Moscou pilote les négociations sur la Syrie

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Par Pierre Avril et Georges Malbrunot (Le Figaro)

Les protagonistes du conflit syrien entament, lundi à Astana, leurs pourparlers sur l’avenir du pays.

Une ville futuriste perdue au milieu des steppes kazakhes, capitale d’une ex- République soviétique restée fidèle à Moscou: on n’aurait pu imaginer décor plus exotique pour tenter de ramener la paix en Syrie. C’est à Astana, au Kazakhstan  palace de Genève, que les protagonistes du conflit syrien entament lundi leurs pourparlers sous l’égide de l’Iran, de la Turquie et de la Russie, maître d’œuvre de la réunion.

Que ce soit dans son format ou ses objectifs, la rencontre diffère des tentatives diplomatiques précédentes et infructueuses conduites, sous l’égide de l’ONU, par Washington et Moscou. Même si une invitation a été lancée aux conseillers de Donald Trump, Washington ne devrait assister qu’en spectateur aux pourparlers.

«Après la reprise d’Alep par Damas et ses alliés russes et iraniens, il s’agit d’imposer un fait accompli à la nouvelle Administration américaine», souligne lechercheur, spécialiste de la Syrie, Fabrice Balanche.

Plutôt que d’installer une agora bruyante destinée à dessiner les contours de la future transition politique, l’objectif d’Astana est de  répète le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

Même Damas, pourtant fort de ses récents succès militaires, vient de se rallier à ce mot d’ordre . La trêve a été conclue le 29 décembre entre la Russie et la Turquie, dans la foulée du retrait des insurgés des quartiers Est d’Alep. L’arrêt des violences doit s’enraciner, condition nécessaire à la poursuite de négociations politiques qui se tiendraient le cas échéant, en février, à Genève.

Pour la première fois, les deux délégations se feront face dans une seule pièce, aux côtés de l’émissaire de l’ONU pour la Syrie,  Staffan de Mistura. «Y participent ceux qui contrôlent la situation sur le terrain», a insisté Sergueï Lavrov, à savoir des représentants des groupes armés – la plupart, signataires de la trêve de décembre – et non plus des opposants politiques, basés hors de Syrie.

Face à la délégation du gouvernement syrien, dirigée par l’ambassadeur aux Nations unies, Bachar Jaafari, secondé par des conseillers militaires, quatorze représentants de factions rebelles sont présents. Leur délégation est présidée par Mohammed Alloush, le chef du groupe islamiste pro-saoudien l’Armée de l’Islam.

Exit la plupart des opposants proches duQatar, de l’Arabie saoudite et de la France.

Souvent implanté dans le nord de la Syrie, le gros des insurgés présents à Astana évolue désormais dans l’orbite turque.

Pour conforter la trêve, Moscou aurait souhaité la présence des salafistes d’Ahrar el-Cham,  le plus puissant groupe insurgé non djihadiste. Mais ses combattants sont divisés entre les «réalistes» prêts à sauter le pas sous pression turque et les radicaux partisans d’une alliance avec les djihadistes. «Avec ces discussions, Moscou ne cherche qu’à diviser les insurgés et les opposants politiques», dénonce un représentant de l’opposition en exil. Absents également, les Kurdes syriens, ennemis jurés de la Turquie, et les groupes «terroristes», comme Daech et le Front de la conquête du Levant, exclus de la trêve.

Ce sont les succès militaires engrangés par les troupes syriennes, aidées par l’aviation russe et les milices iraniennes, couplés avec le retrait de la diplomatie américaine, qui ont permis à Moscou d’avancer son propre agenda. Une percée diplomatique rendue possible par le rapprochement russo-turc opéré l’été dernier par Ankara. Naguère suspecté de complicité avec les groupes terroristes en Syrie dans le but de renverser Assad, Recep Tayyip Erdogan  n’a plus pour seule obsession que d’endiguer l’avancée kurde dans le nord-est du pays. «La Turquie ne peut plus insister sur un règlement sans Assad. Ce n’est pas réaliste», a reconnu à Davos son vice-premier ministre, Mehmet Simsek.

Pour affirmer son emprise sur le processus de désescalade de la violence, le tandem russo-turc devra enfin compter sur la pleine coopération de l’Iran, troisième parrain d’Astana. Fermement opposé à la présence de l’Administration Trump, Téhéran est soupçonné à Moscou de vouloir jouer sa propre partition.

«Pour le régime iranien, la guerre doit se prolonger aux côtés d’Assad, afin d’en retirer plus tard les dividendes économiques auxquels ne peut prétendre la Russie, dont l’intérêt se limite à ses bases militaires», explique Grigori Kosatch, professeur à l’université des sciences humaines de Moscou.

Ainsi, l’option militaire reste toujours vivace, ne serait-ce que pour persuader les rebelles, déjà ébranlés par la perte d’Alep, de déposer définitivement les armes. Sous peine d’être définitivement absents d’un futur processus politique.