Par Le Monde – Madjid Zerrouky
Le chef du réseau djihadiste appelle ses troupes à renoncer au contrôle de territoires pour se concentrer sur des actions de guérilla.
Pour les affiliés d’Al-Qaida en Syrie, l’heure n’est plus à espérer entrer triomphalement dans Damas. Le chef du réseau djihadiste international, l’Eyptien Ayman Al-Zawahiri, a clairement exprimé ce rappel aux fondamentaux du mouvement, en appelant ses troupes syriennes à revoir leur stratégie, dans un enregistrement de six minutes mis en ligne dimanche 23 avril.
« Préparez-vous à une longue guerre contre les croisés et leurs alliés [chiites] et privilégiez l’idéologie au [contrôle des] territoires », déclare Zawahiri, exhortant ses partisans à ne pas perdre leur temps à tenter de s’implanter localement et d’administrer des territoires. Il assène : « Le djihad doit se concentrer sur la guérilla, qui vise à tuer l’ennemi, à le saigner à mort. »
En apparence, ce message va à rebours de la stratégie du Front Fatah Al-Cham, la nouvelle appellation du Front Al-Nosra, l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaida, aujourd’hui implanté dans le nord-ouest du pays. « C’est dans une certaine mesure un rappel de la “voie al-qaidiste” du djihad, telle que promue en son temps par Oussama Ben Laden : ne pas précipiter la constitution d’entités étatiques ou d’émirats », analyse le chercheur Tore Refslund Hamming, fondateur du think tank MENA Analysis et contributeur du site Jihadica.
Attaques suicides
Sur le terrain, après l’échec de deux offensives contre Alep, dans le nord, à l’été et à l’hiver 2016, puis contre Hama, dans le centre du pays, en mars, le Front Fatah Al-Cham renoue avec le terrorisme urbain. Mi-mars, le groupe a ainsi perpétré un attentat dévastateur en plein cœur de Damas,tuant 74 personnes, et ses membres ont de plus en plus recours aux attaques suicides contre les forces soutenant le régime.
« La cause du Levant est celle de la communauté musulmane dans son ensemble » et non celle des seuls Syriens, avertit encore Zawahiri, prévenant ses partisans contre la tentation d’un combat de nature « nationaliste » et louant l’apport des djihadistes étrangers. Si la rhétorique ne devrait pas déplaire à certains partisans de l’organisation Etat islamique (EI) susceptibles de rallier Al-Qaida après la défaite du « califat », il s’agit aussi d’un message adressé à Tahrir Al-Cham, une alliance de groupes armés dominée par l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaida, qui a formellement rompu ses liens avec le réseau à l’été 2016.
Si, depuis sa naissance, le Front Al-Nosra a toujours jonglé avec les étiquettes, au point de se présenter comme la seule force efficace face au camp pro-Assad et une entité à part entière de la révolution, la volonté récente de ses chefs de s’effacer derrière des personnalités d’apparence plus modérée suscite des critiques virulentes de la part de ses membres les plus radicaux.
« Disperser les forces de l’ennemi »
« Zawahiri met clairement en garde Tahrir Al-Cham, car il craint que sa rupture formelle avec Al-Qaida et sa fusion avec d’autres éléments de la rébellion n’affectent la nature djihadiste du mouvement, poursuit M. Hamming. Son message est adressé à Abou Mohammed Al-Joulani [l’ancien leader du Front Al-Nosra, aujourd’hui chef militaire de Tahrir Al-Cham] : il lui demande de s’assurer que l’idéologie d’Al-Nosra prévaudra dans l’avenir. »
La perspective de voir des fidèles d’Al-Qaida en Syrie prendre au pied de la lettre les instructions de leur chef n’enchante pas leurs détracteurs sur le terrain, y compris parmi les partisans d’un Etat islamique, qui souhaitent le construire dans un cadre « national » syrien. Fait inhabituel, le message d’Ayman Al-Zawahiri a fait réagir Ahrar Al-Cham, un puissant groupe salafiste aujourd’hui rival de Tahrir Al-Cham, après avoir été longtemps son allié : « Les partisans d’Al-Qaida devraient se rappeler que la stratégie du cheikh Oussama [Ben Laden] était celle d’une guerre d’usure pour disperser les forces de l’ennemi. La prise du pouvoir nécessite, elle, un projet qui n’affole pas le monde entier : il est assez incroyable d’entendre encore dire que nous devons affronter toutes les armées de la planète. L’exemple de Daech [l’acronyme arabe désignant l’EI] ne suffit-il pas ? »