PORTRAIT – Mansour Abbas et son parti proche des Frères musulmans pourraient choisir le prochain premier ministre.
Inconnu il y a quelques mois encore, il vient d’endosser les habits de vedette sur la scène politique israélienne: Mansour Abbas, le chef du parti islamiste Raam appartenant à la nébuleuse des Frères musulmans, se retrouve depuis les élections législatives du 23 mars avec quatre sièges sur 120 en position de faiseur de roi. Benyamin Netanyahou, le premier ministre sortant de droite, qui a pendant des années vilipendé les partis arabes, est quasiment à sa merci, comme les partis d’opposition, qui espèrent son soutien pour mettre la fin au règne de «Bibi» au pouvoir depuis 2009. Et désormais les médias n’en finissent plus de décortiquer la moindre de ses déclarations pour deviner ses intentions.
Pour le moment, Mansour Abbas se garde bien de lever le suspense, espérant faire monter les enchères parmi ceux qui le courtisent. «Nous ne sommes dans la poche ni de la droite ni de la gauche», ne cesse-t-il de proclamer. D’une corpulence imposante, ce dentiste de profession de 46 ans, père de trois enfants, qui porte un collier de barbe poivre et sel et demeure rétif à la cravate, savoure pour le moment d’avoir gagné un pari risqué.
Pour la première fois depuis 15 ans, son parti a fait sécession en se présentant seul et non plus sur une liste unifiée avec trois autres formations pour représenter les Arabes israéliens qui constituent 20 % de la population. Il a fait mieux, ou pire, quand il a évoqué une possible alliance tactique avec Benyamin Netanyahou, en se présentant comme un champion du pragmatisme. Auparavant les députés arabes constituaient une liste commune qui regroupait quatre partis. L’an dernier, cette coalition a connu son heure de gloire en remportant 15 députés, un record. Malgré ce succès, ces élus sont restés cantonnés dans l’opposition, sans la moindre influence réelle sur des dossiers concrets, tel celui ayant trait à l’explosion sans précédent de la criminalité dans les localités arabes, ou celui des discriminations dont sont frappées ces mêmes localités qui bénéficient de moins de routes, d’écoles, d’octrois de permis de construire ou de création zones industrielles.
Chambouler les règles
Mansour Abbas a décidé de chambouler les règles du jeu en constituant une sorte de lobby pour traiter ces dossiers en position de force face à tout prochain gouvernement. Une mission difficile qu’il pourrait mener à bien. Cet homme pieux, aux allures de force tranquille, qui n’élève pas la voix en public, a tracé son chemin. Il se présente volontiers comme le défenseur des valeurs morales de l’islam et de la famille. Son ascension a débuté dans les années 1990 à l’université Hébraïque de Jérusalem. À la tête d’une liste islamiste, il est parvenu à déloger les communistes de la direction du syndicat des étudiants arabes. À l’époque, il est très proche du Sheikh Abdullah Nimr Darwish, un des Pères fondateurs du Mouvement islamique en Israël. Ce personnage a une image sulfureuse à l’époque. Il prêche la violence pour favoriser l’expansion de l’islam, ce qui lui a valu de passer deux ans en prison.
Puis, Mansour Abbas tourne casaque et accepte les règles de la démocratie, contrairement à une autre faction du Mouvement islamique, qui refuse tout compromis avec le sionisme et boycotte les élections. Mansour Abbas suit son mentor et monte dans la hiérarchie jusqu’à devenir le dirigeant de Raam en 2019.
Appels du pied
Se présentant comme un «modéré», Mansour Abbas est un ultra-conservateur sur les questions «sociétales». «Je ne suis pas le caniche de la gauche (…) en matière religieuse, je suis de droite», a-t-il coutume d’affirmer. Il a ainsi justifié en partie son divorce avec les autres partis arabes sur la question «sensible» de la communauté LGBT. Le vote, l’an dernier, de trois députés arabes en faveur d’une loi interdisant les thérapies de conversion, une pratique peu scientifique en vue de ramener dans le «bon chemin» tous les «déviants sexuels», a provoqué sa colère.
Parallèlement, il a multiplié les appels du pied à Benyamin Netanyahou. Il n’a pas exclu de soutenir un projet de loi accordant une immunité à un premier ministre actuellement en procès pour trois affaires de corruption. Un «cadeau» qui s’explique notamment par la défiance que lui inspirent les partis de gauche et centriste, représenté par Benny Gantz, actuel ministre de la Défense, qui a rejeté le soutien des députés arabes l’an dernier lors des précédentes élections pour constituer une majorité anti-«Bibi». Un souvenir cuisant, voire humiliant, qui pourrait bien jouer un rôle déterminant dans l’option que Mansour Abbas va choisir.