ENTRETIEN – Le professeur de Sciences politiques analyse la crise politique que traverse Israël depuis 2 ans comme un paradoxe autour de la figure omniprésente de Benyamin Netanyahou.
Le professeur de Sciences politiques à l’Open University Denis Charbit, dont le dernier ouvrage, Israël et ses paradoxes, est paru en 2018 aux Éditions Le Cavalier bleu, analyse l’instabilité institutionnelle que traverse Israël.
LE FIGARO. – Quelles sont les raisons de la crise politique que traverse Israël depuis maintenant plus de deux ans?
Denis CHARBIT. – Il y a, à l’origine de la crise politique que traverse Israël depuis deux ans, un paradoxe qu’il importe de saisir: Benyamin Netanyahou dispose d’une base électorale en béton, augmentée d’alliés politiques indéfectibles, ce qui lui permet de frôler la majorité parlementaire sans toutefois l’atteindre. Son bilan sécuritaire et économique, de surcroît, n’est pas des plus médiocres. Mais son style de leadership, son omniprésence médiatique, son narcissisme exclusif, sa rhétorique toujours prompte à pointer du doigt un bouc émissaire (la gauche, la presse, la justice, la police, la haute fonction publique), à quoi s’ajoutent ses embarras judiciaires, lui valent une antipathie qui va jusqu’à l’allergie. Face à l’adversité, Netanyahou est porté d’instinct et par tempérament à polariser l’opinion. Mais autant cette polarisation exacerbée galvanise ses supporteurs, autant elle l’empêche de dépasser d’une courte tête la coalition hétéroclite de ses rivaux. Sûr de lui, de sa base et de ses alliés, il n’a pas hésité à braver toutes les normes politiques, à commencer par son refus de démissionner après avoir été inculpé. Même si la loi l’autorise à demeurer en place jusqu’au verdict, le sens de l’État et la dignité de la fonction de premier ministre auraient incité tout autre leader israélien à se démettre. Pas lui. C’est fort de cette obsession du pouvoir qu’il a refusé de céder la place. Il a préféré pousser la majorité des députés élus pour quatre ans à prononcer à trois reprises la dissolution de la Knesset, après quelques mois d’exercice seulement.
Va-t-on vers des cinquièmes législatives?
Des trois options possibles à l’issue du scrutin – la victoire de l’opposition anti-Netanyahou, la victoire à l’arraché de Netanyahou et un nouveau match nul conduisant à de nouvelles élections – la première me paraît exclue, la seconde n’est pas impossible, et la troisième me semble aujourd’hui la plus probable. D’une part, les Israéliens sont épuisés par ces élections à répétition et souhaitent le retour à la stabilité politique pour appréhender la crise économique post-sanitaire ; d’autre part, Netanyahou n’a pas eu cette fois de rival en mesure de le vaincre ; enfin et surtout, il a appris de ses erreurs passées. Au lieu de procéder à une campagne négative, comme lors des scrutins précédents, il s’est résolu à mener une campagne positive autour de son bilan récent: la campagne de vaccination, qui a hissé Israël à la première place,
et les accords d’Abraham, dont
les retombées stratégiques sont considérables.
Peut-on parler de crise institutionnelle?
Oui, sans aucun doute, et pas seulement parce que le calendrier électoral a été bouleversé d’une manière qui reste sans précédent dans les annales du pays. Israël vit une crise institutionnelle car la Knesset atteint depuis deux ans le degré zéro de son activité. De plus, l’indépendance de la justice est menacée: la Haute Cour de justice dispose de prérogatives qui en font un acteur de la vie publique de premier plan, puisque c’est elle qui arbitre tous les contentieux entre les citoyens et l’État. Or, comme Israël ne dispose pas de Constitution écrite rigide, les prérogatives en question sont à la merci d’une modification de la loi votée à la majorité relative. Sans être formellement un leader populiste, Netanyahou cultive une tentation autocrate, qui pourrait bien passer à l’acte s’il dispose d’une majorité parlementaire au sein de laquelle il n’y a aucun parti capable de faire office de garde-fou.
Faut-il revoir le système proportionnel pour dégager plus facilement des majorités? La classe politique est-elle prête à un tel changement?
C’est le serpent de mer de la politique israélienne. La proportionnelle est adaptée à des pays composés de groupes ethniques et confessionnels dont la loyauté envers l’État passe par la représentation parlementaire dont ils disposent pour transcender leur statut minoritaire. Un système uninominal à deux tours, à la française, exclurait les minorités orthodoxes et arabes de toute représentation parlementaire. Certains pensent que le système politique fonctionnerait alors bien mieux, mais c’est dans les rues que se poursuivrait l’affrontement.