LE MONDE | Par Jacques Follorou
En 2011-2012, le Mossad a essayé de faire acheter au renseignement intérieur et à la direction de
la police des moyens techniques piégés.
Les affaires d’espionnage entre les Etats ne se règlent quasi jamais au grand jour. L’évocation dans
une procédure judiciaire visant Bernard Squarcini, ex-patron de la sécurité intérieure, d’une tentative
d’espionnage de la Direction générale de la police nationale (DGPN) et de la Direction centrale du
renseignement intérieur (DCRI) par le Mossad, les services secrets israéliens, est une première.
Soupçonné de plusieurs faits, dont certains relevant du trafic d’influence, l’ancien chef de la DCRI,
de 2008 à 2012, a en effet révélé, fin septembre, l’existence d’une opération du Mossad contre des
intérêts français, après avoir été sommé de s’expliquer sur le placement sur écoute d’un policier
en 2011. Suspecté d’avoir pu détourner les moyens de la DCRI pour régler des comptes personnels,
M. Squarcini s’est défendu en dévoilant l’enquête de contre-espionnage ciblant les services secrets
israéliens dans laquelle ce fonctionnaire a été écouté.
« Je confirme, a-t-il indiqué, lors de sa garde à vue, que le dossier principal visait des policiers
compromis avec les services secrets israéliens (…), il s’agissait globalement d’un groupe d’anciens
de la SORS [section opérationnelle de recherches spécialisées de l’ex-Direction centrale des
renseignements généraux] ; la plupart avaient été intégrés au sein de la nouvelle DCRI. »
M. Squarcini a longtemps été à la tête de cette SORS et fut numéro deux des renseignements
généraux. La DCRI, devenue, en 2014, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), a la
charge, en France, des missions de contre-espionnage.
Selon M. Squarcini, « le service de sécurité de la DCRI [l]’a informé qu’une entreprise de matériel
côtoyait de très près des personnels ex-RG affectés aux missions de surveillance opérationnelle et
qu’il s’agissait d’une tentative du Mossad ou de gens considérés comme très proche d’infiltrer le
service ». D’après les informations du Monde, le Mossad aurait tenté, par l’intermédiaire d’une
société de vente de matériel informatique et de surveillance, de faire acquérir des moyens
techniques utilisés par les services de renseignement intérieur français et d’autres services
opérationnels de la DGPN. En piégeant ces matériels, le Mossad aurait pu accéder au détail des
opérations de la DCRI, notamment en matière de contre-espionnage…
Si la surveillance du policier sur laquelle M. Squarcini a été interrogé n’a duré que du 6 au 16 juin
2011, celle visant les autres membres de ce groupe s’est prolongée au moins jusqu’à la mi-2012.
Parmi les suspects figurait, notamment, M. D. V., membre de la DCRI, qui s’était mis, à l’époque, en
maladie, tout en fréquentant « un milieu interlope », selon les termes de l’enquête ouverte sur les
agissements du Mossad.
« Sévère avertissement »
Les membres de ce groupe de policiers faisaient office de relais pour les vendeurs de ces matériels
ou usaient de leur qualité pour obtenir des informations classifiées pouvant faciliter leur achat par la
DCRI et la DGPN. Toujours selon les éléments recueillis par Le Monde, l’un des principaux
vendeurs de cette société de vente de matériel arguait de ses liens familiaux avec un gradé de la
police judiciaire pour tenter de convaincre les acheteurs, sans que ce parent en soit informé.
« Certains fonctionnaires visés ont fait l’objet d’une exclusion par la suite, le chef d’entreprise qui
vendait son matériel a été mis en cause et les deux attachés d’ambassade ont fait l’objet d’une
mesure d’observation sévère », a assuré M. Squarcini. Il a ajouté avoir même rencontré, « il y a
quelques mois », « les responsables de l’ambassade d’Israël passés dans le privé ayant subi ce
sévère avertissement ».
Les explications de M. Squarcini ont, par ailleurs, permis d’apprendre qu’au nom de la protection du
secret de ses activités, la DCRI avait pour habitude, lors de ses demandes officielles de placement
sur écoute, de ne pas faire figurer le véritable nom de la cible. Dans le cas d’un des policiers
suspectés de contact avec le Mossad, il est ainsi mentionné « en relation avec les membres SR
[services de renseignement] algériens, suspecté d’avoir divulgué des informations sensibles ».
Questionné, M. Squarcini a assuré que « la motivation est la bonne, mais le service qui est à
l’origine est protégé, c’est la raison pour laquelle [on] a dû choisir les SR algériens, c’est une mesure
de protection de l’affaire, la demande va quitter la DCRI et sera vu par d’autres services : Direction
général de la police nationale, cabinet ministre, Matignon, Commission nationale des interceptions
de sécurité [CNCIS] ».
Interrogé à son tour, le 29 septembre, sur cette opération du Mossad, le successeur de
M. Squarcini, Patrick Calvar, actuel chef de la DGSI, a répondu, laconique : « J’ai été informé de
cette affaire susceptible de mettre en cause un service étranger. » Sollicités par Le Monde, l’avocat
de M. Squarcini, Patrick Maisonneuve, et l’ambassade d’Israël n’ont pas souhaité s’exprimer.