Le Monde – Par Piotr Smolar
Lettre de Jérusalem. Une effigie de soldat a été brûlée lors d’une fête juive, et l’état-major s’inquiète de la multiplication des agressions contre la troupe.
Israël a célébré, le 13 mai, la fête de Lag Baomer, marquée comme à l’accoutumée par des feux de joie. Mais ce soir-là, dans le quartier ultra-orthodoxe de Mea Shearim à Jérusalem, un acte de défi et de haine a eu lieu, saisi par les téléphones portables avant de se propager sur les réseaux sociaux. Un mannequin à l’effigie d’un soldat a été suspendu et brûlé, sous les applaudissements de l’assistance. On lui avait dessiné une barbe grossière, marque de son infamie supposée : il représentait un soldat haredi, donc membre de la communauté ultra-orthodoxe, qui aurait commis l’outrage de servir sous les drapeaux au lieu de se consacrer à Dieu.
Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a dénoncé un « acte méprisable », pointant du doigt un groupuscule extrémiste religieux et antisioniste, Neturei Karta, qui brûle régulièrement des drapeaux israéliens pour faire parler de lui. En mars, dans le même quartier, plusieurs mannequins similaires avaient déjà été suspendus à des câbles, dans la rue. Depuis plusieurs mois, les incidents violents se sont aussi multipliés. Les franges les plus radicales des communautés ultra-orthodoxes veulent empêcher par tous les moyens, physiques et verbaux, le recrutement des leurs au sein de l’armée. Actuellement, précise l’état-major au Monde, 6 600 haredim servent dans ses rangs, dont 400 sont des soldats de carrière.
Les hommes haredi peuvent se soustraire au service militaire dès lors qu’ils poursuivent leurs études religieuses dans une yeshiva. Mais le débat sur l’égalité entre laïcs et croyants s’est intensifié ces dernières années. Et dérive. Des Haredim ont osé manifester le 19 mai, à Kfar Tavor (nord-est), devant le domicile du major général Moti Almoz, le directeur de la division des ressources humaines au sein des forces armées. Ils ont distribué des tracts promettant au gradé la même fin que celle d’Hitler, et l’accusant d’avoir « vendu son âme par avarice ». « Quand arrêterez-vous de brûler les âmes de nos fils et de nos filles d’Israël dans les crématoriums d’Auschwitz ? », était-il même écrit.
Primes aux insultes
Appelée sur les lieux, la police est arrivée après le départ des manifestants. Le brigadier général, lui, a réagi en personne. « L’armée n’est plus la vache sacrée qu’elle a été, a-t-il souligné. Nous ne sommes pas immunisés contre la critique, mais les déclarations cette fois étaient sévères et doivent être condamnées. » Moti Almoz a estimé qu’une « main lourde » devait s’abattre sur les coupables, qui « se croient au-dessus de la loi ».
L’incident s’inscrit dans un contexte plus large de dérapages chez les ultra-orthodoxes. Dans la ville de Bnei Brak, près de Tel Aviv, des affiches promettaient récemment des primes aux jeunes (jusqu’à l’âge de 15 ans) qui harcèleraient des soldats haredi. S’ils sont interpellés pour insulte, c’est 200 euros ; 100 de plus si la police les frappe. Un tract à Jérusalem, dans les quartiers ultra-orthodoxes, appelait à l’assassinat des femmes soldats ou des commandants impliqués dans le recrutement des haredim. Chaque initiative de ce genre, dont on ne peut dire ni l’origine exacte ni l’ampleur, est immédiatement amplifiée par les médias israéliens.
Les forces de l’ordre se trouvent face à des communautés hermétiques, solidaires, au poids politique et démographique croissant. Parmi les 883 000 habitants de Jérusalem, 35 % se définissent comme ultra-orthodoxes, selon le Bureau central des statistiques. Mais toucher à l’armée ne peut rester impuni. A Bet Shemesh, près de Jérusalem, cinq haredim ont été interpellés au cours d’une opération spéciale de la police, après avoir agressé, le 29 mai, deux soldats marchant dans l’un des quartiers les plus radicaux de la ville. A Mea Shearim, des résidents ont voulu empêcher la police de collecter des éléments matériels – notamment les enregistrements de caméras de surveillance – après des émeutes. Des pierres ont été lancées et des poubelles incendiées.
« On n’arrêterait pas quelqu’un d’important »
La police a décidé de réagir en multipliant les opérations clandestines. Le procédé est ingénieux : des agents se déguisent en soldats portant des signes distinctifs ultra-orthodoxes, comme la barbe, et se promènent dans les quartiers sensibles. A la moindre menace contre eux, des collègues interviennent en renfort pour procéder aux interpellations. Au total, 24 personnes ont été arrêtées à Mea Shearim depuis la mi-mai au cours de deux opérations. « Notre réponse doit toujours être proportionnelle, explique le porte-parole de la police, Micky Rosenfeld. L’arrière-plan de tous ces troubles, c’est la dizaine d’individus qui ne se sont pas présentés comme prévu au centre d’enrôlement de l’armée. Différentes unités les recherchent. Dès qu’on les trouve et qu’on veut les arrêter, cela crée des tensions. »
La responsabilité de certains rabbins extrémistes pourrait aussi être engagée, au moins par leur consentement silencieux à ces dérives violentes. Mais pas question, pour la police, de s’en prendre aux chefs religieux. « On n’arrêterait pas quelqu’un de respectable et d’important, souligne Micky Rosenfeld. Mais nous sommes en contacts constants avec eux. Ils ne sont pas directement impliqués dans ce qui se passe, mais ils ont de l’influence. » La police a tout de même interpellé un rabbin, enseignant dans une école religieuse pour filles dans le centre d’Israël. Il avait envoyé un texto au major général Moti Almoz, écrivant : « Souviens-toi de ce qui est arrivé à Pharaon. »