Trump creuse le fossé entre l’Amérique et l’Europe

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Par le Figaro – Jean-Jacques Mével


L’attitude du président américain malmène la relation transatlantique mais pourrait réveiller une Europe endormie.

De notre correspondant à Bruxelles

Donald Trump n’est pas exactement le Prince charmant, mais l’abondance des reniements américains vient de réussir ce que beaucoup d’Européens voyaient comme une mission impossible: sortir de sa torpeur l’UE endormie et lui donner l’envie d’exister par elle-même. Pour autant, le réveil est brutal. Au coup porté par le milliardaire à la crédibilité de l’Otans’ajoute la répudiation annoncée du traité de Paris sur le climat, l’une des rares réussites planétaires de la diplomatie.

Le «non» des Britanniques avait secoué l’apathie du Vieux Continent, avec en écho l’incessante guérilla intérieure menée par Budapest et Varsovie. Il a fallu près d’un an pour ressusciter l’instinct de survie dans une union en peau de chagrin. Aujourd’hui, c’est bien le président des États-Unis qui fournit l’étincelle. Et l’UE qui veut saisir l’occasion afin de rallumer la flamme, Angela Merkel en tête.

La percutante réplique de la chancelière aux dénigrements de Washington pourrait rester dans les manuels d’histoire. Elle s’applique à l’Alliance atlantique comme au traité de Paris: «Les temps sont en partie révolus où nous, Européens, pouvions nous reposer totalement sur d’autres», lançait-elle dimanche en plein meeting électoral à Munich. Trois jours après un minisommet acrimonieux à l’Otan, la République fédérale exprimait toute la méfiance que lui inspire le 45e président des États-Unis. Elle admettait aussi que le parapluie américain est percé, après 70 ans de protection indiscutée.

Sur une rive éloignée

Angela Merkel pousse l’audace jusqu’à rétrograder sa relation avec Donald Trump au même rang qu’avec Theresa May – bientôt sortie de l’UE – ou Vladimir Poutine: «Bien sûr, nous devons rester amis avec les États-Unis et le Royaume-Uni, en bons voisins là où cela est possible, ainsi qu’avec la Russie. Mais sachons-le: nous devrons lutter nous-mêmes, en tant qu’Européens, pour notre avenir et notre destin.» Partenaires, oui. Solidaires, non plus.

À l’échelon européen, c’est l’alignement des capitales qui précipite la révision du dogme proclamée à Munich. Fraîchement élu, Emmanuel Macron est plus prudent lorsqu’il décrit Donald Trump comme «quelqu’un d’ouvert». Mais la poignée de main de Bruxelles, soigneusement mise en scène, peut aussi préfigurer le bras de fer qu’anticipe le président qui veut «refonder» l’Europe. Tout aussi défiant à l’égard du nouveau leadership américain, l’Italien Paolo Gentiloni assure que l’UE, elle, «ne renoncera pas à lutter contre le changement climatique, à préserver des sociétés ouvertes ou à soutenir le libre-échange». Politiquement recentrée, l’Europe constate que les États-Unis partent à l’opposé. Elle se prépare à vivre non pas sans eux, mais sur une rive plus éloignée.

Le regain de confiance de l’UE s’explique. La croissance de la zone euro a dépassé celle des États-Unis au premier trimestre, contre toute attente. La crise migratoire est, provisoirement, repoussée à l’arrière-plan. La victoire d’Emmanuel Macron a finalement enterré la croyance en un essor sans fin de l’extrême droite. Les élections allemandes, en septembre, bétonneront sans doute le diagnostic. Martin Schulz, candidat du SPD, n’est pas moins européen que la chancelière. Il est plus virulent contre un président américain attaché «à détruire les valeurs occidentales». À l’inverse, l’horizon intérieur s’assombrit pour Donald Trump comme pour Theresa May. Vladimir Poutine paraît s’essouffler en Syrie comme en Ukraine. En six mois à peine, la dynamique pourrait avoir changé de camp.

Au-delà des mots, c’est à la doyenne allemande des dirigeants de l’UE et à l’étoile montante française qu’il revient, en tandem, d’éviter la rechute et de concrétiser l’ambition. Sur les trois fronts – relance de l’euro, défense européenne et climat – le repoussoir Trump peut encore catalyser l’énergie politique. «Nous ne pouvons pas rater cette occasion historique!», insistait hier le commissaire Pierre Moscovici, en présentant la monnaie commune comme le ciment de l’alliance franco-allemande et l’instrument d’une identité européenne. Dans la zone monétaire, le triple projet d’un ministre, d’un budget et d’une «dette» propres cache de solides divergences entre Paris et Berlin. Mais sur fond de divorce britannique, il ne fait pas de doute que la zone euro a les moyens politiques: ses quatre piliers allemand, français, italien et espagnol pèseront bientôt 60 % de la population de l’UE et les 19 pays de la monnaie commune représenteront les trois quarts du PIB (contre deux tiers aujourd’hui).

Donner à l’Europe les moyens

Sur la défense, l’effet Trump a accéléré dès l’automne la quête de l’«autonomie stratégique» poursuivie par l’UE. L’Europe est très loin du compte sur l’unité de décision politique, les moyens de commandement ou les capacités de projection. Mais au moment de sauter le pas, les critiques du président américain sont «un aiguillon», assure Sylvie Goulard, ministre des Armées. En Allemagne, la chancelière a réussi à inverser les termes du débat électoral: augmenter les dépenses militaires, ce n’est plus se soumettre à la Maison-Blanche, mais au contraire donner à l’Europe les moyens de son indépendance.

Sur le traité de Paris enfin, le retrait américain serait moins un coup de tonnerre qu’une confirmation: dès la fin mars, le président Trump a rendu impossible l’application de l’accord par les États-Unis en signant l’arrêt de mort du Clean Power Plan, dispositif législatif ad hoc installé par Barack Obama. Les Européens s’inquiètent peu d’un risque de contagion. Ils se serviront dès aujourd’hui d’un sommet avec le premier ministre chinois Li Keqiang pour marteler le message déjà sorti du G7 à Taormine: Donald Trump parle fort, mais il est bien seul.