Edouard Philippe-Emmanuel Macron, un couple inédit avide de recomposition

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

Le Monde – Par  Bastien Bonnefous, Solenn de Royer et Matthieu Goar


Le gouvernement, qui doit être annoncé mardi, devrait prendre en compte la parité, le renouvellement politique et l’équilibre gauche-droite.
Une attente de plusieurs heures avant une déclaration laconique, sur le perron de l’Elysée : « Le président de la République a nommé Monsieur Edouard Philippe premier ministre et l’a chargé de former le nouveau gouvernement », a lâché le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, lundi 15 mai.

L’annonce n’a duré que onze secondes mais elle va laisser une trace durable. Au deuxième jour de son mandat, Emmanuel Macron est passé à une nouvelle étape de son opération de fracturation et de recomposition de la vie politique, en s’alliant avec une figure de la droite : le maire (Les Républicains) du Havre et député de Seine-Maritime, Edouard Philippe, un énarque peu connu du grand public, âgé de 46 ans, l’un des héritiers politiques d’Alain Juppé.
« Fantomas et sa DS »
Si Edouard Philippe et Emmanuel Macron se connaissent peu, le nouveau chef du gouvernement est en revanche très proche d’Alexis Kohler. « Macron n’a pas débauché un baron médiatique de la droite mais joué le saut des générations et la recomposition », analyse Julien Vaulpré, le directeur général du cabinet de conseil Taddeo, qui connaît bien le nouveau duo exécutif.
Les périodes subies de cohabitation exceptées, cet attelage qui enjambe le traditionnel clivage gauche-droite est un fait inédit sous la Ve République. « Je me suis dit que la situation dans laquelle nous étions était suffisamment unique pour que nous tentions quelque chose qui n’a jamais été tenté », a résumé M. Philippe sur le plateau du 20 heures de TF1, à la fin d’une longue journée, parfois rocambolesque.

Lorsque M. Philippe sort lundi de son domicile vers midi, son taxi est pris en chasse par les motos des chaînes d’infos en continu. Les images du futur premier ministre au téléphone ou en discussion avec le chauffeur sont diffusées en direct. Sauf que personne ne sait alors où se rend le maire du Havre. Entre l’église de la Madeleine et la place de la Concorde, les commentateurs sont désappointés de ne pas le voir tourner à droite, vers l’Elysée.
En réalité, Edouard Philippe a monté un stratagème pour s’extraire de la nasse médiatique. Le député s’arrête à l’Assemblée nationale. Tout le monde pense qu’il a rejoint son bureau, mais il change en fait de voiture pour échapper aux caméras. « C’est un peu Fantomas et sa DS qui s’envolent », ironise un de ses proches.
« Savant dosage »
Edouard Philippe file alors discrètement à l’Elysée pour déjeuner avec Emmanuel Macron. La composition de son cabinet est un premier point d’achoppement, alors que l’Elysée souhaite renforcer l’efficacité du dispositif et éviter les doublons. Parmi les ajustements envisagés, la cellule diplomatique de Matignon pourrait par exemple être allégée afin de laisser à la présidence le champ libre sur les questions internationales. « L’Elysée a été très regardant sur le cabinet », assure un proche des deux hommes.
Mais le duo exécutif s’est surtout consacré à la délicate composition du gouvernement. « Il ne s’agit pas d’un gouvernement habituel, fait-on valoir à l’Elysée. Il y a un savant dosage à faire entre la société civile, la parité, la droite et la gauche. C’est une recette plus compliquée que d’habitude. »

Le président et le premier ministre ont également dû se mettre d’accord sur un point clé : le nombre de ministères réservés à la droite. Car les proches d’Alain Juppé et de Bruno Le Maire ont posé leurs conditions pour participer à l’action gouvernementale : que le premier ministre soit de leur camp et que plusieurs portefeuilles leur soient réservés. Un impératif pour franchir le Rubicon en groupe.
« Le choix d’Edouard Philippe est cohérent avec le désir de renouvellement et la possibilité de dépassement des clivages prôné par Emmanuel Macron. Mais il faut aussi trouver un équilibre gouvernemental pour créer une alchimie », explique ainsi Christophe Béchu, le maire juppéiste d’Angers.
Mais l’Elysée a dû refréner leur appétit. « Ils sont gourmands, ils veulent plusieurs portefeuilles, il faut qu’ils comprennent qu’ils ne peuvent pas tout avoir », pestait encore samedi un proche de M. Macron. Lundi soir, aucune source n’était concordante sur le nombre de ministres issus de LR qui intégreront le gouvernement annoncé mardi en fin d’après-midi. Mais les noms de Bruno Le Maire, Christophe Béchu, Franck Riester, Arnand Robinet, ou des sénateurs Fabienne Keller et Jean-Pierre Raffarin sont régulièrement cités.
La passation des pouvoirs entre Edouard Philippe et Bernard Cazeneuve s’est déroulée dans la foulée de la nomination du premier, lundi. La recomposition politique à l’œuvre s’est invitée dans les échanges entre les deux hommes, élus de la même région, la Normandie. M. Cazeneuve a rappelé ses convictions d’« homme de gauche » et sa filiation avec Blum, Jaurès ou Mendès-France.

Faisant l’éloge de la « loyauté » et de la « fidélité » en politique, pique subliminale adressée au nouveau président, il a mis en garde son successeur en insistant sur la nécessité du clivage droite-gauche. « J’ai la certitude que la modernisation du pays n’est possible que dès lors qu’il y a dans l’engagement de chacun une authenticité, un attachement aux leçons de l’histoire. (…) On ne vient pas de nulle part », a-t-il souligné.
Edouard Philippe a répondu à ces piques aigres douces en assumant son passé. « Alors même que je suis un homme de droite et que vous êtes un homme de gauche, nous avons l’un pour l’autre de l’estime et nous savons que l’intérêt général » doit être un guide, a-t-il précisé, en ajoutant de Gaulle et Clemenceau aux références citées par M. Cazeneuve. « Ce qui nous permettrait d’aboutir à un équilibre au fond très français, peut-être violemment modéré, mais à mon avis terriblement conquérant », a-t-il précisé.
Le nouveau chef du gouvernement s’est ensuite enfermé dans son nouveau bureau avec son directeur de cabinet, le conseiller d’Etat Benoît Ribadeau-Dumas. Il a notamment appelé Nicolas Sarkozy. Dimanche, M. Philippe avait fait part de sa décision à ses deux mentors politiques : Antoine Rufenacht, l’ancien maire du Havre, et surtout Alain Juppé. L’ex premier ministre de Jacques Chirac, parmi les fondateurs de l’UMP en 2002, ne l’a pas empêché, même si ce choix peut contribuer à affaiblir la droite dont il a été l’une des figures pendant près de quarante ans.
« Je lui souhaite évidemment bonne chance », a déclaré le maire de Bordeaux dans l’après-midi avant d’affirmer qu’il soutiendrait les candidats LR et UDI [Union des démocrates et indépendants] aux législatives tout en ne fermant pas la porte à cette tentative de recomposition : « Si la droite n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale, les citoyens ne comprendraient pas que nous soyons dans une attitude de blocage. »
Le nouveau couple exécutif tente donc un pari : débuter la recomposition avant le premier tour des législatives en allant beaucoup plus loin que le débauchage de quelques personnalités, comme Nicolas Sarkozy l’avait fait avec « l’ouverture », en 2007. « Il faut que ça fasse système, théorise un conseiller élyséen. Edouard Philippe n’est pas seul, il emmène avec lui sa sensibilité. C’est cela qui participe de la recomposition ».

L’arrimage de juppéistes et des lemairistes au gouvernement doit permettre de faire décrocher de LR une partie de la droite modérée, notamment chez des candidats aux élections des 11 et 18 juin. Ces derniers prendraient l’étiquette La République en marche (LRM) qui distribue ses dernières investitures mercredi. Une source proche d’Alain Juppé évoque vingt à trente candidats qui pourraient faire ce choix. Une estimation irréaliste, selon plusieurs responsables LR.
La tribune publiée lundi soir par une vingtaine de figures de la droite, notamment le député du Nord Gérald Darmanin ou encore M. Solère, est un appel implicite à une coalition à moyen terme.

MM. Macron et Philippe réfléchissent à cette stratégie depuis longtemps. Les deux hommes se sont vus dès le 24 avril, au lendemain du premier tour de la présidentielle, pour en parler, et de nombreuses réunions ont suivi. En réalité, les premiers contacts ont eu lieu avant le scrutin présidentiel.
Le nouveau président avait fait son choix depuis un mois, ce qui ne l’a pas empêché d’agiter d’autres noms de personnalités LR comme celui de Xavier Bertrand, pour jouer avec les nerfs de ses adversaires. « Il a cité mon nom pour semer le trouble à droite, en montrant qu’il était rassembleur et ouvert », confie le président de la région Hauts-de-France qui a décidé de rester fidèle à LR. « Pendant ce temps, ils pouvaient dealer discrètement avec Edouard Philippe et Juppé. Ils avançaient masqués », ajoute un proche de M. Bertrand. La recomposition est aussi un art de la dissimulation.