Les sondages ne prédisent pas de majorité au premier ministre sortant le 23 mars en dépit des succès de la vaccination en Israël.
En Israël, une campagne peut en cacher une autre. Celle de la vaccination place le pays au premier rang mondial. Benyamin Netanyahou exploite cette réussite pour tenter de décrocher son Graal, une majorité parlementaire à l’issue des législatives du 23 mars. C’est le thème central de ses discours de campagne électorale sans lésiner sur l’autopromotion.
En fonction sans interruption depuis douze années, le premier ministre joue sa survie politique après trois élections non concluantes en moins de deux ans. Il compte sur les résultats fructueux de la lutte contre le Covid-19 pour se prémunir. «Les deux campagnes sont évidemment liées. Benyamin Netanyahou qui centralise tout autour de sa personne présente le succès de la vaccination comme une victoire personnelle», commente le politologue classé à droite Emmanuel Navon.
Benyamin Netanyahou a compris très vite les bénéfices personnels qu’il pouvait tirer d’un traitement énergique du dossier sanitaire après des mois de hauts et de bas épidémiques et de décisions contestées. «Son plan initial était d’organiser le scrutin en mai ou en juin une fois l’immunité collective atteinte mais les péripéties politiques en ont décidé autrement», avance Emmanuel Navon.
Adepte d’un exercice solitaire du pouvoir, le chef du gouvernement a ordonné au Mossad dès le début de pandémie voici un an de fournir l’État hébreu en masques de protection et en respirateurs artificiels à une période où le monde occidental en manquait cruellement. Les hôpitaux et les centres de santé ont été équipés en tests de dépistage malgré la pénurie internationale. Son opportunisme a ensuite fait le reste.
Une conjonction d’intérêt l’a relié à Albert Bourla, le patron du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer. D’origine grecque, ce fils de survivants de l’Holocauste était en quête d’une vitrine pour démontrer l’efficacité de son produit. Israël est apparu comme un candidat idéal. Son système médical s’appuie sur des caisses de santé interconnectées et ultra-informatisées permettant une remontée rapide et efficace des données. Pfizer a pu prouver de manière spectaculaire que ses inoculations sont sûres et efficaces. L’État hébreu a, en contrepartie, obtenu très tôt un stock de vaccins qui permet en principe d’immuniser l’ensemble de la population de ce petit pays mais aussi de constituer des réserves et même de se lancer dans une hasardeuse «diplomatie vaccinale». Il a réglé une facture de 660 millions d’euros, soit un tarif qui n’a rien d’excessif.
Féru de com, Benyamin Netanyahou vante la «Vaccine Nation», un jeu de mots anglais sur la réputation de «start-up nation» d’Israël acquise grâce à un secteur du high-tech en plein essor. Le chef du gouvernement assure avoir «passé 17 appels téléphoniques» à Albert Bourla pour finaliser le deal. «Savez-vous combien de présidents et de premiers ministres appellent Pfizer et Moderna? Ils ne répondent pas. Mais quand c’est moi, ils prennent l’appel», dit-il. Il espérait une visite d’Albert Bourla à Jérusalem moins de trois semaines avant les échéances électorales. Ses opposants l’ont accusé de vouloir tirer la couverture à lui, ont dénoncé une «opération de propagande» et menacé de déposer un recours devant la Cour suprême. Finalement, Albert Bourla n’est pas venu.
Reprise de la vie quotidienne
Lors des trois précédents scrutins, le premier ministre avait insisté sur sa capacité à négocier avec les grands de ce monde. Elle était, selon lui, la preuve de sa supériorité sur ses rivaux. Il jouait de sa proximité avec Donald Trump en couvrant les panneaux d’affichage de portraits des deux dirigeants côte à côte. L’ancien pensionnaire de la Maison-Blanche n’était pas avare de cadeaux. Il lui a offert le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, la reconnaissance de l’annexion du plateau du Golan et le soutien à la colonisation de la Cisjordanie occupée. Benyamin Netanyahou continue de se présenter comme au-dessus du lot. À la différence près que les vaccins ont remplacé l’ex-président américain dans son argumentaire.
La vaccination a débuté sur les chapeaux de roues en janvier et n’a pas depuis fléchi. Près de la moitié des Israéliens auront reçu leurs deux doses de sérum le jour du scrutin. Après un confinement et un bouclage presque total des frontières, la vie quotidienne a repris avec prudence son cours et l’immunité collective pourrait être acquise avant la fin du printemps.
Des critiques fusent cependant sur la gestion de la crise sanitaire du chef du gouvernement. Ses adversaires ainsi que les médias lui reprochent d’avoir mal confiné et déconfiné et d’avoir fermé les yeux sur l’absence de respect des consignes sanitaires par une partie de la communauté ultraorthodoxe dont les représentants à la Knesset sont ses alliés. Ils l’accusent d’avoir laissé l’aéroport Ben-Gourion ouvert sans dépistage épidémiologique à l’arrivée des voyageurs ou encore d’avoir détruit par négligence des pans de l’économie.
Reste qu’une partie importante de l’électorat adhère avec enthousiasme à son narratif. Pour eux, Benyamin Netanyahou est celui qui a sauvé la nation de la pandémie. Cet engouement sera-t-il suffisant le 23 mars? Rien n’est moins sûr. Les sondages montrent que les lignes n’ont pas bougé. Ils laissent présager un résultat à nouveau indécis. Le premier ministre ne disposerait pas d’une majorité claire pour former un gouvernement. «À quelques jours du scrutin, il n’a pas obtenu de gain. Le Likoud risque d’obtenir moins de 30 sièges alors que dans la Knesset sortante il en a 36. C’est une perte substantielle», note Emmanuel Navon.
Les enquêtes d’opinion donnent le Likoud largement en tête, suivi du parti de centre gauche Yesh Atid de Yair Lapid. Derrière eux, Yamina de Naftali Bennett, le chef de file de la droite religieuse et Tikva Hadasha de Gideon Saar, un dissident du Likoud, sont au coude-à-coude. Vaccins ou pas, aucun de ces trois prétendants à la succession ne souhaite gouverner avec Benyamin Netanyahou. Ils pourraient même s’allier pour détrôner le roi de la «Vaccine Nation».