La mue incertaine du Hamas

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Le Monde – Par Piotr Smolar


Analyse. Le mouvement islamiste palestinien est à un moment charnière de son histoire avec la désignation à la tête de son bureau politique du pragmatique Ismaïl Haniyeh. Mais parler de virage paraît exagéré d’autant qu’aucun renoncement à la violence ne se profile.

La croisée des chemins, ou le chemin des croisés ? Rupture ou continuité ? Ainsi se résument les interrogations entourant les récents changements au sein du Hamas. Des changements individuels, parmi ses dirigeants, et idéologiques, avec l’adoption d’une nouvelle charte qui prétend décontaminer le mouvement sans bouleverser sa ligne. Parler de virage serait exagéré : aucun renoncement à la violence ne se profile. Mais il serait erroné de n’y voir qu’une continuité monolithe.

La diversité des réactions à ces évolutions est un hommage indirect à l’opacité traditionnelle du mouvement islamique armé, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007. Elle témoigne aussi des tensions internes au sein du Hamas, écartelé entre ses ambitions, ses racines et les contraintes qu’il subit : le blocus israélo-égyptien, les pressions financières croissantes de l’Autorité palestinienne (AP) et son isolement sur le plan international.

La première nouveauté est la succession de Khaled Mechaal à la tête du bureau politique. Il est remplacé par l’ancien premier ministre Ismaïl Haniyeh, son adjoint depuis 2013. Il cohabitera avec le nouveau chef local du Hamas, Yahya Sinouar, qui a passé vingt-deux ans dans les prisons israéliennes et convient parfaitement à l’aile militaire. Leur promotion coïncide avec l’adoption d’une charte. Elle recouvre le texte originel, daté de 1988, d’un vernis de pondération. Elle gomme ses formulations outrageusement antisémites et exprime des velléités de réconciliation entre factions palestiniennes.

Le Hamas accepte la perspective d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967, en guise de plate-forme commune avec le Fatah, la formation du président Mahmoud Abbas. Au regard de l’histoire, le geste est significatif mais bien tardif.

Une rupture violente

Après sa création en 1987, le Hamas a prospéré comme une alternative religieuse et radicale au Fatah, engagé sur la voie du dialogue avec Israël en vue de la création d’un Etat palestinien. Les accords d’Oslo (1993) avaient dessiné un chemin vers cet horizon, tandis que le Hamas dénonçait tout compromis avec l’occupant, ennemi jugé illégitime. Mais les obstacles et le manque de volonté ont fait échouer ce projet, laissant un gâteau à moitié cuit : l’AP.

Dépendante de l’étranger pour son financement et d’Israël pour la sécurité et l’administration en zone C, qui représente 60 % de la Cisjordanie, l’AP a fini par concentrer le ressentiment de la population. La corruption impunie, le clientélisme et l’absence de toute élection nationale aux échéances prévues ont imposé l’idée d’un système paralysé, voué uniquement à sa propre pérennité.

Le Hamas, lui, dirige Gaza depuis dix ans. Il est confronté à la gestion d’un quotidien misérable, donc à l’usure du pouvoir, même si, sur le plan sécuritaire, il tient sans faiblesse la population de deux millions d’habitants. En 2006, il avait participé aux élections législatives palestiniennes afin de prendre toute sa place au sein du système politique. Mais sa spectaculaire victoire a provoqué une embolie du système, accélérée par la mise en place du blocus par Israël. La rupture entre le Fatah et le Hamas fut violente. Des années de vengeance et d’anathèmes suivirent, au grand bénéfice de la droite israélienne, pourvue d’un argument en or pour ne pas avancer vers la paix.

Les deux factions signèrent un accord de réconciliation en 2011, puis acceptèrent de former un gouvernement d’unité nationale, en avril 2014, après l’échec d’un cycle de négociations avec Israël. Mais la guerre à Gaza, la troisième en dix ans, ruina ces efforts. Les membres du Hamas apparurent aux yeux du grand public comme les résistants au front, tandis que l’AP gérait la soumission aux Israéliens, cherchant l’appui de la communauté internationale. Depuis, les deux parties clament qu’elles veulent la réconciliation, mais leurs actes disent le contraire.

Promesse d’explosions futures de violence

Le Hamas est à un moment charnière. La volonté de l’administration Trump de relancer des négociations de paix va l’obliger à sortir du flou. Il existe un consensus en son sein pour écarter, dans l’immédiat, un conflit avec Israël. Au contraire, la tentation d’un cessez-le-feu à long terme paraît forte, mais elle réclame le règlement de la question sensible des prisonniers. Le Hamas veut la remise en liberté des Palestiniens relâchés au moment de l’accord concernant le soldat Gilad Shalit, puis arrêtés de nouveau en juin 2014. Il dispose pour cela d’un moyen de pression : les deux civils israéliens qu’il détient, en plus peut-être des corps de deux soldats tués à l’été 2014. Le Hamas entretient le mystère sur ce sujet.

Dans sa nouvelle charte, le mouvement armé ne fait plus référence aux Frères musulmans. Il clame son inscription exclusive dans le paysage palestinien. Son isolement limite ses options extérieures. Pour les projets de développement, il compte sur les pays arabes, notamment le Qatar, et la Turquie. Pour la course aux armements, il mise sur l’Iran. Certains de ses dirigeants font preuve de naïveté en croyant qu’une simple révision de sa charte permettra au Hamas de se débarrasser de l’étiquette terroriste et de devenir un interlocuteur légitime pour les diplomates occidentaux.

Depuis longtemps, ils envisagent une évolution sur le modèle du Hezbollah libanais, avec une aile militaire puissante, une toile d’actions sociales et un parti investi dans la politique nationale. Or, la situation économique, sociale, sanitaire, écologique à Gaza, épuise tous les qualificatifs alarmistes. Dans ce contexte, la décision de l’AP d’assécher les flux financiers vers Gaza ressemble à une promesse d’explosions futures de violence.