L’est de Mossoul revient peu à peu à la vie

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Par Le Monde – Helene Sallon

Le départ de l’EI a soulagé les habitants de la grande ville du nord de l’Irak, mais les conditions de vie restent très précaires.

Trois adolescents hilares se prennent en photo au centre du rond-point de la place Al-Sayida Al-Djamila, dans l’est de Mossoul, mardi 24 janvier. En arrière-plan, l’immense affiche à demi arrachée de l’organisation Etat islamique (EI), installée sur le toit d’un immeuble, est l’un des derniers signes encore visibles d’un règne de plus de deux ans dans la grande ville du nord de l’Irak. Les hommes en noir ont été chassés de la partie orientale, mi-janvier, par les forces irakiennes, après trois mois de combats. Sur la place du quartier El-Zouhour, où le groupe djihadiste organisait régulièrement des exécutions publiques, les magasins rouvrent leurs portes. Les voitures roulent pare-chocs contre pare-chocs autour du rond-point autour duquel sont installés vendeurs ambulants de fruits et légumes, de téléphones et de cigarettes. De jeunes hommes groupés sur le trottoir parlent avec entrain. « Chaque personne de cette ville a une histoire à raconter digne d’un film », explique l’un d’eux.

Dans la cour intérieure du restaurant Ikhlas, Omar Taleb accueille les clients d’une bise et d’une accolade joviale, sans perdre de vue la trentaine d’employés chargés de régaler la clientèle de kebabs, poulets et pizzas. « Le général Al-Saedi des forces antiterroristes est venu manger ici, se rengorge le restaurateur de 40 ans. On a des clients qui viennent de tout le nord de l’Irak ! » L’établissement, rouvert quatre jours plus tôt, après trois mois de fermeture, est devenu un passage obligé des généraux irakiens. Les soldats stationnés dans la ville se mêlent à la clientèle d’habitués. « Au temps de Daech, les affaires n’allaient plus très fort, même mal depuis un an et demi. Les gens n’avaient plus d’argent. Même leurs combattants ne venaient plus. Maintenant, les clients reviennent peu à peu », se réjouit le patron.


« Les portes de la prison se sont ouvertes »

Après deux ans et demi sous la férule de l’EI et trois mois de siège, Mossoul revient à la vie. « On a le sentiment que les portes de la prison se sont ouvertes », commente Maher, un professeur de biologie à la retraite. A pied, à bicyclette ou en voiture, les habitants reprennent possession de leur ville. Ils s’adaptent patiemment à sa nouvelle physionomie : routes défoncées, ponts effondrés, accès fermés par des remblais et postes de contrôle militaires. Certains, qui avaient été forcés par les djihadistes de les accompagner dans leur retraite, regagnent leurs maisons. D’autres prennent juste plaisir à arpenter librement les rues, engoncés dans leurs manteaux d’hiver. Ils sont nombreux à s’activer sur les marchés à ciel ouvert aux étals chargés de produits venus du Kurdistan irakien. Les prix ont retrouvé un cours normal : 3 500 dinars (2,75 euros) la douzaine d’œufs contre 30 000 auparavant, 5 000 dinars la cartouche de cigarettes contre 25 000 dinars le paquet au temps de l’EI, qui les avait interdites.

Les clients négocient à la centaine de dinars près. « On ne peut pas acheter les produits ici, car nous n’avons plus d’argent, se plaint Rabih, un retraité de 64 ans. On mange un repas par jour, une soupe de légumes, et on ne peut pas acheter de lait pour les enfants. » Les habitants vivent sur leurs réserves de nourriture dans des maisons sans électricité ni chauffage. L’aide humanitaire arrive au compte-gouttes. Les ONG internationales n’ont pas encore eu le temps de redéployer leurs activités vers le centre-ville. Les fonctionnaires – deux tiers de la population – n’ont pas touché leur salaire depuis vingt mois. « Ils nous ont dit d’aller à Bartella [à une vingtaine de kilomètres vers l’est]pour remplir les formulaires et toucher les arriérés de salaire, mais le passage d’une zone à une autre est encore compliqué, et là-bas il y a de longues files d’attente », explique Abdelfattah, un professeur d’anglais. Les hommes partent chercher du travail hors de Mossoul, une fois obtenu le laissez-passer militaire pour sortir de la ville.


Trente médecins pour 1300 consultations par jour

Tout cela, disent-ils, serait supportable si l’eau courante était rétablie. Certains quartiers n’en ont plus depuis trois mois. « On creuse des puits dans les jardins, mais l’eau n’est pas potable. Nos enfants attrapent la diarrhée à cause de l’eau sale », explique Omar, un professeur âgé de 41 ans. Dans l’hôpital aménagé à la va-vite dans le centre de santé du quartier Saddam, les cas de diarrhée touchant des enfants constituent le gros du travail quotidien. Le docteur Mohammed Jassem se dit débordé. Les trente médecins se partagent 1 300 consultations par jour. Les cas les plus urgents sont envoyés vers Erbil, au Kurdistan irakien, à une centaine de kilomètres de là, mais les ambulances manquent, comme les médicaments. Ces petites structures surchargées et désorganisées n’ont pas le temps de traiter les pathologies secondaires, les maladies chroniques ou les vieilles blessures mal soignées, sans même parler des traumatismes psychologiques.

Partout dans la ville, les ouvriers s’affairent à réparer le réseau électrique et les chaussées dégradées. Mais le retour des services publics est bien trop lent aux yeux des Mossouliotes. « Les services publics seront bientôt entièrement rétablis », promet le vice-gouverneur, Hassan Al-Alaf, recroquevillé sur sa chaise dans un manteau de laine fermé jusqu’au cou. Les chefs des différents services de la ville font la queue devant son bureau pour obtenir de nouveaux locaux. « 80 % des immeubles gouvernementaux ont été détruits, ainsi que l’ensemble des ponts, des hôpitaux, du réseau d’électricité et d’égouts », dit-il. La bonne nouvelle a été la réouverture, avec le soutien de l’Unicef, de trente écoles pour 16 000 écoliers. Quarante autres doivent ouvrir prochainement. Imane Ghanem, qui dirige l’école de filles Al-Mouthanna, a commencé les inscriptions. « Deux cent vingt écolières sont déjà inscrites. Je dois recenser tous les manuels scolaires pour l’ouverture, la semaine prochaine », explique la quinquagénaire, aux cheveux couverts d’un simple voile coloré.


« Les soutiens de Daech se cachent parmi nous »

La directrice se dit confiante dans les capacités de résilience de ses élèves. La peur reste palpable parmi les adultes – peur des obus de mortier qui s’écrasent depuis l’autre rive du Tigre, peur pour les proches encore sous la férule de l’EI et peur d’un retour des djihadistes. Des hommes gardent la barbe longue et des femmes le long voile noir, convaincus que les fanatiques reviendront punir les pécheurs. « On sait que des soutiens de Daech se cachent parmi nous et qu’ils aideront les djihadistes à revenir. Certains ont un comportement trouble. On veut les dénoncer, mais on ne les connaît pas tous », déplore Maher, le retraité. Les officiers du renseignement des forces antiterroristes reconnaissent qu’il n’y a pas encore eu de contrôle poussé, maison par maison, pour arrêter les suspects. Le retrait annoncé des forces antiterroristes, pour préparer le redéploiement à l’ouest, avive les craintes. « J’ai peur de ce que nous réserve l’avenir, confie Raed, un homme d’affaires. Notre police locale n’est pas bien entraînée, il y a de la corruption. Je ne sais pas si on va rester ici. »