A Jérusalem, tamiser des gravats devient une entreprise hautement politique

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LE MONDE | 07.11.2016 à 06h39 | Par Piotr Smolar

Près de la Vieille Ville, des centaines de tonnes de terre et de débris sont passées au peigne fin. L’enjeu ? Y découvrir les preuves des liens millénaires entre les juifs et le Mont du temple.

LETTRE DE JÉRUSALEM

Sous la longue tente, on a organisé des postes de travail. De jeunes volontaires s’y relaient, tandis que des groupes scolaires ou des touristes les prennent en photo en pleine action. Les volontaires tamisent, tamisent, tamisent encore, pour ne rien omettre. Ils examinent le contenu d’imposants sacs de débris, qui s’entassent à l’extérieur.

Nous sommes au Parc national Emek Tzurim, au pied du Mont Scopus, à Jérusalem. C’est ici qu’a été organisé le Temple Mount Sifting Project, un projet à la fois archéologique et touristique, à forte charge identitaire.

Depuis douze ans, un homme se trouve à la barre de cette entreprise, l’archéologue Gabriel Barkay. De sa voix de velours, épaisse et parfaitement anglophone, il mélange savamment références historiques et religieuses, la Bible et les régimes qui se sont succédé à Jérusalem.

Au cœur de son activité et de son engagement : la volonté d’illustrer les liens entre le judaïsme et la Vieille Ville – occupée en 1967, puis annexée par Israël –, et plus particulièrement son site le plus sacré, aussi bien pour les juifs que les musulmans. Les premiers l’appellent le Mont du temple, les seconds, l’Esplanade des mosquées.

Trésors cachés

C’est là que se dressèrent, avant leur destruction, le premier puis le second Temple juif. C’est là que se trouve la mosquée Al-Aqsa, d’où le prophète Mahomet s’éleva aux cieux, croient les musulmans. « Jérusalem est l’un des lieux les plus explorés sur la Terre depuis un siècle et demi, note Gabriel Barkay. Pas un endroit n’a été laissé intact, à part le Mont du temple, qui représente une sorte de trou noir alors qu’il couvre un sixième de la Vieille Ville. »

A la fin des années 1990, le Waqf, l’organisme religieux chargé de la gestion de l’Esplanade des mosquées, a conduit des travaux dans les Ecuries de Salomon, situées sous son angle sud-est. Cet endroit souterrain, devant être transformé en mosquée El-Marwani pour les croyants musulmans, a été creusé par des bulldozers, qui ont extrait d’énormes quantités de terre, mélangée à des débris.

Selon les Israéliens, il y avait là des trésors cachés, permettant d’illustrer les liens millénaires entre les juifs et le lieu sacré. L’équivalent de 400 camions remplis de terre a été déversé en dehors de la Vieille Ville, dans la vallée de Kidron. Pendant quatre ans, ces tas restèrent intacts.

Puis Gabriel Barkay lança le projet destiné à tamiser ce mélange incertain. En soulignant lui-même les limites de l’exercice : pour saisir un objet archéologique dans toute sa complexité, il faut tenir compte du lieu précis d’excavation, de la profondeur, du type de sol, etc. Des informations manquantes. « Cet acte barbare décidé par le Waqf a eu lieu à un endroit si sensible que même un travail à la brosse à dent aurait été indélicat », soupire l’archéologue.

Réponse symbolique

Très vite, pourtant, il a reçu le soutien de la Fondation de la Cité de David, dite Elad. Cette organisation classée très à droite a un agenda clair : démontrer que les racines de la Vieille Ville, et en particulier du Mont du temple, plongent dans le judaïsme, au mépris de l’influence musulmane.

A ce jour, 70 % des débris ont été passés au tamis, avec un grand succès, affirme l’archéologue israélien, qui prépare une publication pour récapituler toutes les trouvailles. Il s’agit essentiellement de petits objets comme des pièces, des morceaux de faïence, des bijoux. Chaque trace, actuellement, fait l’objet d’une publicité considérable.

Lundi 7 octobre, la Knesset (Parlement) devait même tenir une session spéciale consacrée aux liens entre les juifs et le Mont du temple. Il s’agit là d’une réponse symbolique à deux votes récents, au sein de l’Unesco, qui paraissaient nier ces liens, selon l’Etat hébreu, qui a rappelé son ambassadeur pour consultation.

Gabriel Barkay rejette les soupçons de manipulation des fouilles archéologiques à des fins idéologiques, estimant que les racines juives sont déjà amplement démontrées. « Je n’ai pas besoin de prouver quoi que ce soit, objecte-t-il. On veut trouver ce qu’on peut trouver, mais ne pas trouver ne démontrerait rien a contrario. On n’ignore ni la présence des Croisés, ni celle des Ottomans, ni les droits des musulmans, mais on attend la réciprocité. »

Dizaines de millions de dollars de dons

Elad a un agenda plus offensif. La fondation promeut l’installation de colons juifs au milieu du quartier arabe de Silwan, à Jérusalem-Est, à la pointe duquel se trouve la cité de David, au pied des murailles de la Vieille Ville. Comme l’a montré une enquête du quotidien (centre-gauche) Haaretz, Elad reçoit des dizaines de millions de dollars de dons, transitant par des paradis fiscaux dans le monde entier. La liste des donateurs demeure donc cachée, en contraste avec l’impératif de transparence imposée aux ONG dites de gauche qui, elles, documentent l’occupation.

Dans un rapport récent, le Contrôleur général (une sorte de Cour des comptes aux prérogatives étendues) a mis en cause l’octroi par plusieurs agences gouvernementales de projets archéologiques à Elad sans aucun appel d’offres. A ce jour, aucun contrat n’a été signé en bonne et due forme au sujet du projet du Mont du temple. Selon le Contrôleur général, l’autorité chargée des antiquités n’a pas assuré une supervision correcte des travaux.