Par Le Monde – Propos recueillis par Benjamin Barthe
Exilé à Abou Dhabi, l’ancien chef de l’antiterrorisme palestinien, Mohammed Dahlan, dénonce la gestion du président de l’Autorité palestinienne.
Ancien homme fort de la bande de Gaza, Mohammed Dahlan, âgé de 55 ans, vit en exil aux Emirats arabes unis depuis 2011, en raison du conflit qui l’oppose à Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Visé par des accusations de détournement de fonds qu’il dément, expulsé des instances dirigeantes du Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie, cet ex-chef du contre- terrorisme palestinien, jadis bête noire du Hamas, est présenté comme l’un des possibles successeurs de M. Abbas, âgé de 81 ans. A l’approche du 7e congrès du Fatah, prévu mardi 29 novembre à Ramallah, la rivalité entre les deux hommes est plus forte que jamais.
Qu’attendez-vous du congrès du Fatah, qui se tiendra à la fin du mois pour renouveler les instances dirigeantes ?
Abou Mazen [le nom de guerre de Mahmoud Abbas] veut se débarrasser de toutes les voix dissidentes. Il veut détruire le Fatah comme il a détruit les institutions de l’Autorité palestinienne. Pour moi, le Fatah est plus important que l’Autorité. C’est une cause à laquelle on adhère par volonté, parce que l’on est prêt à devenir martyr ou prisonnier, et non pour toucher un salaire. Personne ne peut être exclu de ce parti, sauf sur une base légale, et celle-ci, quoi qu’en dise Abbas, n’existe pas. Du temps d’Arafat, les congrès du Fatah servaient à apaiser les tensions internes. On en sortait avec des solutions. Abou Mazen fait le contraire. Il terrorise tous ses opposants. Plus personne n’ose le contredire au sein du comité central. Comment reconstruire le Fatah dans des conditions pareilles ?
Sur quoi repose votre conflit avec Mahmoud Abbas ?
Mon conflit avec lui est politique et non personnel. L’Autorité palestinienne, aujourd’hui, c’est l’Afrique : zéro démocratie ! Imaginez que des gens sont recrutés pour traquer les internautes qui critiquent Abbas sur Facebook ! Tout l’argent est accaparé par ses fils. Pour nous, Palestiniens, c’est quelque chose d’inconcevable. Lire aussi : Règlements de comptes au Fatah.
Auriez-vous assisté aux funérailles de l’ex-président israélien Shimon Pérès, fin septembre, comme l’a fait M. Abbas au prix de violentes critiques ?
La responsabilité première d’un leader, c’est de prendre en compte les sentiments de son peuple. Or Abou Mazen s’occupe plus d’Israël que de son peuple. Il est trop passif. Il y a une différence entre la paix (salam) et la reddition (istislam). Ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est à une occupation sans frais, une reddition de luxe.
N’avez-vous pas une responsabilité ? Vous avez participé à toutes les négociations d’Oslo…
Je ne suis pas contre les négociations, elles sont essentielles. Mais à quoi riment des négociations qui durent vingt-cinq ans ? Les pourparlers avec les Israéliens ont commencé en 1991 à Madrid, puis il y a eu Oslo en 1993. Jusqu’en 2000, ce processus a fonctionné, bon an mal an. Au moins Israël nous rétrocédait-il des terres. Nous avions un peu d’espoir. Mais après la mort de Yasser Arafat [président de l’Autorité palestinienne de 1996 à sa mort en 2004], tout s’est effondré. Nous sommes en 2016 et les soldats israéliens continuent de circuler à leur guise en Cisjordanie, les colonies de se développer et l’annexion de Jérusalem-Est de s’intensifier.
Continuez-vous à penser que les négociations sont la solution ?
Je veux des négociations productives, pas une simple séance photo. Les paramètres d’un accord de paix sont connus. Nous avons creusé jusqu’au moindre détail. Ce qu’il nous faut, ce sont des décisions. Mais Benyamin Nétanhayou [le premier ministre israélien] ne croit pas dans la solution à deux Etats. Il nous pousse vers l’Etat unique : un homme, une voix !
Etes-vous favorable à une telle solution ?
Personnellement, je ne suis pas contre, du moment que nous cessons d’être occupés. Mais quid des dirigeants israéliens ? S’ils n’acceptent pas un Etat palestinien bâti sur seulement 22 % de la Palestine historique, pensez-vous qu’ils accepteront un Etat unique ? Ce qu’ils nous proposent, c’est l’occupation sans fin. Une grande prison pour 4 millions d’habitants. Evidemment, tout cela finira par exploser. Les Israéliens nous poussent vers le chaos.
Où en sont vos relations avec le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza ? Votre épouse y est retournée récemment, pour des projets caritatifs. Elle n’aurait pu le faire sans la bénédiction des islamistes…
Ma femme adore la bande de Gaza, elle pense que c’est le sud de la France (rires)… Je suis toujours un ferme opposant au Hamas. Je n’ai passé aucun accord politique avec eux. Mais la situation sur place est tellement dure que l’on ne peut pas rester les bras croisés. C’est pour cela que j’ai proposé de former un comité national, composé de tous les députés originaires de ce territoire, et de lui confier la gestion de projets humanitaires.
La presse israélienne affirme que vous êtes en contact avec le ministre de la défense du pays, l’ultranationaliste Avigdor Lieberman. Vrai ou faux ?
Faux, bien sûr. Quand j’étais au pouvoir, je n’avais pas de ligne rouge, je rencontrais qui je voulais. Mais quand je n’ai pas de responsabilité, je ne vois pas de responsables israéliens, ni même américains. Les Etats-Unis ne me donnent d’ailleurs plus de visa depuis 2004. Ils me détestent, car j’ai critiqué leur intervention en Irak.
Etes-vous candidat à la succession de Mahmoud Abbas ?
Je ne veux pas de ce poste. Je soutiendrai toute personne capable d’assumer cette fonction et de répondre aux besoins des Palestiniens. Comme par exemple Marouane Barghouti [ancien héraut de la seconde Intifada, emprisonné à vie en Israël]. Mais je ne commettrai pas la bêtise d’élire un second Abou Mazen. Je veux une direction collégiale, qui, au lieu de brandir des slogans, offre des solutions.
En juin 2017, cela fera cinquante ans que les territoires palestiniens sont occupés. Ne serait-ce pas l’occasion de revoir la stratégie palestinienne ?
Nous avons le droit de combattre l’occupation, mais nous avons aussi le devoir de nous accorder sur la forme de cette résistance. Avec des fusils ou des moyens pacifiques ? Il ne faut pas que la communauté internationale nous voie comme des criminels. L’exercice du droit à la résistance doit se faire à un coût minimum et avec une efficacité maximale.
La société israélienne s’oriente de plus en plus à droite. La paix reste-t-elle possible ? Les Israéliens sont des sentimentaux, comme les Arabes.
De mon point de vue, ils veulent la paix. Ceux qui soutiennent Nétanyahou aujourd’hui sont les mêmes qui ont soutenu Yitzhak Rabin [premier ministre de 1992 à son assassinat en 1995] lors du processus de paix, ou Ehoud Barak [premier ministre de 1999 à 2001] lors du retrait du Liban [en 2000]. L’important, c’est ce que veulent les dirigeants israéliens. Nétanyahou est aujourd’hui semblable à n’importe quel despote arabe, avec quelques touches de démocratie en plus. Il contrôle 100 % de la vie politique israélienne. Malheureusement, au sein du Likoud [droite nationaliste] comme du Parti travailliste, je ne vois personne capable de lui succéder et d’imposer les décisions nécessaires à la paix.