Israël: «Bibi le magicien» garde la main sur (Thierry Oberlé – Le Figaro)

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

Après un an et demi de crise inédite, Benyamin Nétanyahou a surmonté tous les obstacles pour rester au pouvoir.

Benyamin Nétanyahou est toujours debout. Il a franchi avec succès tous les obstacles dans son marathon long de dix-huit mois pour son maintien au pouvoir. La Cour suprême a autorisé le premier ministre par intérim à former un gouvernement en dépit des accusations de corruption portées contre lui et la Knesset lui a accordé son soutien. La plus haute juridiction d’Israël lui a donné mercredi soir un blanc-seing: elle a rejeté à l’unanimité de ses onze juges l’ensemble des plaintes déposées par des partis et des organisations de la société civile.

«Nous n’avons trouvé aucune raison légale empêchant la formation d’un gouvernement par le premier ministre (…) mais cette conclusion à laquelle nous sommes parvenus ne diminue en rien la gravité des charges contre lui», ont indiqué les magistrats masqués pour cause de Covid-19, à l’issue de deux journées de débats télévisés. La Cour suprême a également estimé que l’accord de gouvernement qu’il a scellé avec son rival Benny Gantz ne remet pas en cause les lois fondamentales de l’État hébreu. Les juges ont suggéré des aménagements à l’arrangement immédiatement acceptés par le Likoud et Bleu et Blanc, les deux partis à l’origine du pacte. «La forteresse de la démocratie n’est pas en danger avec ces accords» a estimé Esther Hayut, la présidence de la Cour. «Nous allons avoir un gouvernement d’immunité et de corruption» a protesté Moshe Yaalon, l’une des figures de ce qu’il reste de l’opposition.

Seize mois d’affrontements

«Bibi», comme le surnomment ses supporteurs qui lui décernent le titre de magicien et le comparent volontiers à Houdini, l’ancêtre des illusionnistes, sort vainqueur d’une crise politique comme Israël n’en avait jamais connu. Il est assuré de conserver le poste de chef du gouvernement durant dix-huit mois, puis occupera en principe, après une rotation avec Benny Gantz, une fonction créée de toutes pièces pour lui, celle de vice-premier ministre, durant une période identique. Cet arrangement va lui permettre d’affronter avec un statut particulier, et non pas en tant que simple citoyen, son procès pour corruption, abus de confiance et fraude qui commence en principe le 24 mai à Jérusalem et devrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années en tenant compte des appels.

Benyamin Nétanyahou jouait sa carrière, mais aussi sa liberté puisqu’il risquait, et risque toujours s’il est condamné après avoir épuisé ses recours, une peine de prison de ferme. Il réussit le tour de force de conserver le pouvoir sans gagner les élections. Il survit, a repoussé aux calendes grecques le spectre carcéral et a trouvé un nouveau souffle. La partie était loin d’être gagnée d’avance. Il lui a fallu pour parvenir à ses fins des élections législatives anticipées, puis deux nouveaux scrutins qu’il a provoqués en refusant de céder sa place. Il lui a fallu quelque seize mois d’affrontements et de coups bas visant son challenger Benny Gantz pour rester avec Sarah, son épouse, le locataire du Beit Aghion, la résidence du premier ministre de la rue Balfour à Jérusalem. Il lui a fallu manœuvrer le leader de Bleu et Blanc, politiquement vierge et longtemps droit dans ses bottes, pour briser la dynamique de l’opposition de centre gauche qui faisait jeu égal avec son camp.

Il a trouvé un terrain d’entente avec l’ex-chef d’état-major de l’armée qui accepte, alors que son parti est un champ de ruines, de le laisser diriger en premier l’exécutif. La Knesset lui a ouvert une voie royale: elle lui a accordé jeudi le droit de distribuer les portefeuilles ministériels avec une écrasante majorité de 72 députés sur 120. Benyamin Nétanyahou et Benny Gantz devraient prêter serment le 13 mai devant Parlement. L’épilogue d’une bataille digne des meilleures ou des pires séries télévisées de thriller politique.

«Nétanyahou sort victorieux de cette épreuve de longue durée, c’est incontestable mais il n’est pas vainqueur haut la main. Il aurait préféré exercer les pleins pouvoirs durant tout le temps de la législature et il n’a aucune prise sur son destin judiciaire», nuance le politologue Daniel Charbit. «Son parti, le Likoud, voit sa position renforcée. Il est désormais le seul parti de gouvernement tandis que la formation Bleu et Blanc qui s’est scindée n’est plus qu’une force d’appoint. Mais la grande nouveauté, après bientôt onze ans de règne sans interruption, est qu’une échéance est fixée: dans dix-huit mois, “l’ère Bibi” sera terminée», poursuit-il.

Reste à savoir si Benyamin Nétanyahou acceptera d’honorer une promesse cadenassée dans un écrin juridique où chaque mot, chaque virgule de l’accord entre le Likoud et Bleu et Blanc, semble avoir été négocié par des aréopages d’avocats aussi tatillons que procéduriers. «Benny Gantz n’a aucune confiance en Bibi. Lorsqu’il est entré en politique, cet ancien général a appris par ses nouveaux amis qui étaient souvent des ex-collaborateurs de Nétanyahou que ce dernier finit toujours par trahir ou lâcher ses partenaires. Gantz a pu faire sienne la devise d’Andreotti, cet ancien président du Conseil italien qui disait: “Lorsqu’on pense du mal d’autrui, on commet un péché, mais au moins on est sûr de ne pas se tromper”» raconte le politologue Emmanuel Navon.

Pragmatisme

Décrit comme une capitulation par ses ex-alliés, tel son ancien alter ego, Yair Lapid, le rapprochement entre Benyamin Nétanyahou et l’ancien patron de Tsahal paraît dicté par le pragmatisme. La crise du Covid-19 a servi de détonateur ou de prétexte à une entente. L’épidémie a été dès les premiers jours dramatisée par le premier ministre. Elle est restée à un niveau faible, en comparaison avec un pays à population égale comme la Belgique, mais a fait beaucoup plus de morts, selon les chiffres officiels, que chez les voisins jordanien ou libanais. La lutte contre le coronavirus a donné un caractère d’urgence et favorisé l’émergence d’une volonté d’unité nationale face aux conséquences du fléau.

«Il n’y avait pas d’alternative. Il aurait été irresponsable d’aller vers de nouvelles élections avec un gouvernement de transition n’ayant pas la maîtrise du budget, alors que l’environnement économique et social est fortement dégradé», estime Emmanuel Navon. «Le principal enseignement de cette séquence est que Benyamin Nétanyahou a fini par comprendre qu’après l’échec de trois tentatives, il ne trouvera pas de majorité à sa droite. Il a fini par comprendre qu’il y a des limites au pouvoir et que ces limites sont désormais atteintes», assure-t-il. Dans les colonnes du quotidien Yedioth Ahronoth, le commentateur Nahum Barnea n’en demeure pas moins circonspect. «Une carrière de 32 ans arrive maintenant à son apogée: personne ne menace son règne, ni dans son parti, ni dans la classe politique, ni dans l’appareil gouvernemental, ni dans la rue. Plus précisément, personne ne menace son règne, sauf Nétanyahou lui-même», écrit-il.