Pour cela il faut être clair : d’abord il n’y aura pas de nouvel élargissement. Pas de Turquie en Europe ! Ensuite, il faut ramener l’Union Européen à son rôle – les négociations commerciales, les grandes politiques structurantes, l’énergie, le numérique et la monnaie pour la zone euro – et rapatrier tout le reste au niveau national. Il faut renforcer la zone euro et donc aller plus loin dans l’harmonisation fiscale et la définition d’un socle commun de droits sociaux, protecteurs pour les peuples européens. Enfin, il faut un nouveau Schengen avec ceux qui le veulent. Mais rétablir des frontières closes entre la France et l’Allemagne serait une régression historique et dangereuse.


  1. Comment définissez-vous le rôle que pourrait jouer la France dans la résolution du conflit israélo-palestinien ? La dernière conférence de la paix organisée à Paris sans les parties au conflit a été un échec. Comment envisagez-vous la médiation de la France pour ramener Israéliens et Palestiniens à des négociations directes ? Etes-vous favorable à la reconnaissance unilatérale de l’Etat de Palestine par la France et/ou par l’Europe ?

La sécurité d’Israël n’est pas négociable. En ces temps troublés au Moyen-Orient, je veux rendre hommage à la remarquable responsabilité et à la grande sagesse dont ont fait preuve les autorités israéliennes tout au long de la crise syrienne alors que le conflit amenait le chaos à leurs frontières.

S’agissant de la question israélo-palestinienne, je regrette que le processus de paix soit aujourd’hui dans l’impasse. Je souhaite que les discussions pour une négociation politique permettant la coexistence de deux Etats vivant pacifiquement côte à côte puissent reprendre. Je serai très attentif aux positions qui vont être prises sur ce sujet dans cette phase de renouvellement de nombreux gouvernements. Si la France, avec le rôle qui a toujours été le sien, peut aider, alors je n’hésiterai pas à m’engager. La priorité est aujourd’hui la reprise des négociations et d’un processus de paix.


  1. Les positions françaises à l’UNESCO (vote favorable puis abstention) concernant des résolutions ouvertement anti-israéliennes (deux résolutions niant très directement le lien entre le judaïsme et les lieux saints de Jérusalem) ont beaucoup choqué. A l’avenir, quel sera votre positionnement ? Plus largement, comptez-vous pointer du doigt le biais systématique vis-à-vis d’Israël aux Nations-Unies et participer au rétablissement d’un équilibre ?

Je  regrette profondément le cafouillage complet auquel ont donné lieu ces résolutions à l’UNESCO de la part des autorités françaises. Je comprends le trouble qu’elles ont provoqué. C’est, hélas, la marque de fabrique de beaucoup de décisions  des autorités politiques françaises actuellement… Je déplore la position française sur cette résolution concernant le Mont du Temple. Nul ne peut délégitimer la présence du peuple juif à Jérusalem. 

Pour ma part, je suis et serai toujours attentif à ce que soit garanti le respect des lieux sacrés du judaïsme à Jérusalem et reconnu le lien indissoluble entre le judaïsme et Jérusalem. Cette ville revêt une importance  capitale pour les trois grands monothéismes. Et nul ne saurait se voir contester ce droit fondamental qu’est l’accès aux Lieux Saints de sa foi. C’est la raison pour laquelle je suis attaché à ce que soit respecté le statu quo sur Jérusalem, d’autant plus nécessaire dans les moments où, comme celui que nous vivons, les tensions s’exacerbent.


  1. Lors de sa campagne, le candidat républicain a dit qu’il souhaitait que les Etats-membres de l’OTAN augmentent leur participation financière pour assurer leur sécurité, faute de quoi il menacerait de sortir de l’organisation. Dans une Amérique désormais dirigée par Donald Trump, comment envisagez-vous la relation transatlantique pour les années à venir ?

Nous verrons bien ce que fera M. Trump. Quoi qu’il en soit, c’est le moment où jamais pour l’Europe de se doter d’une capacité de sécurité et de défense autonomes. L’idée que le parapluie américain sera toujours là est révolue. Il faut que l’Europe contribue davantage à sa sécurité. C’est un moment de vérité pour nous, même si je ne pense pas que les Etats-Unis quitteront l’Otan.

En revanche, je pense que les Américains vont effectivement exiger de leurs alliés européens qu’ils contribuent davantage à leur défense. L’enjeu pour l’Otan est le suivant : doit-on accepter de payer plus sans commander ? J’avais émis quelques réserves pour cette raison lorsque nous avons rejoint le commandement intégré de l’Otan. On ne peut pas accepter d’augmenter notre capacité de défense pour se mettre sous commandement américain. Nous devons développer nos propres capacités et l’élection de Donald Trump nous y encourage.