PORTRAIT – Le leader de Yesh Atid – «Il y a un futur» – est le tombeur d’un champion, jusque-là indéboulonnable, qui a perdu son titre de chef de gouvernement à force de le remettre en jeu.
Pour cet amateur d’arts martiaux, la politique est un sport de combat. «Netanyahou essaie de me faire participer à un match de boxe pour savoir qui sera le prochain premier ministre» lançait, durant la campagne des législatives, Yair Lapid, qui a longtemps fréquenté les rings et admire Mohammed Ali, le roi de l’esquive. Il a acculé son adversaire dans les cordes puis l’a mis KO debout avant le dernier coup de gong. Le leader de Yesh Atid – «Il y a un futur» – est le tombeur d’un champion, jusque-là indéboulonnable, qui a perdu son titre de chef de gouvernement à force de le remettre en jeu.
Yair Lapid est l’architecte de la chute de la maison Netanyahou. Il ne sera pas dans l’immédiat premier ministre mais prend le portefeuille de ministre des Affaires étrangères, un poste dont il a toujours rêvé. Emmanuel Macron, dont il souligne les compétences, l’avait reçu à Paris lors d’une précédente campagne électorale israélienne et sa culture anglo-saxonne le rapproche des États-Unis.
Rien ne laissait présager un tel succès lorsque l’ex-journaliste de la télé israélienne s’est engagé, voici neuf ans, dans la vie publique. Ses rivaux raillaient son look à la George Cloney. Ils le trouvaient friable, superficiel et arrogant. Ils avaient tort. Opiniâtre, il est parvenu à atteindre son objectif.
Lapid lisse son image d’homme de consensus. Il est le favori des classes moyennes israéliennes et des milieux aisés de la région de Tel-Aviv, où il a tissé ses réseaux
En deuxième position derrière le Likoud lors de son coup d’essai des élections parlementaires de 2013, il participe en tant que ministre des Finances dans un gouvernement Netanyahou pendant un temps. Il est de retour sur le devant de la scène en mars 2020 grâce à une alliance avec Benny Gantz. Elle vole en éclats lorsque l’ex-chef d’état-major succombe aux sirènes du premier ministre.
Homme de consensus
Il devient le chef de l’opposition. Il entend détrôner «Bibi» mais ne se mêle pas aux foules rassemblées, chaque samedi soir, sous les fenêtres du chef du gouvernement pour réclamer son départ. Amateur de bonnes formules, il évite durant la campagne électorale ses déclarations aux relents parfois démagogiques ainsi que les sujets qui fâchent comme la création de deux États pour régler la question israélo-palestinienne.
Lapid lisse son image d’homme de consensus. Il est le favori des classes moyennes israéliennes et des milieux aisés de la région de Tel-Aviv, où il a tissé ses réseaux. Le 23 mars sa formation centriste obtient 17 sièges à la Knesset, un score honorable mais pas mirobolant qui le place en outsider. Benyamin Netanyahou ne parvient pas à dégager de majorité au Parlement. Le tour de Yair Lapid arrive et il réussit, dans un climat de relative incrédulité, à résoudre le casse-tête.
Né en 1963 à Tel-Aviv, il est le fils de Tommy Lapid, un personnage de premier plan, aujourd’hui décédé, de la classe intellectuelle israélienne. Survivant de la Shoah, il avait cofondé le quotidien Maariv et avait assuré les fonctions
de ministre de la Justice et de vice-premier ministre sous Ariel Sharon avant de présider le Mémorial de Yad Vashem, construit en mémoire des victimes du génocide. Laïc et libéral, il s’opposait à l’influence grandissante des partis ultra-orthodoxes. Il voulait imposer le service militaire obligatoire pour les jeunes religieux, retirer les subventions aux institutions religieuses haredim et créer un mariage civil.
Il a épousé, comme son père, une romancière. Il est comme lui un centriste peu porté sur la religion, même s’il a mis en sourdine ses critiques les plus véhémentes contre le monde ultra-orthodoxe. Et comme lui, sa carrière de journaliste est brillante tant dans la presse écrite que dans l’audiovisuel
La figure paternelle a profondément imprégné Yair Lapid. Une sorte de mimétisme l’a poussé à emprunter ses pas. Il a épousé, comme son père, une romancière. Il est comme lui un centriste peu porté sur la religion, même s’il a mis en sourdine ses critiques les plus véhémentes contre le monde ultra-orthodoxe. Et comme lui, sa carrière de journaliste est brillante tant dans la presse écrite que dans l’audiovisuel. Il fut un éditorialiste de renom du Yedioth Ahronoth, le principal journal du pays, et son talk-show intitulé en toute simplicité «Yair Lapid» battait des records d’audience au début des années 2000.
Comme sa mère, Shoulamit, l’un des maîtres du polar israélien, il est l’auteur, à ses heures perdues, de romans policiers. Ils ont pour héros un détective privé nonchalant, Yeoshua Sherman. La Sixième Énigme et Double Jeu ont été traduits en français. Double Jeu est consacré aux rapports opaques entre le monde orthodoxe et ses ramifications à l’étranger, les boursicoteurs, la police, le service d’ordre des religieux qui manie plus facilement les poings que la Torah, la pègre. L’adepte de karaté écrit aussi des poèmes, des chansons qu’il interprète, des scénarios pour des séries télés et joue au cinéma. Il veut maintenant «briser les barrières qui divisent la société israélienne» grâce à un gouvernement qui dit: «Ne nous haïssons pas.» Vaste programme.