Le coronavirus donne aux partisans de Benyamin Nétanyahou l’occasion de mettre le Parlement israélien à l’arrêt (Louis Imbert – Le Monde)

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Les alliés du premier ministre précipitent une crise institutionnelle, tandis que l’exécutif multiplie les mesures d’exception.

L’épidémie due au coronavirus SARS-CoV-2 a produit un grave court-circuit dans la démocratie parlementaire israélienne. Le gouvernement de transition multiplie les mesures d’exception tandis que la Knesset, première institution du pays, est à l’arrêt.

Mercredi 18 mars, son président, allié du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a immobilisé le Parlement afin d’empêcher son opposition d’en prendre le contrôle après qu’elle a obtenu une majorité lors des élections du 2 mars (61 sièges sur 120), les troisièmes en un an. Dans un geste inédit, Yuli Edelstein a ajourné après quelques minutes la première session de la nouvelle Knesset.

Il refusait de mettre au vote avant lundi, au mieux, son propre remplacement, malgré une requête de l’opposition, et de laisser se former les comités parlementaires censés exercer un droit de regard sur l’action de l’exécutif. Dans l’après-midi, le président israélien, Réouven Rivlin, a appelé en vain M. Edelstein à ne pas « saper la démocratie israélienne ».

Ce dernier a justifié sa décision par des questions de procédure, et a affirmé que son remplacement « interférerait » avec des négociations en cours pour former un vaste gouvernement d’union, qui réunirait en urgence le Likoud de M. Nétanyahou et une partie de son opposition.

Maintenir la stabilité face à la crise sanitaire

Pour le premier ministre, qui s’exprimait sur la chaîne 12 mercredi soir, ainsi que sur Facebook Live, il s’agit de maintenir la stabilité face à la crise sanitaire – alors que les autorités envisagent d’imposer dans le pays un confinement strict, à la française. M. Nétanyahou voit dans l’ambition de la nouvelle majorité parlementaire d’exercer son pouvoir un « accaparement [de prérogatives] non démocratique », destiné « à faire tomber le premier ministre ». Il entend aussi empêcher que des députés arabes, qui ont rejoint son opposition et qu’il qualifie de « soutiens du terrorisme », ne prennent la tête de comités parlementaires.

Lundi 16 mars, le chef de la formation Bleu Blanc, le général Benny Gantz, a été désigné par la présidence pour tenter de former un gouvernement, après avoir obtenu la recommandation d’une majorité de députés. Cette alliance de circonstances rassemble des députés de gauche, de la minorité arabe et des ultranationalistes russophones. Seule leur volonté de remplacer le premier ministre les unit.

S’ils n’ont pas les moyens de former un gouvernement, pour l’heure, ils entendent commencer par agir à l’Assemblée, en en prenant le contrôle, puis en passant deux lois faites sur mesure pour empêcher M. Nétanyahou d’obtenir un nouveau mandat, alors que celui-ci est poursuivi pour corruption, fraude et abus de confiance.

Dimanche déjà, le gouvernement avait été critiqué pour avoir réduit, dans la nuit, l’activité des tribunaux : cette mesure de précaution contre l’épidémie avait repoussé de deux mois le procès du premier ministre, qui devait s’ouvrir le 17 mars. Mardi soir, alors que le blocage parlementaire s’annonçait, l’un des chefs de la formation d’opposition Bleu Blanc, Yaïr Lapid, affirmait sur Facebook : « Il n’y a plus de pouvoir judiciaire en Israël. Il n’y a plus de pouvoir législatif en Israël. Il n’y a qu’un gouvernement non élu dirigé par une personne qui a perdu les élections. Vous pouvez nommer cela de bien des façons ; ce n’est pas une démocratie. »

Mardi, au beau milieu de la nuit également, l’exécutif a étendu les pouvoirs du Shin Bet, l’agence de renseignement intérieure, pour l’autoriser à traquer les personnes infectées à travers les données de connexion de leurs téléphones portables, ainsi que ceux avec lesquels elles ont pu entrer en contact. Cette mesure, critiquée par des associations et des juristes, aurait dû recevoir l’appui du sous-comité parlementaire chargé du renseignement. Celui-ci a été incapable de statuer avant la prestation de serment des nouveaux députés. Depuis, le ministère de la santé a déjà envoyé des SMS à 400 personnes susceptibles d’être infectées.

Cour suprême

Le blocage pourrait être de courte durée. Les parlementaires d’opposition, qui refusaient de quitter le Parlement mercredi (tout en maintenant entre eux une distance de précaution désormais réglementaire), prévoient d’en appeler à la Cour suprême dès jeudi. Le conseiller légal du Parlement a affirmé qu’ils pourraient se passer de l’autorisation de M. Edelstein pour voter en plénière la semaine prochaine.

La gestion de la crise sanitaire par le gouvernement a cependant suscité l’admiration de nombreux Israéliens : il a tôt limité les entrées dans le pays et encouragé des mesures de confinement, fermé les écoles, les commerces non-essentiels, puis autorisé la police à disperser tout rassemblement de plus de dix personnes, prévoyant des peines de prison pour ceux qui rompraient leur quarantaine.

M. Nétanyahou a pour cela usé de pouvoirs étendus en conditions d’urgence, que garantissent les lois fondamentales. Il a pratiqué une forme d’improvisation toute spécifique à Israël, qui lui vaut des taux d’approbation en hausse dans les enquêtes d’opinion. Mais pourra-t-il se permettre de demeurer seul au pouvoir, sans gouvernement d’union, lorsque les premiers morts, qu’il juge inévitables, seront à déplorer ?

Plus de 430 personnes ont été contaminées dans le pays, mais les autorités ont mené des tests limités et tardifs. Des sources au ministère de la santé, citées par la presse, envisagent l’existence de plusieurs milliers de cas actuellement, pour une population de 9 millions d’habitants. Les experts craignent que l’épidémie ne suive dans les semaines à venir une progression à l’italienne… ou à la française.