En Cisjordanie, Israël face à ses colons

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Le Monde | Par Piotr Smolar


L’évacuation à venir des colons d’Amona fait courir à Benyamin Nétanyahou le risque d’une crise politique.

Le vent se lève sur les coteaux et parfume le porche de la maison d’Eli Greenberg. Ça sent le romarin. L’un des huit enfants du colon se balance dans un hamac, un autre vient lui montrer son dessin réalisé le matin à la crèche. Le vent balaie Amona, et il annonce la nouvelle saison.

De rares voitures passent, rapportant des victuailles pour la fête de Kippour. Sur les flancs de la colline, se dressent des pieds de vigne et des oliviers chétifs. En 1995, une poignée de jeunes exaltés juifs d’Ofra, la colonie située en contrebas, sont montés à 900 mètres d’altitude pour établir un campement. Depuis, celui-ci a dépassé le stade du provisoire : les pylônes électriques ont été dressés, le goudron a recouvert le chemin caillouteux. Sur les crêtes avoisinantes, se dessinent des villages palestiniens et d’autres colonies en un damier infernal. A l’ouest, de l’autre côté de la route 60, c’est Ramallah.

Né à Haïfa, Eli Greenberg, 43 ans, travaille comme intermédiaire dans la vente d’équipements fabriqués en Chine, à destination du marché américain. L’activité marche bien, mais la défense d’Amona l’absorbe. Or le temps, c’est ce qui manque le plus aux familles de l’avant-poste, car il s’agit d’une implantation illégale au carré : non seulement au regard du droit international, comme toutes les colonies, mais aussi selon la loi israélienne.


« Mes racines remontent à l’Ancien Testament »

La Cour suprême a tranché : les 300 habitants, installés sur des terres privées palestiniennes, seront évacués d’ici au 25 décembre. Eli Greenberg n’exclut pas une confrontation avec les soldats, mais comme les autres, il a prévu un refuge : il a loué un appartement à Ofra.

Avant de s’asseoir sur la terrasse, le colon affable tenait à monter plus haut, sur une plate-forme en bois à la peinture écaillée, afin d’embrasser l’avant-poste du regard. C’est le plus grand parmi la centaine existant en Cisjordanie. « Notre communauté est florissante, dit-il. On a des ingénieurs, des infirmiers, des vignerons… » On distingue quarante maisons mobiles décrépies, quelques lopins de terre cultivée. Difficile d’imaginer que l’endroit soit devenu un enjeu international, un motif de crise politique intérieure et le symbole de la colonisation israélienne en Cisjordanie, où vivent près de 400 000 juifs.

« Amona est l’une des frontières de l’Occident devant l’islam, ose Eli Greenberg. Nous sommes attaqués. Renoncer à cette communauté, c’est reculer et se soumettre. Mes racines ici sont beaucoup plus profondes que celles d’un Français en France : elles remontent à l’Ancien Testament. » Le colon en veut à la Cour suprême et aux « organisations gauchistes extrémistes », qui se sont mobilisées pour défendre les droits des propriétaires palestiniens. « L’ère des compromis arrive à son terme, affirme-t-il. L’Etat d’Israël est poussé, de l’extérieur et de l’intérieur, à prendre une décision concernant la Judée-Samarie [nom biblique donné à la Cisjordanie]. Il faut dissiper le brouillard. Sommes-nous des citoyens à part entière ? »

La bataille juridique dure depuis l’été 2005, quand l’ONG La Paix maintenant a demandé, au nom de Palestiniens spoliés, la destruction de neuf logements à Amona. Début 2006, l’armée dut déployer des milliers de soldats pour exécuter la décision de justice, malgré l’opposition physique des colons. Les blessés furent nombreux. L’image marqua les esprits, six mois après l’évacuation de 8 000 Israéliens de la bande de Gaza. Dès lors, la question des avant-postes est devenue taboue.

Pourtant, en 2005, dans un rapport commandé par le gouvernement d’Ariel Sharon, l’avocate Talia Sasson avait prôné leur éradication. Elle notait que 2,1 millions de shekels (500 000 euros) avaient été indûment investis dans les infrastructures d’Amona par le ministère du logement. M. Sharon avait promis de suivre la recommandation du rapport, mais n’en fit rien.

Au contraire : depuis, près d’un tiers des avant-postes ont été légalisés ou sont en voie de l’être, reclassés comme simples quartiers excentrés de colonies existantes. « Jusqu’en 2011, l’Etat acceptait nos arguments pour la destruction des avant-postes mais il invoquait des problèmes de timing, explique Me Michael Sfard, célèbre avocat israélien impliqué dans le dossier Amona. Puis il a changé de position, en disant qu’il ne supprimerait que les avant-postes construits sur des terres privées palestiniennes, mais légaliserait ceux sur les terres classées d’Etat. Mais cette distinction est si discutable qu’elle permet encore de gagner des années de procédure. En fait, le gouvernement ne veut ni tout légaliser ni détruire. »


Nétanyahou, tacticien sans vision

La Cour suprême contrarie parfois les ambitions messianiques. Avec opiniâtreté, les habitants palestiniens du village de Silwad, près d’Amona, ont défendu leurs droits. Ils ont fini par l’emporter. Les colons redoutent que le sort de l’avant-poste déclenche une clarification à leurs dépens. Après Amona, neuf maisons à Ofra devront être démolies en février 2017. Dans les dix-huit mois à venir, suivant la décision de la Cour, il faudra réserver le même sort à d’autres logements de l’avant-poste de Netiv Haavot, dans le bloc de colonies du Goush Etzion. Plus de 2 000 habitations ou structures commerciales, bâties sur des terrains privés appartenant à des Palestiniens, seraient concernées si les critères d’Amona étaient appliqués partout.

L’hypothèse est très peu probable, mais elle explique pourquoi Amona cristallise les tensions au sein de la majorité. Pour le Foyer juif, le parti nationaliste religieux du ministre de l’éducation Naftali Bennett, le sujet peut faire imploser la coalition. Cette formation, dont les colons constituent la base électorale, promeut une annexion de la zone C, qui représente 60 % de la Cisjordanie. Pour leur part, les Etats-Unis font d’Amona un cas d’école illustrant la mauvaise foi de Benyamin Nétanyahou en matière de colonisation. Tacticien sans vision, il cherche une issue pour ne froisser personne. Il arrive au résultat inverse.

Les colons l’accusent de se soumettre aux pressions internationales. Le premier ministre israélien, lui, réclame l’union sacrée en attendant que Barack Obama quitte la Maison Blanche. Sa réponse : vous n’aurez jamais de majorité plus favorable à votre cause. « On n’a pas d’autre option que ce gouvernement, reconnaît ainsi Oded Revivi, le porte-parole pour l’étranger du Conseil de Yesha, qui représente les colons. On affronte des temps difficiles avec l’administration américaine, ça nous oblige à être prudents. On verra ce qui se passera après l’élection [présidentielle américaine] de novembre. » Pour lui, « il n’y a pas d’alternative à la destruction d’Amona. Nous sommes dans un Etat de droit, j’espère que les habitants comprendront la nécessité de respecter la décision. Mais pour l’instant, aucun compromis n’a été trouvé pour leur relogement ».


« Tout le monde oublie les Palestiniens »

L’Administration civile avait envisagé de déplacer les habitants d’Amona de quelques centaines de mètres, sur des parcelles non réclamées. Mais les villageois palestiniens ont rapidement fait valoir leurs droits sur 30 des 35 lots. « Dans cette histoire d’Amona, tout le monde oublie les propriétaires véritables de la terre, les Palestiniens, soupire Gilad Grossman, porte-parole de l’ONG israélienne Yesh Din, très active dans ce dossier. Ce sont eux, les victimes. » L’activiste ne croit pas à l’autre manœuvre du gouvernement, qui envisageait de construire une nouvelle colonie avec 98 logements, près de celle de Shilo, pour accueillir les habitants d’Amona. « Personne n’a succombé à cette ruse, dit-il. Et puis, ça prendrait beaucoup de temps, alors que l’évacuation d’Amona doit avoir lieu d’ici à décembre. »

Cette idée d’une nouvelle colonie a déclenché la fureur de Washington. Naftali Bennett, lui, a proposé de « donner sa vie » pour le grand Israël de l’annexion. Lundi, il est venu discrètement rencontrer les habitants d’Amona. Il veut promouvoir un texte de loi légalisant toutes les constructions juives en Cisjordanie.