Israël : tensions autour de la formation d’un gouvernement (Louis Imbert – Le Monde)

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L’opposant Benny Gantz a besoin du soutien des partis arabes pour obtenir une majorité au Parlement.

Deux agents du Shin Beth, le service de sécurité intérieure israélien, escortent, depuis dimanche 8 mars, le général Benny Gantz dans ses sorties en public. Le Parlement a étoffé la sécurité du principal opposant au premier ministre, Benyamin Nétanyahou, prenant au sérieux des menaces de mort proférées en ligne contre lui, une semaine après les législatives du 2 mars. Le Likoud de M. Nétanyahou est arrivé en tête de ce scrutin, le troisième en un an. Mais il ne dispose pas encore d’une majorité de gouvernement. Ce blocage provoque de rudes convulsions dans le corps politique israélien.

« L’incitation à la violence a passé toutes les bornes. Si nous ne nous réveillons pas, le prochain meurtre politique est au coin de la rue », affirmait M. Gantz, samedi, peu après qu’un homme s’est jeté sur lui, alors qu’il s’apprêtait à monter à la tribune.

Dénonçant « le silence » de M. Nétanyahou face à ces menaces, l’ancien chef d’état-major de l’armée osait une référence directe à l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin, en 1995, par un militant religieux nationaliste. « Je ne te permettrai pas de semer la peur, a-t-il dit en adresse à son rival. Je ne te permettrai pas de provoquer la première guerre civile de l’histoire moderne d’Israël pour obtenir ton ticket de sortie du tribunal », alors que le procès pour corruption, fraude et abus de confiance de M. Nétanyahou doit s’ouvrir le 17 mars.

M. Gantz cherche à endiguer le sentiment de défaite qui a traversé son mouvement, Bleu Blanc, au lendemain des législatives du 2 mars, où il a obtenu trois sièges de moins que le Likoud. Rappelant qu’une opposition disparate et désunie à M. Nétanyahou a malgré tout obtenu une majorité des voix (62 sièges sur 120, selon des résultats non encore définitifs), il a assuré pouvoir former un gouvernement, ce qui l’obligerait à chercher le soutien à la Knesset de la Liste arabe unie (15 sièges). « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher une quatrième élection », promettait-il, en appelant le président, Réouven Rivlin, à le désigner, d’ici au 17 mars, pour mener ces négociations.

Pour M. Nétanyahou, cette assurance relève du déni de démocratie. « Ils essaient de voler l’élection », affirmait-il peu avant M. Gantz, lors d’un rassemblement organisé à la dernière minute à Tel-Aviv. Le premier ministre dénonce une proposition de loi, évoquée par son opposition, qui interdirait à un officiel inculpé de servir comme premier ministre. Un tel texte, conçu sur mesure pour l’écarter du pouvoir, serait difficile à passer en urgence, dans un Parlement tout juste élu et chauffé à blanc. M. Nétanyahou estime qu’il irait « à l’encontre des principes les plus fondamentaux de la démocratie ». En l’attente des résultats définitifs du scrutin, son parti sème le doute en dénonçant des retards, des silences « étranges » et de possibles erreurs de la part de la commission électorale.

La presse de droite souligne quant à elle que M. Nétanyahou fait lui aussi l’objet de menaces de longue date – de récents photomontages publiés en ligne le présentent en uniforme nazi. Le ton de la période est résumé dans tous ses excès par l’éditorialiste Amnon Lord dans le quotidien gratuit de la droite, Israel Hayom : dimanche, il accusait les hauts gradés qui forment l’équipe dirigeante du parti Bleu Blanc d’avoir planifié dès 2010 un coup d’Etat pour « assassiner l’ordre démocratique », en entente tacite avec le bureau du procureur général et de la police.

« Ils se rueront vers nous »

Depuis le 2 mars, le premier ministre courtise de possibles défecteurs pour combler les trois sièges qui lui manquent. Afin de juguler ce risque d’hémorragie, M. Gantz a pris acte, dimanche, du principe d’une coalition avec Avigdor Lieberman, patron du parti ultranationaliste et laïque Israël Beitenou (7 sièges). M. Lieberman avait fait tomber le gouvernement Nétanyahou fin 2018, en quittant le ministère de la défense. Il a profité du blocage politique qui s’éternise depuis lors, renouvelant la base russophone vieillissante de son parti.

Mais cette équipée s’épuise : il n’a pas les moyens d’affronter un quatrième vote. Dimanche, M. Gantz a validé, dans ses grandes lignes, la refonte des relations entre l’Etat et le religieux que M. Lieberman lui propose, sur laquelle il a promis de mettre un terme à l’alliance du premier ministre avec les partis ultraorthodoxes.

Dans la journée, l’ancien ministre de la défense Moshe Yaalon, représentant de l’aile droitière de Bleu Blanc, s’est dit lui aussi favorable à la formation d’un gouvernement de coalition « par étapes ». Il s’agit de faire chuter M. Nétanyahou grâce à une majorité étroite, puis d’attendre que son « bloc » s’écroule pour l’intégrer à un pouvoir plus large, sans son chef. « Ils se rueront vers nous, la question est de savoir qui le fera le premier. Ils rêvent de se débarrasser de lui », affirmait M. Yaalon, qui s’emploie encore à mettre ses propres troupes en rang.

Plusieurs députés de son entourage sont réticents à l’idée de briser le mur qui les sépare des partis arabes, pour obtenir leur soutien au Parlement. En campagne, Bleu Blanc n’a cessé de rejeter un tel accord, se disant attaché à obtenir une « majorité sioniste » ou « juive ». Du sein même de la gauche, le député Yair Golan affirmait encore samedi que « personne n’a à écouter ou à se lier [au député de la liste arabe Ahmed] Tibi ; nous devons traiter avec lui avec un gant de fer  ériger un rideau de fer » avec les partis arabes.

L’opposition cherche à contrer le procès en trahison que lui intente M. Nétanyahou, lequel refuse de prendre en compte les sièges obtenus le 2 mars par les partis arabes, « soutiens du terrorisme et diffamateurs de soldats ». Pour l’heure, le Likoud reste malgré tout le seul parti à avoir engagé des négociations avec la Liste arabe unie : il l’exhorte à ne pas soutenir M. Gantz.