Ayman Odeh, symbole de la mue politique des Arabes israéliens (Thierry Oberlé – Le Figaro)

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Le leader de la Liste arabe unie, troisième force du Parlement, espère en finir avec l’ère Nétanyahou en soutenant la nomination de Benny Gantz au poste de premier ministre.

Ayman Odeh aime à dire qu’il «représente les invisibles et porte leur voix». Des «invisibles», les Arabes israéliens qui le sont de moins en moins et une «voix» qui pèse de plus en plus. À l’issue des élections du 2 mars, la Liste arabe unie, dont il est le chef a confirmé son statut de troisième force politique du Parlement avec quinze députés à la Knesset. Sous son impulsion, les nouveaux élus ont adopté une position inédite: ils ont recommandé sans exception la nomination de Benny Gantz au poste de premier ministre. Ce soutien donnerait une majorité de 61 sièges à l’ancien chef d’état-major de l’armée. Le rejet viscéral de Benyamin Nétanyahou n’explique pas uniquement ce grand virage. «Nous voulons démontrer que les citoyens arabes ne peuvent plus être rejetés ou ignorés. Notre décision de recommander Benny Gantz comme prochain premier ministre sans rejoindre un gouvernement de coalition va dans son sens», affirme Ayman Odeh. Avec lui, la Liste arabe unie devient un groupe de pression presque comme les autres.

Je suis très bien accueilli dans ma patrie. Je fais partie de la nature, de l’environnement, du paysage.

Ayman Odeh

Le visage carré, cet avocat de formation s’exprime dans un parfait hébreu. Bon orateur, il s’est imposé dans les débats des plateaux de télévision. À 45 ans, il incarne avec ses airs de notable les aspirations d’une classe moyenne arabe en devenir et soucieuse de défendre ses intérêts. Il est entré en politique au Hadash, un petit parti de gauche qu’il dirige toujours. C’est au conseil municipal d’Haïfa, sa ville natale, une cité mixte du nord du pays qu’il fait ses premières armes. Il y apprend à défendre les intérêts de sa communauté.

En 2015, il entre au Parlement pour ne plus en sortir. Cette année-là, la liste des partis arabes crée la surprise en remportant 13 sièges. Durant la campagne, une joute verbale l’oppose à l’ultranationaliste Avigdor Lieberman. Alors ministre israélien des Affaires étrangères, ce dernier le traite de «citoyen palestinien» et déclare qu’il est indésirable en Israël. «Je suis très bien accueilli dans ma patrie. Je fais partie de la nature, de l’environnement, du paysage», rétorque Ayman Odeh pour mettre en évidence les origines russes de son adversaire né en ex-Union soviétique.

L’antithèse de Lieberman

Ironie de l’histoire, le patron de la Liste arabe et le leader d’Israel Beitenou, une formation russophone, ont l’un et l’autre apporté leur soutien au centriste Benny Gantz pour la formation du gouvernement. Tout oppose pourtant les deux hommes qui se veulent des faiseurs de roi. Dans une de ses déclarations à l’emporte-pièce, Avigdor Lieberman a un jour proposé de «jeter les Palestiniens dans la mer Morte». Ayman Odeh défend le multiculturalisme, dénonce la «ségrégation» visant sa communauté et repousse l’idée d’une séparation.

En janvier 2017, il a été blessé alors qu’il protestait contre la démolition du village bédouin d’Umm al-Hiran. Ayman Odeh est «un délinquant menteur qui a attisé les flammes et s’est tenu à la tête d’un groupe violent», avait commenté le ministre de la Sécurité publique Gilad Erdan. Aujourd’hui, son rapprochement avec Benny Gantz constitue un danger pour Benyamin Nétanyahou, qui a sorti l’artillerie lourde. Le premier ministre a mis en garde l’ancien patron de l’armée contre un pacte avec «les soutiens du terrorisme».

La question palestinienne n’était pas centrale au cours des deux dernières campagnes législatives de la Liste arabe unie mais elle reste sensible. Ayman Odeh aurait du mal à soutenir même indirectement une intervention militaire à Gaza ou des opérations musclées en Cisjordanie conduites par Benny Gantz. Sa coalition est hétéroclite et pourrait voler en éclats. Elle compte dans ses rangs des gauchistes, des panarabistes et des islamistes.

Dans un pays où ils représentent environ 20% de la population, les députés arabes s’étaient toujours volontairement tenus à l’écart du fonctionnement des institutions ou avaient été relégués dans un coin. Ayman Odeh est parvenu à briser ces logiques en jouant un numéro d’équilibriste entre sa base électorale arabe et le public juif d’une gauche en déshérence. Sa Liste arabe unie a obtenu deux fois plus de sièges que la gauche traditionnelle emmenée par les travaillistes, le parti des fondateurs de l’État hébreu. «Dans un avenir proche, la liste commune doit être maintenue, tout en construisant un mouvement populaire judéo-arabe» dit Ayman Odeh.

Deux événements ont joué en faveur de sa percée. La loi fondamentale sur le caractère juif de l’État-nation votée en juillet 2018 par le Parlement a été perçue par la minorité arabe comme une volonté d’entériner leur statut de citoyens de seconde zone. Et à l’automne 2019, la vague de violences et de criminalité dans le secteur arabe a suscité une forte mobilisation des habitants qui ont réclamé plus de police et de moyens de l’État pour y faire face. Traditionnellement faible, le taux de participation aux législatives est ainsi passé à plus de 60 %. Une poussée qui permet à Ayman Odeh de décider qui sera le prochain premier ministre.