Après 500 jours de campagne, Israël a enfin un gouvernement (Louis Imbert – Le Monde)

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Cet exécutif pléthorique, aux ambitions limitées, associe le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, à son principal rival, Benny Gantz, qui espère lui succéder en 2021.

Le plus vaste gouvernement de l’histoire d’Israël a prêté serment, dimanche 17 mai : pas moins de trente-six ministres et seize vice-ministres s’y serrent. Il fallait bien ça pour respecter l’accord conclu par Benyamin Nétanyahou et son « premier ministre d’alternance », Benny Gantz, au terme d’une campagne électorale qui s’est étirée sur plus de cinq cents jours, à travers trois scrutins législatifs, depuis avril 2019.

M. Gantz prend le ministère de la défense et prévoit de succéder à M. Nétanyahou à la tête du gouvernement dans dix-huit mois. Cet accord complexe, miné par le manque de confiance entre les deux hommes, a été ancré par les parlementaires dans la Loi fondamentale du pays le 7 mai. Dans la pratique, il fait craindre la paralysie : sur quoi s’entendre, comment avancer ?

« La population veut un gouvernement d’unité, et c’est ce qu’elle obtient aujourd’hui », a affirmé M.  Nétanyahou dimanche, avant d’annoncer la date prévue de la passation des pouvoirs à son partenaire : le 17 novembre 2021. Durant les six premiers mois, leur gouvernement se veut modestement d’« urgence » : il est censé gérer presque exclusivement les contrecoups de l’épidémie de Covid-19, qui a mis un million d’Israéliens au chômage, soit près d’un quart de la force de travail.

Le procès de Nétanyahou doit s’ouvrir le 24 mai

La moitié des portefeuilles échoient à M. Gantz et à ses alliés, en dépit de leur faible poids à la Knesset (dix-sept sièges sur cent vingt). Le général Gantz, qui a affirmé une nouvelle fois son sens de la « responsabilité » dimanche, y voit un accord « équilibré ». Ses proches se font fort d’encadrer le premier ministre jusqu’au passage de relais, en premier lieu au sein du ministère de la justice, dont ils prennent la direction. Le procès pour corruption, fraude et abus de confiance de M. Nétanyahou doit s’ouvrir dès le 24 mai.

Aucune chance que le nouveau ministre de la justice, Avi Nissenkorn, n’annonce un nouveau report de l’audience, comme l’avait fait son prédécesseur, Amir Ohana, dès le début de l’épidémie. Mais le diable est dans les détails. M. Ohana obtient en retour le ministère de la sécurité publique. Il y nommera plusieurs hauts fonctionnaires de police, dont les postes demeuraient vacants, à l’heure où des enquêteurs de police seront appelés à témoigner devant les juges de M. Nétanyahou.

L’ancien partenaire de M. Gantz à la direction du mouvement Bleu Blanc, Gabi Ashkenazi, obtient le portefeuille des affaires étrangères. Mais on imagine mal comment cet ancien chef d’état-major de l’armée pourrait échapper au sort de ses prédécesseurs, éclipsés par M. Nétanyahou, qui tend à incarner à lui seul la diplomatie israélienne. D’autant plus que le premier ministre a rappelé auprès de lui plusieurs poids lourds du métier, dont l’ambassadeur à Washington, Ron Dermer. Le Parti travailliste, héritier des fondateurs de l’Etat d’Israël, en 1948, réduit aujourd’hui à deux députés, se joint à cet équipage, Amir Peretz obtenant le ministère de l’économie.

Parmi les alliés du premier ministre, le manque d’air au sommet de l’Etat se fait également sentir. Il a suscité, jeudi, une rébellion ouverte au sein de son parti, le Likoud, qui a repoussé de quarante-huit heures la formation du gouvernement. Pour ne pas trop s’aliéner ses barons, M. Nétanyahou a dû découper des portefeuilles en tranches, en créer de toutes pièces, à l’intitulé vague, organiser des rotations à leur tête et expédier les alliés les moins indispensables en ambassade à l’étranger – ainsi, l’ex-ministre de la sécurité publique, Gilad Erdan, cumulera les postes d’ambassadeur à Washington et auprès des Nations unies, à New York.

Les déçus de la droite

Le libéral Yaïr Lapid, ancien allié de M. Gantz et désormais leader d’une opposition désunie, sans aucun dénominateur commun, a beau jeu de dénoncer « un gâchis » de deniers publics. Il souligne qu’Israël comptera bientôt plus de ministres que de malades du Covid-19 sous respirateur. Finalement, c’est un gouvernement de fidèles que M. Nétanyahou verrouille autour de lui. Yuli Edelstein, ancien président de la Knesset, qui a tenu le Parlement au moment crucial où son parti y était minoritaire, obtient le ministère de la santé.

Il est remplacé par Yariv Levin, l’un des artisans de l’accord avec M. Gantz. Miri Regev, voix tonitruante dans les médias, obtient le portefeuille des transports. L’ultraorthodoxe Yaakov Litzman, qui a démissionné du ministère de la santé en avril, sous le feu des critiques, obtient sans difficulté celui du logement, cher à ses électeurs. Le maintien des partis ultraorthodoxes au gouvernement devrait permettre à ceux-ci de faire barrage aux promesses de campagne de M. Gantz. Ce dernier avait ambitionné, un temps, de modifier les rapports entre le domaine religieux et l’Etat, en réduisant l’exemption de service militaire dont bénéficient les étudiants en yeshiva (école religieuse).

Des manifestants hostiles au premier ministre Benyamin Nétanyahou, devant sa résidence à Jérusalem, le 17 mai.
Des manifestants hostiles au premier ministre Benyamin Nétanyahou, devant sa résidence à Jérusalem, le 17 mai. MENAHEM KAHANA / AFP

Parmi les rebelles et les déçus de la droite, Gideon Saar, qui avait osé se présenter contre M. Nétanyahou durant les primaires du parti, en décembre 2019, demeure simple parlementaire. Plus grave : les alliés de Yamina, alliance de la droite ultranationaliste et religieuse (cinq sièges), manquent à l’appel. L’un des leurs, le rabbin Rafi Peretz, a fait défection pour prendre le ministère chargé de Jérusalem. Mais, après des mois passés à multiplier les serments d’allégeance, le ministre de la défense, Naftali Bennett, est débarqué, et Ayelet Shaked, ancienne ministre de la justice et éternelle étoile montante, est oubliée. Accusant M. Nétanyahou de leur avoir « coupé les ailes », ils promettent de le presser sur sa droite, en attendant sa fin.

La promesse d’une annexion des territoires de Cisjordanie

Gage donné à cette droite religieuse, Tzipi Hotovely, relais apprécié des colons au sein du Likoud, obtient le portefeuille des « implantations » pour quelques mois – elle est appelée par la suite à l’ambassade israélienne de Londres. Dimanche, Mme Hotovely a été prompte à affirmer à la presse que ce gouvernement annexerait enfin des territoires palestiniens en Cisjordanie, entre les mois de juillet et de septembre.

L’annexion, qui romprait avec le régime d’occupation militaire en vigueur depuis les conquêtes de 1967, est le seul acte politique qu’autorise l’accord de MM. Gantz et Nétanyahou dans les six premiers mois de leur gouvernement, en dehors de la lutte contre le virus. Dimanche, dans un discours à la Knesset, M. Nétanyahou a de nouveau rappelé ses alliés ultranationalistes à contribuer à ce projet.

« Le temps est venu pour quiconque croit à nos droits sur la terre d’Israël de se joindre à un gouvernement que je dirige pour mettre en œuvre ensemble un processus historique », affirmait-il. En visite à Jérusalem, mercredi, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, s’était abstenu d’encourager l’allié israélien à appliquer trop vite le « plan Trump » pour le Proche-Orient, révélé en janvier, qui ouvre la voie à l’annexion. M. Pompeo s’était contenté d’affirmer qu’une telle décision relevait de la souveraineté israélienne, avant de s’entretenir avec M. Gantz. Le général est, quant à lui, rétif à l’annexion, comme l’essentiel de l’appareil sécuritaire israélien. Il n’en a pas dit mot dimanche.