Israël: Netanyahou, prophète en son pays (Thierry Oberlé – Le Figaro)

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Le Premier ministre sortant aborde les législatives en position de force après avoir endigué l’épidémie de Covid-19.

Pour ses quatrièmes élections législatives en moins de deux ans, Benyamin Netanyahou n’a plus un challengeur mais trois. Benny Gantz, son adversaire des trois précédentes manches, a été discrédité par sa participation au gouvernement sortant. Cette fois, «Bibi» doit faire face à Yair Lapid, le chef de file du centre gauche et à deux rivaux de droite: Gideon Saar, un dissident du Likoud, la formation du chef du gouvernement, et Naftali Bennett, le leader de la droite dure, high-tech et religieuse. Le scrutin à la proportionnelle s’annonce serré même si nul ne peut prétendre faire jeu égal avec l’inamovible Premier ministre.

Le Likoud devrait arriver en tête à l’issue du dépouillement des bulletins de vote dans la nuit de mardi à mercredi. Il est crédité dans les sondages d’une trentaine de sièges sur 120 dans la nouvelle Knesset. Cette première place pourrait lui permettre de revendiquer, avec le soutien de son bloc parlementaire, le droit de tenter de former un gouvernement. S’ils obtiennent une majorité arithmétique, ses rivaux qui ont mené des campagnes sans relief seraient contraints de s’entendre pour le déboulonner avec l’appui de petits partis. Ils ne sont d’accord sur rien, sauf sur leur ambition de mettre fin à un monopole de quinze ans de pouvoir dont douze années sans interruption. Il n’est pas exclu toutefois, au lendemain du verdict des urnes, qu’aucune majorité ne se dégage. Le pays se dirigerait alors, après l’échec de marchandages politiques, vers une cinquième élection.

À 71 ans, Benyamin Netanyahou a presque l’âge de l’État d’Israël. Il est la figure tutélaire de la droite et notamment du Likoud, qui n’a connu depuis sa création en 1973 que quatre dirigeants

David Khalfa, chercheur au Center for Peace Communications, un think-tank américain

Benyamin Netanyahou est au centre du jeu, la place qu’il affectionne. Chaque samedi depuis juin, des milliers de manifestants réclament sous ses fenêtres sa démission. Ils lui reprochent de rester en fonction alors qu’il passe en procès pour trois affaires de corruption. Ses démêlés judiciaires lui valent d’être surnommé par les protestataires «Crime minister» au lieu de «Prime minister». Sa mise en cause avive sa pugnacité et décuple son énergie car il joue sa survie politique.

Sa stratégie consiste à se présenter comme le candidat naturel d’une droite en position de force face à une gauche incarnée, selon lui, par Yair Lapid, sur qui il concentre ses attaques. Une manœuvre destinée à reléguer ses concurrents de droite aux seconds rôles. «À 71 ans, Benyamin Netanyahou a presque l’âge de l’État d’Israël. Il est la figure tutélaire de la droite et notamment du Likoud, qui n’a connu depuis sa création en 1973 que quatre dirigeants. Il a réussi à s’imposer comme le leader du “camp national” mais son leadership est désormais contesté de manière inédite par ses anciens lieutenants et par les manifestants appelant à son départ», explique David Khalfa, chercheur au Center for Peace Communications, un think-tank américain. «Il reste cependant le maître du jeu et se présente comme le protecteur de la nation face aux menaces et comme le “dealmaker” («faiseur d’accord», NDLR) ultime, capable d’élargir le cercle des pays qui rejoindront les accords d’Abraham passés avec les pays arabes. La réussite de la campagne de vaccination conforte ce positionnement.»

Un timing parfait

Pour le chef du gouvernement, le timing est parfait. Le scrutin coïncide avec le retour à la vie d’avant le Covid-19. Les vaccinés forment une majorité unique en son genre. Dans les rues, l’ambiance printanière est joyeuse, festive et conviviale comme au lendemain d’une libération. Israël revendique à juste le titre de champion du monde de l’immunisation et Benyamin Netanyahou est son prophète. Il se vante d’avoir transformé la nation en laboratoire mondial de la lutte contre la pandémie. Les vaccins sont son atout majeur. Infatigable, il a mené une campagne positive et optimiste. Même le taux de maladie dû au Covid-19 a diminué de façon spectaculaire au cours des deux semaines précédant le vote, juste à temps pour augmenter ses chances de victoire. Des succès qui jettent un voile sur un lourd bilan de 6000 morts, des confinements stricts mais sélectifs puisqu’ils épargnaient les quartiers ultraorthodoxes et un coût social et économique extrême.

Soucieux de ratisser large, Benyamin Netanyahou a ouvert son bloc parlementaire composé de son parti et des mouvements ultraorthodoxes à l’extrême droite religieuse dont l’une des composantes, le parti Otzma Yehudit, s’inspire de l’idéologie ouvertement raciste du rabbin Kahane. Il pourrait faire mardi le grand écart en convertissant à sa cause les islamistes du Mouvement islamique du Sud (Raam) si ce petit parti arabe parvient à entrer à la Knesset (voir encadré). Il devra, s’il n’a pas de majorité, convaincre de le rejoindre Naftali Bennett, le leader de la droite radicale et religieuse qui veut «renvoyer chez lui le gouvernement le plus corrompu au monde».

«Naftali Bennett est potentiellement le faiseur de rois de ce quatrième round électoral», commente David Khalfa. «Il pourrait se rallier au Premier ministre sortant dans un gouvernement des droites pour prendre le ministère de la Défense, mais il a vu comment Netanyahou a cannibalisé les deux derniers titulaires du poste. Il exigera donc des garanties avec l’espoir de s’imposer comme le successeur légitime de “Bibi”. Il peut aussi choisir de participer à un gouvernement de centre gauche dirigé par Yair Lapid mais il risquerait de se retrouver en porte-à-faux vis-à-vis de son propre électorat qui est clairement ancré à droite. Enfin, si Naftali Bennett choisit de ne pas choisir, il sera rendu responsable d’une cinquième élection.»

Quant à Yair Lapid, le chef de file du centre gauche, il a esquivé les coups. D’après lui, le Premier ministre va essayer de former «un gouvernement louche, raciste, extorqueur et chauvin qui va effrayer toute une génération et enterrer la démocratie». Dans le cas où le président Reuven Rivlin lui confierait la tâche de rassembler les opposants pour gouverner, il sera dans l’obligation de composer avec la droite dure tout en étant soutenu par les députés nationalistes arabes. Un exercice relevant de la mission impossible.