Israël-Palestine : revirement majeur de Donald Trump sur un mode confus

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Par Le Monde – Gilles Paris


Le président américain a dissocié mercredi, pour la première fois, l’objectif d’une paix entre Israël et les Palestiniens d’une solution à deux Etats.

Donald Trump a engagé les Etats-Unis dans l’inconnu en recevant le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à la Maison Blanche, mercredi 15 février. Le président américain a en effet dissocié pour la première fois l’objectif d’une paix entre Israël et les Palestiniens de la création d’un Etat pour les seconds à côté de l’Etat juif. La veille, ses conseillers avaient préparé le terrain en assurant qu’« une solution des deux Etats qui n’apporte pas la paix est un objectif qui n’intéresse personne ».

Ce revirement majeur, qui pourrait – s’il se confirme – potentiellement isoler les Etats-Unis vis-à-vis de leurs alliés arabes ou occidentaux, a été opéré de la manière la plus confuse. Il est intervenu en effet en réponse à une question posée par un journaliste israélien au cours d’une conférence de presse curieusement programmée au début de la visite, et non au terme des discussions prévues.

« Je regarde [la solution à] deux Etats, [à] un Etat, et si Israël et les Palestiniens sont contents, je suis content avec ce qu’ils préfèrent », a estimé M. Trump avec une candeur qui a suscité les rires de son visiteur. « Les deux me vont. J’ai pensé pendant un temps que [la solution des] deux Etats avait l’air d’être la plus facile des deux mais, honnêtement, si Bibi [le surnom de Benyamin Nétanyahou] et les Palestiniens, si Israël et les Palestiniens, sont contents, je serai satisfait avec celle qu’ils préfèrent », a-t-il ajouté.

M. Nétanyahou s’est bien gardé pour sa part de s’exprimer sur la solution à un Etat, que revendique l’extrême droite israélienne, farouchement hostile à la création d’un Etat palestinien. Cette perspective soulève généralement des interrogations sur la nature démocratique d’Israël, puisque la population de confession juive deviendrait minoritaire dans l’espace territorial ainsi constitué. Le premier ministre israélien a multiplié par le passé les déclarations contradictoires sur la solution des deux Etats, la reconnaissant une seule fois, en juin 2009, sous la pression du prédécesseur de M. Trump, Barack Obama, avant de l’écarter lors de la campagne électorale de 2016.

Une « certaine ignorance » du dossier

Certes, le président américain a une nouvelle fois pris position contre la colonisation, demandant à M. Nétanyahou « de faire preuve de retenue pendant un moment ». De même, il s’est montré réservé sur la promesse de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Il a enfin assuré que la paix passait par des « compromis ». Mais M. Nétanyahou s’est manifestement satisfait du détachement manifesté par M. Trump sur la question des deux Etats, un sujet de crispation en Israël du fait des pressions des colons. Il a assuré que le « contenu » compte plus que « les étiquettes », même si cette paix esquissée par le président américain sans la moindre référence aux efforts diplomatiques passés a semblé relever de l’incantation.

Interrogé sur la formule énigmatique de M. Trump, le responsable d’un think-tank américain, spécialiste de la région et qui a demandé à garder l’anonymat, a estimé que sa mention d’une solution « à un Etat » n’avait pas « le sens qu’on peut lui donner, côté israélien comme côté palestinien ». « Je pense qu’elle traduisait simplement sa volonté de tenter de parvenir à une solution. Elle n’est pas autre chose que l’expression d’une certaine ignorance » du dossier, a-t-il ajouté.

Tout avait été fait à la Maison Blanche, mercredi, pour mettre en scène une entente retrouvée, après de longues années de tension entre M. Obama et le même premier ministre israélien. Ce dernier, accompagné de sa femme, avait été accueilli par M. Trump et son épouse Melania, à une entrée de la façade sud de la Maison Blanche, et non à celle qu’avaient empruntée quelques jours plus tôt, côté nord, les premiers ministres Shinzo Abe et Justin Trudeau.

Réactions courroucées

Au cours de l’exercice, les deux hommes ont insisté sur leur proximité, mentionnant l’un comme l’autre le gendre du président, Jared Kushner, présent dans la salle, et qui pourrait se saisir du dossier en dépit d’une totale absence d’expérience en la matière. MM. Trump et Nétanyahou ont exprimé une défiance tout aussi partagée vis-à-vis de l’Iran. Le président américain a une nouvelle fois répété que l’accord nucléaire entre les grandes puissances et Téhéran était « le pire jamais conclu », alors que ses conseillers ont assuré à de multiples reprises que Washington entendait pour l’instant le respecter.

Ils n’ont pas limité leur approche du dossier israélo-palestinien à la mise en question du principe des deux Etats défendu par les trois administrations américaines précédentes, depuis la signature des accords d’Oslo, en 1993. Pour contourner le blocage actuel, les deux hommes ont en effet évoqué une nouvelle piste. « Notre administration s’engage à travailler avec Israël et nos alliés communs dans la région pour davantage de sécurité et de stabilité. Cela comprend un accord de paix entre Israël et les Palestiniens », a assuré M. Trump.

Le premier ministre israélien a évoqué pour sa part une convergence d’intérêts avec des pays arabes voisins face aux menaces constituées par l’Iran et le djihadisme. Il pensait sans doute à l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie et les Emirats arabes unis, qu’il espère voir jouer de leur influence auprès des Palestiniens, jugés responsables de l’impasse actuelle. Au vu des réactions courroucées de nombreux responsables palestiniens à l’annonce de la remise en question de la solution des deux Etats, cette influence supposée risque d’être rapidement soumise à rude épreuve.