Retour des djihadistes: l'Europe cherche la solution (Anne Rovan – Le Figaro)

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Sommés par Donald Trump de rapatrier chez eux les djihadistes détenus par les Kurdes en Syrie, les Européens s’alarment du retour de ces «bombes à retardement».

Que répondre à l’injonction de Donald Trump alors que l’organisation État islamique est sur le point d’être vaincue en Syrie? C’était lundi le casse-tête des ministres des Affaires étrangères des Vingt-Huit réunis à Bruxelles, au lendemain de l’appel du président américain exhortant les Européens à accepter le rapatriement sur le Vieux Continent de tous les combattants de l’État islamique. Un nouveau test d’unité pour l’Union sur un sujet éminemment sensible qui n’était pas officiellement à l’ordre du jour de ce Conseil Affaires étrangères, et dont ces ministres se seraient volontiers passés.
Durant cette réunion par ailleurs consacrée à l’Ukraine et au Venezuela, une douzaine d’entre eux sont revenus sur cette difficile question qui agite toutes les capitales européennes depuis deux jours. Certains, notamment le Français Jean-Yves Le Drian, pour s’étonner encore des «incohérences» de la politique étrangère américaine consistant à vouloir quitter la Syrie alors qu’elle prétend par ailleurs y contrer l’implantation militaire iranienne. D’autres pour regretter que le président américain ait à nouveau choisi Twitter pour mettre la pression sur l’Europe.
Quoi qu’il en soit, les Vingt-Huit semblent bien décidés à ne pas donner suite, à ce stade, à l’injonction du président des États-Unis. Ils l’ont même balayée, tant elle leur semble intenable. «Pendant la réunion, beaucoup des ministres ont répété que le sujet était difficile», confie une source diplomatique. Comment pourrait-il en être autrement, sachant que ces retours posent de nombreuses questions au plan juridique (lire ci-contre) et nourrissent l’inquiétude dans les opinions publiques européennes?

Certains États membres s’opposent catégoriquement au retour des combattants de l’EI sur leur sol. C’est le cas de la Suède, mais aussi du Royaume-Uni.

S’il y a effectivement une forme d’unanimité à refuser les rapatriements collectifs proposés par Trump, les Vingt-Huit avancent en ordre dispersé sur la manière de traiter la question de ces combattants de l’État islamique restés en Syrie. Ce qui n’est guère surprenant puisqu’il s’agit là d’un sujet avant tout national, comme l’a répété lundi la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
Ainsi, certains États membres s’opposent catégoriquement au retour des combattants de l’EI sur leur sol. C’est le cas de la Suède, qui n’est pas armée juridiquement pour les placer en détention à leur arrivée, mais aussi du Royaume-Uni. «Les combattants étrangers devraient être traduits en justice conformément à la procédure légale adéquate dans la juridiction la plus appropriée», a déclaré un porte-parole de la première ministre Theresa May, ajoutant que «cela devrait avoir lieu dans la région où les crimes ont été commis». Les Britanniques ne sont pas les seuls sur cette ligne. Les Pays-Bas ne veulent pas non plus voir revenir leurs ressortissants. La question devait d’ailleurs être discutée lundi après-midi par le gouvernement néerlandais. «L’opinion publique est contre et nous avons des élections en mars. Nous ne voulons pas faire chavirer le bateau», confie une source néerlandaise. Cette source avance d’autres arguments: «Trump nous dit qu’ils sont 800. Mais sont-ils tous Européens? Nous n’avons pas d’informations.»

La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, souhaite voir les rapatriements se faire «au cas par cas».

À l’inverse, la France et l’Allemagne semblent vouloir se montrer un peu plus pragmatiques. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, souhaite voir les rapatriements se faire «au cas par cas». Quant aux Allemands, ils sont très frileux mais ne vont pas jusqu’à exclure totalement le principe même des rapatriements de leurs djihadistes en Allemagne. À ce stade, une telle opération serait «extrêmement difficile» à conduire, estimait dès dimanche le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas, en pointant un manque d’informations. Idem pour l’Autriche, qui compte une trentaine de combattants de l’EI en Syrie auxquels s’ajoutent des demandeurs d’asile tchétchènes. «Nous n’avons pas dit non, mais des questions d’organisations se posent», estime un diplomate autrichien.
Autant dire qu’on est très loin de la «solution européenne» qu’appelle de ses vœux le premier ministre belge, Charles Michel. Dans la matinée, avant le début de la réunion, Federica Mogherini avait donné le «la», estimant que le message de Donald Trump s’adressait aux États membres et non à l’Union européenne. Ce qu’elle a répété à l’issue de la réunion. «Il n’y aura pas de décision au niveau de l’Union européenne», a-t-elle expliqué. Néanmoins, la haute représentante a ouvert la voie lundi à «une réflexion commune». Selon un diplomate, il s’agirait dans ce cas de favoriser les échanges d’information et de bonnes pratiques entre les États membres. Une réponse très en deçà des enjeux.