Israël veut mettre en sourdine l'appel à la prière des mosquées

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Par le Figaro – Cyrille Louis


Une proposition de loi visant à interdire l’amplification de l’appel du muezzin à Jérusalem-Est et dans plusieurs autres villes mixtes doit être examinée ce mercredi par la Knesset.

La mosquée Abou-Obeida, encastrée dans une ruelle du camp de réfugiés palestiniens de Shuafat (Jérusalem-Est), ne paie pas de mine. Mais ses puissants haut-parleurs incommodent tellement les colons de Pisgat Zeev que le gouvernement israélien a décidé de les faire taire. Il a adopté le 13 novembre un projet de loi visant à interdire l’amplification de l’appel à la prière qui, sauf contretemps, doit être examiné ce mercredi par la Knesset.

Le parti ultraorthodoxe Judaïsme unifié de la Torah, dont les dirigeants avaient dans un premier temps menacé de bloquer le texte, semble s’être ravisé en apprenant que celui-ci ne s’appliquera pas à la sirène qui marque le début et la fin de shabbat. «Cette distinction injustifiable montre qu’il s’agit clairement d’une loi islamophobe dont le vote risque d’attiser les tensions interreligieuses», prévient Azzam al-Khatib, directeur de la fondation islamique jordanienne (Waqf) en charge des 101 mosquées de Jérusalem. Ce débat sur le chant du muezzin, véritable serpent de mer de la vie politique israélienne, ressurgit à intervalles réguliers au gré des tensions qui émaillent la coexistence entre Juifs et Arabes à Jérusalem-Est et dans plusieurs autres villes mixtes. Mais la coalition au pouvoir, souvent décrite comme l’une des plus à droite de l’histoire du pays, semble cette fois décidée à le mener à son terme. «Ce projet de loi incarne une vision du monde selon laquelle la liberté religieuse ne doit pas porter atteinte à la qualité de la vie», plaide le député d’extrême droite Moti Yogev, coauteur du texte. «Je ne peux pas vous dire combien de fois des gens de toutes les religions sont venus me voir pour se plaindre de ces nuisances», a pour sa part déclaré Benyamin Nétanyahou qui dit vouloir «protéger les citoyens contre le bruit». «Les choses se passent ainsi dans les villes européennes», souligne-t-il.

Les habitants de Pisgat Zeev, qui dénoncent depuis de nombreuses années les nuisances induites par les appels à la prière venant des mosquées voisines, ont réagi de manière ambivalente. Quelques dizaines de mètres seulement séparent ce quartier de colonisation édifié au cœur de Jérusalem-Est du mur qui enserre le camp de Shuafat. «Il était grand temps de faire quelque chose», dit Mary Barnahum, 46 ans, qui affirme être réveillée chaque matin avant l’aube par le chant du muezzin. «Mes enfants n’arrivent pas à se rendormir, assure-t-elle, et perdent ainsi de précieuses heures de sommeil.» «Les Palestiniens cherchent clairement à nous gâcher le quotidien et ne tiennent aucun compte de nos plaintes, relève pour sa part Yaël Antébi, conseillère municipale de Jérusalem, mais je ne suis pas certaine pour autant qu’une telle loi soit pertinente. Elle risque en effet d’accroître la défiance et d’aggraver les tensions entre des communautés qui sont condamnées à s’entendre.»


Dans la cour de la mosquée Abou-Obeida, de l’autre côté du mur de séparation, Abou Mohammed ne dit pas autre chose. «L’appel à la prière est un pilier de l’islam, et l’interdire reviendrait à nous empêcher d’exercer notre religion», prévient-il. «Les collines entourant cette mosquée étaient désertes lorsque des haut-parleurs y ont été installés il y a plusieurs décennies, soutient pour sa part le cheikh Abou Ayman, et personne n’obligeait les Israéliens à venir s’y installer s’ils ne supportent pas le chant du muezzin…»

Levée de boucliers Ulcérés par les projets du gouvernement, des centaines d’Arabes israéliens ont manifesté vendredi dans plusieurs villes, tandis que certains de leurs élus ont menacé de saisir la Cour suprême pour faire invalider le texte. «Ce texte est superflu, provocant et outrancier», a dénoncé le député Ahmed Tibi, selon qui «Juifs et Arabes sont parvenus à régler ces litiges à travers le dialogue dans plusieurs villes du pays».

Azzam al-Khatib, qui reçoit dans son bureau surplombant l’Esplanade des mosquées, souligne que le gouvernement risque de susciter une levée de boucliers dans le monde arabo-musulman. Le vice-premier ministre turc, Numan Kurtulmus, a d’ailleurs dénoncé lundi un texte «absolument inacceptable». «Pendant des siècles, le son des cloches des églises, les “Allahou akbar” s’élevant des mosquées et les prières devant le Mur des lamentations se sont mêlés à Jérusalem», a-t-il ajouté, tandis que de nombreuses voix s’élevaient pour réclamer une solution pragmatique. «Baisser le volume serait sans doute une réponse raisonnable, sourit Daniel Seidemann, responsable de l’ONG Jérusalem terrestre, si cette forme d’expression sonore n’était pas inscrite au cœur du processus de négation et d’humiliation que s’imposent mutuellement les deux parties de ce conflit.»