Ces citoyens d’origine palestinienne représentent 21 % de la population du pays mais n’attendent rien du scrutin.
Heba Yazbak a bien failli ne pas participer aux législatives du 9 avril. La commission électorale avait disqualifié la liste Raam-Balad (liste arabe unie), sur laquelle elle figure en deuxième position, pour «soutien au terrorisme». Une décision finalement invalidée le 13 mars par la Cour suprême, la plus haute autorité juridique d’Israël, car elle n’était «pas étayée par des preuves». «Il n’y avait pas de raison pour nous mettre hors jeu. C’était un prétexte pour nous calomnier et nous diffamer», dit cette sociologue. La jeune femme qui se définit comme nationaliste arabe et féministe pourrait à 34 ans entrer à la Knesset. À condition que sa liste franchisse la barre des 3,25 % ouvrant aux petites formations politiques les portes du Parlement.
Dans sa ville de Nazareth, Heba Yazbak mène une campagne de proximité. Il s’agit de convaincre les citoyens de la plus grande localité à majorité arabe du pays de participer au scrutin. Une tâche ardue tant la population d’origine palestinienne (21 % environ de la population israélienne) semble désillusionnée. À en croire les sondages, la moitié des électeurs n’ont pas prévu de se rendre aux urnes.
«J’encourage au vote car notre minorité ne peut se permettre le luxe d’être absente de la Knesset, où l’on travaille sur des sujets qui concernent notre quotidien»
«J’encourage au vote car notre minorité ne peut se permettre le luxe d’être absente de la Knesset, où l’on travaille sur des sujets qui concernent notre quotidien. Si nous sommes absents, personne ne nous défendra à notre place», explique la candidate. «Et puis, cela serait offrir un cadeau à cet État qui veut un Arabe docile, un Arabe qui rejette l’idée nationale palestinienne et n’est pas dans la confrontation.»
Pourtant, dans la vieille ville arpentée par les touristes et les pèlerins, les commerçants du souk ne se soucient guère du rendez-vous électoral. «Les partis arabes représentés au Parlement ne sont pas écoutés et les autres partis sont contre nous. La démocratie est falsifiée, nous n’avons que Dieu pour nous défendre», tranche un marchand de vêtements féminins. «Nous sommes égaux devant l’impôt, mais nous n’obtenons moins que les autres citoyens en retour», poursuit-il.
La plupart des boutiquiers du vieux marché aux rues pentues partagent son point de vue. Ils se plaignent d’être considérés comme des individus de seconde zone. «Nous ne sommes pas traités à égalité. Nous avons, par exemple, les pires difficultés à obtenir des permis de construire de l’État tandis que les Juifs bénéficient d’aides au logement substantielles», argue Ibrahim, un droguiste qui ne tient pas à donner son nom. «Les Juifs qui arrivent de Grande-Bretagne, de France ou même de Russie sont mieux lotis que nous», regrette-t-il. «Ces étrangers s’installent chez nous alors que les réfugiés palestiniens qui ont quitté la ville en 1948 n’ont pas le droit au retour. Pourtant, un jour ils reviendront. J’en suis convaincu et beaucoup pensent comme moi.»
Ces griefs ont pris un relief particulier depuis le vote, l’été dernier par le Knesset, de la loi sur l’État-nation du peuple juif. Le texte alimente leurs rancœurs. La loi fondamentale grave dans le marbre les principes de la déclaration d’indépendance de 1948 avec ses symboles, tels que le drapeau ou l’hymne national. Elle affirme que seul le peuple juif peut exercer «son droit naturel, culturel, politique et religieux à l’autodétermination». Elle précise que l’hébreu est l’unique langue officielle et l’arabe une langue dotée d’un «statut spécial». «Musulman, chrétien, juif, nous vivons ensemble à Nazareth quelle que soit notre religion. Les Juifs viennent au souk sans avoir peur. Pourquoi instaurer cette loi raciste?», s’interroge Mohammed Abou Khakir, le gestionnaire du marché. «Il y a dans la société des frontières invisibles que mes enfants, qui ont pourtant réussi dans leur vie professionnelle, ne peuvent franchir. On nous donne à respirer un parfum de démocratie, mais c’est une démocratie faite pour les Juifs. Pas question dans ces conditions de cautionner cet entre-soi en allant voter», tranche-t-il.
Au siège de Balad, Heba Yazbak dresse le même constat mais en tire des conclusions différentes. Elle appelle à la participation pour affirmer «l’identité des Palestiniens de l’intérieur» alors qu’«Israël évolue vers la droite religieuse et extrémiste». «Le citoyen arabe est enfermé dans ses difficultés. Il ne croit pas en l’influence de la politique», reconnaît-elle.
Les fractures entre partis ont contribué au décrochage. Aux législatives de 2015, les formations arabes avaient scellé une alliance pour présenter une liste unique. La «liste unifiée» avait obtenu 13 sièges à la Knesset. Elle était devenue la troisième force politique du Parlement mais, minée par ses querelles, la coalition a volé en éclats.
Cette fois, les politiciens arabes briguent les suffrages en ordre dispersé. Deux listes s’affrontent, celle de Hadash-Taal emmenée par Ayman Odeh et Ahmed Tibi et celle de Raam-Balad. Aucune d’entre elles n’envisage de participer à un gouvernement. Le chiffon rouge d’un accord entre le centre droit et les partis arabes est pourtant agité par Benyamin Nétanyahou. Un premier ministre qui, en dépit de ses prises de position, a des partisans à Nazareth. «Je voterai pour Bibi parce que c’est un homme fort. Il a amélioré l’économie et a mis les gens au travail», assure Salam, un employé de la municipalité tout en reconnaissant avec fatalisme que la loi sur l’État-nation confirme son statut de «citoyen de deuxième catégorie».
«Que voulez-vous, nous sommes pris entre le marteau et l’enclume. On est fatigué, on ne veut plus souffrir», commente Ali, un guide touristique à la retraite. Il s’est installé avec sa famille sur les hauteurs à Nazareth Illit, la partie juive de la ville moderne bâtie sur les terres abandonnées par les Palestiniens qui ont fui le conflit de 1948. «Là-haut, on ne manque de rien», se félicite le vieil homme coiffé d’un panama.