Le Monde | Par Laure Stephan (correspondant à Beyrouth)
Présenté comme un « officier » du Hezbollah, Hajj Ihab porte des lunettes de soleil, un chapeau mou et un treillis militaire orné d’un insigne jaune de la formation armée chiite libanaise. Il se tient à quelques centaines de mètres de la frontière avec Israël, au milieu de la végétation, dans les environs de Labbouneh, une zone libanaise où des incidents ont eu lieu par le passé. Derrière lui, on aperçoit une position militaire israélienne, sur une colline dont les flancs ont été taillés en falaise par des bulldozers. « Depuis un an, l’ennemi israélien a fortifié ses positions tout au long de la frontière avec le Liban », affirme ce responsable militaire devant un parterre de journalistes qui se bousculent, sous un soleil presque estival.
La séquence est rare, alors que le Parti de Dieu cultive le secret et autorise au compte-gouttes les entretiens : jeudi 20 avril, une cinquantaine de reporters de médias occidentaux, panarabes ou libanais ont été conviés par le Hezbollah à une visite dans le sud du Liban, théâtre d’une guerre dévastatrice en 2006, pour « donner un aperçu » des fortifications entreprises par l’armée israélienne « sur le front sud ».
Le message se veut clair : le Hezbollah a beau être engagé dans la guerre en Syrie aux côtés du régime de Bachar Al-Assad, il n’a rien relâché de sa garde à la frontière avec Israël, dans cette région du sud dont ses hommes connaissent les moindres recoins. Et si une guerre éclate, les combattants « sont prêts », dit Hajj Ihab.
« Haïfa est à un jet de pierre »
Montrant la position militaire israélienne, il en détaille l’infrastructure : les antennes des radars sont protégées des tirs de roquette par des grillages métalliques. La pente abrupte de la falaise artificielle rend toute approche plus difficile. Ailleurs, le long de la ligne de démarcation, l’armée israélienne dispose d’un important système d’écoutes. « Pas un instant ne passe sans que l’ennemi surveille les terres libanaises », précise Hajj Ihab, avant d’affirmer connaître le nom de tous les officiers israéliens qui opèrent dans le secteur.
Vers l’intérieur des terres, on aperçoit les toits d’une petite bourgade israélienne. Côté mer, une plaine et la silhouette d’une ville. « C’est Haïfa, à un jet de pierre d’ici », dit Mohammad Afif, chef du bureau des médias du Hezbollah.
Mais aucun des responsables n’explicite les capacités militaires du Hezbollah développées dans le sud. « Je ne suis pas là pour parler de ce que peut faire la résistance [le Hezbollah] », élude Hajj Ihab. La formation armée pro-iranienne, qui a mené une longue guérilla (1982-2000) contre l’occupation israélienne du sud du Liban, et tenu tête à Tsahal lors de la guerre de 2006 dans cette région, a décuplé sa force depuis qu’elle combat en Syrie.
En guise d’illustration, le parti a toutefois brièvement déployé, jeudi, des combattants dans un champ d’orangers, près de la route principale qui relie la côte de Naqoura à l’arrière-pays. Portant des lance-roquettes ou des fusils automatiques, ils sont immobiles, le visage camouflé. Difficile de ne pas voir là, au-delà de la chorégraphie organisée pour les journalistes, un geste de défi à la Finul, la force des Nations unies au Liban sud, dont les blindés patrouillent sur la route au même instant. La résolution 1701, votée en 2006 à la fin de la « guerre des trente-trois jours », interdit la présence d’autres armes que celles de l’armée libanaise dans le sud du pays.
« Battage médiatique »
Le moment choisi pour la visite, critiquée par le premier ministre Saad Hariri, ne doit rien au hasard. C’est un nouveau cycle de la guerre médiatique que se livrent les deux ennemis. Depuis plusieurs semaines, les spéculations, qui n’ont jamais cessé depuis 2006, vont crescendo sur le risque d’un nouveau conflit. Plusieurs responsables israéliens ont récemment promis de ramener le Liban « au Moyen Age » en cas d’affrontement. « Toutes ces rumeurs, c’est du battage médiatique », affirme une source sécuritaire libanaise. Une majorité d’analystes considèrent que ni Israël ni le Hezbollah ne veulent d’une guerre. Mais Beyrouth écoute avec inquiétude le ton de plus en plus offensif de l’administration Trump à l’encontre de l’Iran et du Parti de Dieu. « Israël se barricade : ce sont eux qui ont peur » du Hezbollah, assure toutefois M. Afif, qui juge « faible » la probabilité d’un conflit. « Nous ne voulons pas d’une guerre », poursuit-il, comme pour adresser un message à Israël et laisser entendre que c’est l’Etat juif qui se prépare à des hostilités. Le sud, embaumé par le parfum de thym sauvage au milieu de paysages vierges mais souvent minés, offrait, jeudi, son calme habituel. Mais chacun sait qu’il peut être violemment interrompu.