Par Le Monde – Piotr Smolar
L’envoyé spécial du président américain arrive en Israël aujourd’hui. La question du développement des colonies en Cisjordanie sera au cœur des discussions.
Un premier contact téléphonique a enfin eu lieu, vendredi 10 mars, entre Donald Trump et Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. L’administration américaine se lance ainsi, à son tour, comme médiateur du conflit israélo-palestinien.
Lundi, l’envoyé spécial du président américain pour ce dossier, l’avocat Jason Greenblatt, est attendu en Israël pour discuter avec le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. La Maison Blanche a fait savoir qu’elle souhaitait de la « retenue » en matière de développement des colonies en Cisjordanie. C’est la raison pour laquelle un comité de coordination bilatéral a été constitué, avec l’ambassadeur israélien à Washington, Ron Dermer, l’un des plus proches collaborateurs de M. Nétanyahou, mais également un intime de la famille Trump.
Après huit années de tensions avec l’administration Obama, la droite israélienne refuse de croire que les Etats-Unis exigeront un gel des constructions. « L’idée de cette équipe est de permettre autant de constructions que la croissance de ces communautés le commande, assure au Monde Tzipi Hotovely, la vice-ministre israélienne des affaires étrangères. Nous parlons de vrais juifs connectés à un morceau de terre juive. Pour la première fois depuis cinquante ans, une administration américaine ne dit pas que ces colonies sont un obstacle à la paix. »
Enterrer l’idée d’un Etat palestinien
Le test sera la réaction de la Maison Blanche à la volonté du gouvernement israélien de construire une nouvelle colonie – la première en plus de vingt ans – pour accueillir les familles d’Amona, l’avant-poste qui a été démantelé en février.
Tzipi Hotovely, qui représente l’aile radicale du Likoud, est ravie des débuts de la présidence Trump. « Cette administration américaine est ouverte d’esprit, beaucoup plus réaliste. On ne parle plus d’imposer une solution aux deux parties. »
Agée de 38 ans, très religieuse, elle est représentative d’une majorité des membres du gouvernement de M. Nétanyahou : ceux qui clament la fin de la solution à deux Etats, par idéologie ou opportunisme. « La meilleure façon,dit-elle, d’aller vers une souveraineté israélienne en Judée-Samarie [le nom biblique de la Cisjordanie], dans le cadre d’une solution régionale, est de le faire avec le soutien américain. »
Cette droite à l’offensive rejette le mot « occupation ». Elle n’accepte pas davantage celui d’« annexion », lui préférant « extension de la souveraineté israélienne ». Derrière ces subtilités sémantiques, le projet ne fait plus de doute : elle essaie d’enterrer l’idée d’un Etat palestinien. Mais elle n’est plus sûre de disposer d’un chèque en blanc de Donald Trump ; celui-ci ne veut pas de gestes unilatéraux dramatiques. M. Nétanyahou a donc imposé un nouveau report d’une initiative controversée.
Le 5 mars, le comité ministériel pour la législation devait en effet examiner un projet de loi proposant l’annexion de l’une des plus grandes colonies juives en Cisjordanie, Maale Adumim. Les auteurs sont Bezalel Smotrich (Foyer juif, national-religieux), le porte-voix zélé des colons, et Yoav Kish (Likoud).
Ce dernier veut un redécoupage de la Cisjordanie, dont plus de la moitié serait annexée par l’Etat hébreu. « Israël doit enfin défendre ses intérêts et appliquer sa souveraineté sur l’ensemble de ses communautés en Judée-Samarie », explique-t-il au Monde. Le projet législatif sur Maale Adumim est, à l’en croire, un premier pas dans cette direction. M.Nétanyahou souhaitait éviter de nouveau son examen pendant la visite de M.Greenblatt.
Une chance sans précédent
Cette coproduction entre le Likoud et le Foyer juif montre que les digues ont sauté entre la droite dite classique et la nouvelle génération nationale–religieuse, incarnant les colons. Les députés des deux formations ont en commun l’idée que le cycle d’Oslo, soit un quart de siècle de négociations bilatérales sous supervision américaine, s’est achevé avec le départ de Barack Obama.
L’avènement de Donald Trump offrirait une chance sans précédent : celle de l’annexion de la « Judée-Samarie ». « Il s’agit d’un long processus, reconnaît le député Yoav Kish. Je comprendrais s’il y avait encore un report de notre projet sur Maale Adumim, d’autant que Benyamin Nétanyahou pourrait voir [le président américain] à la fin du mois de mars. Or, Trump veut participer à la conversation avant que les choses n’arrivent, et se coordonner. C’est normal. »
Le premier ministre israélien a cessé d’employer l’expression « solution à deux Etats ». Il a aussi permis l’adoption au Parlement d’un texte de loi validant la légalisation de milliers de logements de colons construits sur des terres privées palestiniennes. Mais il n’a pas abandonné son engagement formel en faveur d’un Etat palestinien démilitarisé, reconnaissant Israël comme Etat juif.
Confronté au harcèlement de son propre parti et du Foyer juif, il se pose en dirigeant responsable. « Les choses ne sont pas aussi simples que vous le pensez », a-t-il dit aux députés du Likoud, le 27 mars, selon un enregistrement pirate diffusé par la presse. Le chef du gouvernement a reconnu que la présidence Trump représentait une « occasion historique ». Mais il a souligné, dans la foulée, qu’il fallait « connaître les limites de cette occasion ».