Enquête sur le vrai visage des djihadistes français (Christophe Cornevin et Jean Chichizola -Le Figaro)

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EXCLUSIF – Très jeunes, souvent inconnus de la justice… 238 profils de condamnés ont été passés au crible dans un rapport choc que révèle Le Figaro.

Cette étude que révèle Le Figaro est inédite. Menée par le Centre d’analyse du terrorisme (CAT) sous la direction de Jean-Charles Brisard et intitulée «La justice pénale face au djihadisme», elle passe au crible l’ensemble du contentieux judiciaire des filières dites «syro-irakiennes». Soit 238 islamistes radicaux condamnés entre 2014 et 2017.

• Un contentieux qui a explosé en quatre ans

Un contentieux de masse pour un phénomène aux proportions sans précédent. L’étude du CAT rappelle que si le terrorisme islamiste sévit dans l’Hexagone depuis les années 1990, le djihad syro-irakien a créé un changement d’échelle. Dans les années 2000, le djihad irakien avait attiré 30 Français. Depuis janvier 2013, 980 Français ou résidents ont manifesté des velléités de départ vers les zones de combat et 1269 individus y seraient toujours. Trois cent trente-cinq sont revenus en France.
Conséquence de ce flot, le parquet de Paris traitait, au 15 mai 2018, 513 dossiers liés aux filières syro-irakiennes impliquant 1620 individus. Le nombre de dossiers est passé de 10 en 2012 à 240 en 2016. En 2017, 173 dossiers ont été ouverts, signe de la fin des départs sur zone.
Le nombre de condamnations a aussi progressé, avec 114 condamnations pour association de malfaiteurs terroriste délictuelle, contre 32 en 2012 (+ 250 %). Entre le 7 mars 2014 (date du premier procès concernant ces filières) et la fin 2017, 238 personnes ont été jugées en première instance devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, la cour d’assises spécialement composée et le tribunal pour enfants. La tendance se poursuit en 2018 avec 17 affaires, impliquant 37 personnes, jugées entre le 1er janvier et le 15 mai.

• La montée en puissance des terroristes 2.0

Le terrorisme est devenu un phénomène de masse. Le rapport du CAT en témoigne: la moyenne d’âge des individus jugés est désormais de 24 ans et demi. «La plus jeune personne a 14 ans», précise le document. À l’autre bout de l’échelle, seuls trente condamnés se situent dans la tranche des 30 à 51 ans. Autant dire que le phénomène des «vétérans» recrutés formés au sein d’une «élite» dans la galaxie d’al-Qaida s’est estompé au profit de djihadistes 2.0 cédant aux sirènes de la propagande numérique. Dans ce panorama mouvant, les femmes montent en puissance. «À la fin de l’année 2016, […] le parquet a mis fin à une sorte d’impunité qui prévalait jusqu’alors, s’agissant de la poursuite des femmes de djihadistes, précise le rapport. Beaucoup, y compris au sein de la magistrature, considéraient que les femmes étaient cantonnées à des tâches ménagères, et le débat sur l’opportunité de les poursuivre au même titre que les hommes compte tenu de leur implication opérationnelle s’est traduit par une évolution de la politique judiciaire.»
Entre 2014 et 2017, rappelle le CAT, 22 femmes dont neuf mineures, ont été impliquées dans 12 projets ou tentatives d’attentats en France. Depuis 2017, celles qui sont de retour des zones de combat sont systématiquement judiciarisées, au même titre que les hommes. Ainsi, trois ont été jugées en 2016 et 15 en 2017.

• Des djihadistes sans antécédents judiciaires

C’est l’une des principales révélations de l’étude du CAT: sur l’ensemble des procès liés au conflit syro-irakien, 62 % des prévenus n’ont aucun antécédent judiciaire. De quoi tordre le cou à l’idée bien ancrée selon laquelle la plupart des soldats perdus de Daech auraient fait leurs premières armes dans la petite délinquance de cité et le banditisme. Il est vrai que la porosité entre le terrorisme et le droit commun a été incarnée par les trajectoires de Mohamed Merah, le tueur de Toulouse et Montauban, ou encore d’Amedy Coulibaly, auteur de la prise d’otages en 2015 de l’Hyper Cacher. Mais nombre d’attentats récemment perpétrés sur le sol français ont mis en scène des individus au casier vierge. «Cela pose la question de la détection et du soudain basculement dans l’action violente», insiste Jean-Charles Brisard, citant le cas d’«Abou Ismaïl», aspirant terroriste de 13 ans originaire du Val-de-Marne, qui rêvait de poignarder des «kouffars» au hasard dans la rue avant de se faire interpeller en juin 2017 par la DGSI.
Autre enseignement du rapport CAT: si un tiers des 238 individus ayant écopé d’une peine sont des «revenants», 42 ont été jugés alors qu’ils sont censés être en zone syro-irakienne. Depuis février 2017, le parquet de Paris a eu recours à des jugements dits de «présomption d’absence» pour les djihadistes donnés comme morts sur le champ de bataille. En cela, la justice ne veut pas tomber dans le piège d’une machination macabre. Ainsi, ce fut le cas d’Omar Diaby, alias Omar Omsen, un Niçois parti combattre fin 2013 en Syrie et réapparu comme par magie sur les écrans radar deux ans après sa mort annoncée. Enfin, le rapport mentionne 59 personnes jugées pour soutien logistique ou financier, projet d’attentat ou provocation à un acte direct de terrorisme. Incarnations de cette menace «endogène», elles représentent environ le quart des cas jugés.

• Des condamnations plus sévères

Pour l’ensemble des procès liés au djihad syro-irakien depuis 2014, la moyenne de peine prononcée est de six ans et six mois. Elle a fortement augmenté entre 2015 et 2018 pour atteindre cette année sept ans et cinq mois d’emprisonnement. Un islamiste jugé cette année dans le cadre du contentieux syro-irakien a donc toutes les chances d’écoper d’une peine deux fois plus lourde que quatre ans auparavant. Et cet alourdissement va se poursuivre puisqu’on observe une hausse du nombre de recours à la qualification criminelle avec des peines encourues plus sévères. À noter que les «revenants» ont vu leur peine moyenne passer de sept ans et huit mois en 2017 à neuf ans en 2018.