Israël: le combat désespéré du «roi Bibi» pour sauver son trône (Thierry Oberlé – Le Figaro)

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RÉCIT – Après douze ans au pouvoir, l’inamovible premier ministre israélien espère encore résister au «tout sauf Bibi».

Benyamin Netanyahou a perdu le contrôle de la vie politique israélienne. Il est débordé sur tous les fronts. À gauche, au centre, à droite et à la droite de la droite. La constitution sur le papier d’un gouvernement TSB («tout sauf Bibi») est un coup de massue inédit pour lui comme pour ses partisans. Les nombreux inconditionnels qui le soutiennent à la manière des fans de football prêts à pardonner erreurs et revers sont abasourdis. Le «roi Bibi» est en train de perdre son trône. Le noyau dur de ses supporteurs ne va pas lâcher l’affaire. Il se sent presque orphelin quand les autres sont sous le choc. «Nous avions un leader qui dirige le pays avec force et conviction. Il est victime d’une cabale. Je ne me sens pas rassuré» commente un chauffeur de taxi originaire d’Afrique du Nord.

Avec douze ans de règne sans discontinuité au compteur, quinze ans au total et vingt-cinq de présence dans les couloirs du pouvoir, Benyamin Netanyahou est une figure majeure de l’État hébreu qu’il entendait et compte toujours incarner. Il déchaîne les passions. «Il va enfin, je l’espère, s’en aller et sans doute finir en prison si la justice fait son travail. Il était notre Louis XVI et sa femme Sarah notre Marie-Antoinette» dit Léa, une Jérusalémite de gauche, habituée des terrasses des cafés branchés. Depuis près d’un an, elle manifestait chaque samedi, à la fin du shabbat, devant la résidence du premier ministre, rue Balfour. Ce mouvement de contestation avait pris une importance quantitative non négligeable à l’échelle du pays et se distinguait par sa détermination. Chaque samedi, des rassemblements se déroulaient également à Césarée, devant la villa de bord de mer de la famille Netanyahou.

Marché de dupes

Jour de semi-deuil ou d’espérance, le chamboulement que les Israéliens ont découvert ce jeudi matin pourrait mettre un terme, peut-être provisoire, à une période d’instabilité ouverte depuis décembre 2018. Quatre élections législatives n’ont pas permis au premier ministre de dégager de véritable majorité pour gouverner. Il ne perdait pas, mais ne gagnait pas. Il s’était fâché avec les ténors de la droite et de la droite radicale. Les Avigdor Lieberman, Gideon Sa’ar, Naftali Bennett et Ayelet Shaked sont devenus déloyaux parce qu’ils s’estimaient méprisés. Issue des rangs du Likoud, son parti, cette dernière qui a occupé le poste de ministre de la Justice a été éloignée car elle déplaisait à Sarah Netanyahou, selon des enregistrements clandestins. Un exemple parmi d’autres.

L’an dernier, l’inamovible premier ministre est parvenu à rester en place en proposant un marché de dupes à son principal rival de centre droit, Benny Gantz, l’ex-chef d’état-major de l’armée. Il lui a offert un système de rotation pour le fauteuil de chef du gouvernement. Il commençait, puis devait venir le tour du ministre de la Défense, démonétisé par le deal. Il ne lui en a pas donné la possibilité en organisant un scrutin anticipé.

Le changement de leadership s’annonce houleux. Même si la situation est différente, Benyamin Netanyahou présente des similitudes avec son ami Donald Trump. Naftali Bennett et Ayeled Shaked, les chefs de la droite radicale religieuse, sont traités de «corrompus», «d’escrocs», de «traîtres» ou «d’idiots utiles des gauchistes». Le Shin Bet les a placés sous protection renforcée. Des théories du complot circulent. «Bibi» serait la victime de la conspiration des élites, de l’«État profond», le «deep state», et des médias.

Populiste, il s’appuie sur cette vague qu’il a entretenue en s’en prenant à la police, aux juges et à la Cour suprême, organe supérieur d’une nation subordonnée non pas à une Constitution mais à des lois fondamentales. Le système électoral à la proportionnelle l’a convaincu de privilégier des accords avec les partis ultraorthodoxes, une minorité religieuse dont le poids démographique grandissant et les faveurs financières dont elle bénéficie agacent une partie de l’opinion publique.

Un politicien pragmatique

En dépit de similitudes, Benyamin Netanyahou a un parcours différent de celui de l’ancien président américain. Son père est un intellectuel et un universitaire dont les prises de position ancrées très à droite l’ont mis à l’écart de l’establishment lors de la construction de l’État hébreu par les Pères fondateurs socialistes d’Israël. Il est d’éducation anglo-saxonne et a appris l’art de la communication lorsqu’il occupait un poste de diplomate à Washington et à New York. Il s’est taillé une réputation à l’étranger, aux États-Unis notamment, en dénonçant après les attentats du 11 septembre 2001 les dangers de l’islamisme, même si dans les territoires palestiniens la poussée du Hamas, le parti des Frères musulmans palestiniens, a été favorisée par Israël pour diviser le mouvement nationaliste. Il a fait voter en 2018 une loi sur l’État-nation juif jugée discriminante par les musulmans ainsi que par les minorités druzes et chrétiennes, soit plus de 20 % de la population.

Son bilan récent a été marqué par la réussite exemplaire de la lutte contre le Covid-19 grâce à une campagne de vaccination précoce. La pandémie est aujourd’hui pratiquement endiguée. Il a signé l’an dernier des accords de normalisation avec des pays arabes éloignés de ses frontières, des Émirats arabes unis (EAU) au Soudan en passant par le Maroc. Il est engagé dans une politique d’endiguement de l’expansion iranienne au Moyen-Orient et d’attaques pour tenter d’empêcher la course de Téhéran vers l’arme nucléaire. Ces positionnements et ces succès lui ont donné une stature internationale qu’il pensait utiliser comme un bouclier intérieur. Ils n’ont pas suffi pour empêcher sa mise en difficulté.

Benyamin Netanyahou se veut pragmatique. Il est pour l’annexion de la majeure partie des Territoires palestiniens occupés depuis 1967 mais n’a jamais mis la menace à exécution, même sous l’Administration Trump. Il combat le Hamas qui tient la bande de Gaza, placée sous blocus économique, mais donne sa bénédiction pour laisser passer des valises de millions de dollars remises par le Qatar pour éviter une explosion sociale. Il n’a pas engagé de conflit majeur avec le Liban ou en Syrie tout en bombardant les positions des gardiens iraniens de la Révolution ou du Hezbollah.

Déboires judiciaires

D’une certaine manière, Benyamin Netanyahou a orientalisé un pays où la démocratie fonctionne au point qu’un petit parti arabe, le Raam, issu des Frères musulmans est devenu un arbitre. Sa longévité au pouvoir que ne dédaigneraient pas des autocrates de la région, la personnalisation de son rôle et sa façon d’électriser les débats attisent les critiques. Elles ont enrayé sa machine à fabriquer son narratif.

Ses déboires judiciaires n’arrangent rien. Un procès pour trois affaires de corruption l’oblige à assister à des audiences du tribunal de district de Jérusalem. Il est accusé d’avoir envisagé une entente avec le propriétaire du Yediot Aharonot le plus grand journal israélien, pour obtenir une couverture plus clémente de sa part, en échange d’une loi défavorable à un titre concurrent dépendant pourtant de son clan. Il aurait agi de même, dans l’affaire 4000, considérée comme la plus grave, avec le géant des télécoms et de l’internet, le groupe Bezeq, en lui accordant des privilèges générant des gains considérables contre un traitement privilégié de la part d’un site d’information contrôlé par l’entreprise.

Pugnace, Benyamin Netanyahou clame son innocence mais sa situation judiciaire est délicate. Par le passé, un chef de l’État israélien et un ancien premier ministre ont été jetés en prison. Son intérêt est de conserver son titre tant que possible. Il s’emploie à cette tâche avec l’énergie du désespoir.