Israël: au tribunal, Nétanyahou veut garder «la tête haute» (Thierry Oberlé – Le Figaro)

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Tandis que ses partisans et ses opposants se défiaient dans la rue, le premier ministre israélien a fait face à ses juges.

«L’État d’Israël contre Benyamin Nétanyahou.» L’intitulé du procès intenté par la justice israélienne contre le premier ministre en exercice résume le paradoxe. Le chef du gouvernement, qui est allé jusqu’à s’allier à son principal opposant, Benny Gantz, pour se maintenir au pouvoir et ne pas avoir au passage à affronter les juges en qualité de simple citoyen, doit rendre des comptes pour des faits de corruption qu’il nie, alors qu’il dirige le pays. Il n’a pas d’immunité, mais n’a pas d’obligation juridique de démissionner. Une situation embarrassante.

Ce dimanche matin, Benyamin Nétanyahou a présidé la réunion de cabinet du gouvernement, puis il s’est rendu avec son cortège de voitures officielles et ses gardes du corps au tribunal. Devant sa résidence, la rue Balfour était coupée en deux, avec d’un côté ses supporteurs venus l’acclamer au «nom du peuple», et de l’autre ses opposants du mouvement «Des drapeaux noirs pour la démocratie», qui ont innové avec leurs rassemblements respectant la distanciation sociale. La confrontation symbolise jusqu’à la caricature la fracture de la société israélienne.

Ce dimanche 24 mai, devant la résidence de Nétanyahou.
Ce dimanche 24 mai, devant la résidence de Nétanyahou. AMIR COHEN/REUTERS

Les contempteurs du premier ministre le jugent coupable avant même l’ouverture d’un marathon judiciaire qui va durer plus d’un an, et le comparent au coronavirus. Ses soutiens l’estiment innocent et dressent un parallèle entre son sort et celui du capitaine Alfred Dreyfus. Près de la Cour du district de Jérusalem, des manifestantes portent des tee-shirts et des masques à l’effigie du politicien israélien et de l’officier de l’armée française. «Bibi est victime comme Dreyfus d’une manipulation», tranche une adepte de Benyamin Nétanyahou.

Mise en cause virulente des magistrats

À son arrivée au tribunal, le chef du gouvernement qui est accompagné d’un aréopage de ministres de son parti, le Likoud, se veut offensif. «Je me présente à vous le dos droit et la tête haute», dit-il. Dans la garde rapprochée de l’inculpé, présente sur place, figurent Miri Reguev, la ministre des Transports, et Amir Ohana, le ministre de la Sécurité. Ils réclament dans les couloirs du tribunal un «procès équitable». Benyamin Nétanyahou dénonce les accusations «ridicules» de la justice. Après cette mise en cause virulente des magistrats, il entre dans une petite salle très austère tapissée de tables et de pupitres. Sa place est au premier rang sur le banc des accusés, derrière les avocats et en face des trois juges. La présidente de la cour, Rebecca Friedman-Feldman n’a pas une réputation de laxiste. Elle n’avait fait preuve d’aucune mansuétude lors du procès d’Ehud Olmert, un premier ministre démissionnaire, qui a été emprisonné pendant seize mois, entre 2016 et 2017, pour corruption.

Une conjuration des «élites»

Soucieux de son image, Benyamin Nétanyahou a pris soin de ne pas se poser sur le banc des accusés avant que les caméras quittent la salle. Cette première audience est cependant retransmise pour la presse, tenue à l’écart pour cause de Covid-19. «J’ai demandé à ce que tout soit diffusé en direct pour que le public puisse tout entendre sans passer par le filtre des journalistes (à la solde NDLR) du procureur général» martèle le premier ministre, convaincu d’une conjuration des «élites». Le «complot» réunit les magistrats, les policiers, les médias, et de manière plus générale la haute société ashkénaze et sa culture de gauche. Il vise à marginaliser le «deuxième pays», issu du monde séfarade et de droite.

Trois affaires

Benyamin Nétanyahou est accusé d’avoir reçu pour 700.000 shekels (180.000 euros) de cigares, champagne et bijoux, de personnalités richissimes, dont le producteur d’Hollywood, Arnon Milchan, en échange de faveurs financières ou personnelles. C’est l’affaire 1000. Trois dossiers, dont l’acte d’accusation lui a été fait lecture ce dimanche, le visent.

Dans l’affaire, dite 4000, considérée comme la plus grave, le chef du gouvernement est soupçonné d’avoir favorisé Shaul Elovitch, l’actionnaire majoritaire du géant des télécommunications Bezeq, dans des arbitrages budgétaires en échange d’une couverture positive de son action sur le site d’information Walla. Les arrangements auraient rapporté 500 millions de dollars à l’homme d’affaires.

Enfin, dans l’affaire 2000, la plus extravagante, Benyamin Netanyahou est mis en cause pour avoir cherché à affaiblir la diffusion d’un quotidien, qui lui est favorable, en échange d’une couverture plus favorable d’un rival considéré comme défavorable. Le procès devrait durer plus d’un an. La prochaine séance en présence de son accusé vedette est prévue en juillet.