Guerre des nerfs pour briser la grève de la faim des détenus palestiniens

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Le Figaro – Par Cyrille Louis


L’administration pénitentiaire israélienne a diffusé une vidéo montrant le leader du mouvement, Marouan Barghouti, en train de manger des biscuits pour saper la détermination des grévistes.

La guerre des nerfs s’intensifie entre les autorités israéliennes et le millier de prisonniers palestiniens en grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention.L’administration pénitentiaire a diffusé dimanche un film de neuf minutes qui aurait été tourné les 27 avril et 5 mai par une caméra de vidéosurveillance installée dans la cellule de Marouan Barghouti. Ce cadre historique du Fatah, à l’origine du mouvement de protestation, y apparaît en train de manger ce qui ressemble à des biscuits et à une barre de céréales. À en croire les médias israéliens, ces aliments auraient été délibérément introduits auprès de lui dans l’espoir de briser sa détermination. «Barghouti est un assassin et un hypocrite qui encourage ses codétenus à faire la grève de la faim pendant qu’il se nourrit dans leur dos», a aussitôt triomphé Gilad Erdan, le ministre israélien de la Sécurité publique, qui en a profité pour saluer le travail des services de renseignement pénitentiaire.

Ce coup de théâtre, dénoncé par l’entourage de Marouan Barghouti comme «un grossier montage», intervient alors que le bras de fer opposant détenus et geôliers entre dans sa quatrième semaine. «Chaque jour qui passe sans que les autorités d’occupation ne répondent à leurs revendications accroît la colère et la tension qui règnent dans de la société palestinienne», prévient Fadwa Barghouti, l’épouse du dirigeant incarcéré. Mais le gouvernement israélien, loin d’engager le dialogue, cherche à briser le mouvement par la force. Les meneurs ont été placés à l’isolement, plusieurs centaines de détenus ont été transférés dans d’autres prisons et les fouilles ont été multipliées pour confisquer téléphones, cigarettes ou doses de sel. L’administration pénitentiaire s’est par ailleurs déclarée prête à embaucher des soignants venus de l’étranger pour nourrir de force les prisonniers dont l’état de santé se dégraderait. Une loi votée en 2015, confirmée l’an dernier par la Cour suprême, l’autorise en principe. Mais les praticiens israéliens refusent de l’appliquer.

«La diffusion de cette vidéo ignoble ne nous a malheureusement pas surpris, explique Fadwa Barghouti, car elle correspond profondément aux méthodes de l’occupant. Mon mari les connaît d’ailleurs très bien puisqu’il a été placé vingt-deux fois à l’isolement.» Ce parlementaire aujourd’hui âgé de 57 ans fut l’un des meneurs de la première puis de la seconde intifada, durant laquelle il fut condamné à cinq peines de réclusion criminelle à perpétuité pour son rôle dans l’organisation de plusieurs attentats. Il avait à l’époque refusé de se défendre devant un tribunal civil israélien dont il contestait la légitimité. Une campagne internationale en vue d’obtenir sa libération a été lancée en 2013 avec le soutien de plusieurs Prix Nobel de la paix, dont Desmond Tutu et Jimmy Carter, ainsi que d’anciens dirigeants israéliens. «Jamais Marouan n’aurait pris le risque de s’engager dans une grève de la faim s’il ne se sentait pas prêt à en assumer l’épreuve», certifie son épouse qui a été reçue le 30 mars dernier par Jean-Marc Ayrault.

Les grévistes réclament notamment l’assouplissement du droit de visite accordé à leurs familles, la possibilité de contacter leurs proches par téléphone, la liberté de suivre des études à l’université et une meilleure prise en charge sanitaire. «Après avoir épuisé toutes les options, j’ai estimé que nous n’avions d’autre choix que de résister à ces abus en entamant une grève de la faim», plaide Marouan Barghouti dans un texte publié le 16 avril par le New York Times. Le représentant du Comité international de la Croix-Rouge, Jacques de Maio, a depuis lors rappelé d’Israël que «les contacts des prisonniers avec leur famille doivent être facilités et non rendus plus difficiles». Les chefs des missions diplomatiques européennes à Jérusalem disent pour leur part suivre ce mouvement «avec préoccupation», et prient l’État hébreu de «respecter les obligations que le droit humanitaire international lui impose à l’endroit des prisonniers» – notamment en garantissant un procès équitable aux 500 Palestiniens actuellement placés en détention administrative.

Les autorités israéliennes ont jusqu’à présent balayé ces remarques et se bornent à accuser Marouan Barghouti de nourrir des arrière-pensées politiques. «Le véritable but de cette grève de la faim est de servir son ambition de remplacer Abou Mazen (le surnom du président palestinien, Mahmoud Abbas, NDLR)», affirme ainsi le ministre Gilad Erdan. «Absurde», lui répond Fadwa Barghouti, dont le mari est régulièrement plébiscité comme le plus populaire des dirigeants palestiniens. «En choisissant de prolonger ainsi la confrontation, conclut-elle, les Israéliens prennent le risque de provoquer une escalade sur le terrain.»